Extrait de l’allocution du président de la République, Kaïs Saïed, lors de la visite, dimanche 2 août 2020, à Sfax et à Mahdia, sur le thème : l’émigration illégale.

« Au cours de nos discussions avec les responsables européens et particulièrement Italiens portant sur la question de l’émigration clandestine, l’approche est à mon avis claire. Plutôt que d’investir davantage pour éradiquer ce fléau, en renforçant les moyens matériels et humains des forces côtières, il faudra penser d’abord et surtout à éliminer les causes originelles qui poussent ces candidats à se jeter à la mer bravant la mort.

Si l’on remonte dans l’histoire contemporaine, des années 70 et 80 du siècle passé, ce phénomène n’existait pas. Il est temps de se pencher aujourd’hui sur les vraies raisons qui poussent des jeunes et des moins jeunes à partir moyennant ces embarcations de la mort.

Les raisons sont multiples. Elles sont d’abord directement liées à la répartition des richesses et des ressources dans le monde. La question qui se pose est : cette répartition est-elle équitable ?

Il ne faut pas non plus perdre de vue cette séquence de l’histoire au cours de laquelle les Tunisiens émigraient de manière régulière vers l’Europe, notamment vers la France, en tant que main-d’œuvre bon marché, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, pour construire les villes européennes totalement rasées.

Ensuite, et, petit à petit, les restrictions ont commencé à être imposées par les visas, avec le durcissement des autorisations de séjour dans l’espace européen. Commence alors à prendre place, au début des années 2000, ce que l’on appelle l’immigration ciblée. Seuls sont admis les cadres, les jeunes diplômés hautement qualifiés des pays de départ.

En outre, il ne faut pas perdre de vue que la question se pose d’abord localement. Avons-nous réussi à résoudre les problèmes économiques et de développement des Tunisiens ? Il faut bien reconnaître que la réponse est non. Ici, en Tunisie, nous n’avons pas été à même de résoudre ces problèmes qui touchent à la vie de nos concitoyens.

Outre les relations qui nous lient avec les pays du Nord donc. La question est essentiellement tuniso-tunisienne.

N’oublions pas que la grande vague migratoire a eu lieu après le 14 janvier 2011. En quelques jours, plus de 25 000 personnes ont émigré en Italie. Ce n’est pas le fruit du hasard.

Cette vague s’explique également par des raisons politiques. Derrière cette grande déferlante, des réseaux de passeurs et des acteurs politiques tiraient les ficelles. Les enjeux sont clairs. Démontrer l’échec du processus démocratique. Montrer l’inanité des élections qui n’ont pu atteindre leurs objectifs, poussant alors les Tunisiens à partir vers d’autres cieux, même illégalement.

Aujourd’hui, des projets sont fin prêts mais n’ont pu voir le jour pour des raisons de lenteurs ou carrément de blocages des procédures administratives.

Nous pouvons prendre un exemple édifiant, les consultations avaient commencé le 15 novembre et nous en sommes encore à ce jour en train de mener des négociations sans fin en vue de former un gouvernement.

L’autre problème est le chômage endémique en Tunisie. Comment fournir aux Tunisiens un emploi qui leur permette de vivre dignement.

Cela dit, nous travaillons sur des projets, et sommes en train de les mettre sur pied. Je citerais, entre autres, la ville médicale Aghlabide de Kairouan, le TGV qui reliera le pays de part en part, de Bizerte à Ben Guerdane, ainsi que le projet des marchés de production des fruits et légumes situé au Centre du territoire, précisément dans le gouvernorat de Sidi Bouzid.

Nous travaillons en silence, malgré ces interminables consultations qui ralentissent la mise en œuvre des grandes réformes.

Il est clair que certains tentent par tous les moyens de mettre en échec l’expérience tunisienne. Oui, il est vrai que les monstres terrestres sont plus féroces que les dangereux requins.

Ceux qui ont pris pour habitude de simuler les crises, pour donner l’impression de réussir leur gestion. Ces mêmes crises qu’ils ont inventées de toutes pièces.

Résultat : la jeunesse tunisienne se considère à juste titre comme une victime. Victime de la pauvreté. Le taux de pauvreté augmente de jour en jour. Sans parler de la misère politique qui est une autre question.

Je suis venu ici aujourd’hui pour prouver que l’Etat tunisien est présent et que nous ne sommes pas dupes. Les slogans scandés par certains qui ont atteint la côte italienne ne laissent aucun doute sur leurs motivations et basses manœuvres pour déstabiliser le pays, et noyauter les institutions de l’Etat.

Cela étant dit, l’approche sécuritaire n’est pas la meilleure qui soit ni suffisante pour éradiquer ce phénomène des migrants illégaux. Je l’ai dit et le répète aujourd’hui. Je tiens à rappeler également qu’à une certaine époque non lointaine, l’émigration se faisait du Nord vers les pays du Sud. Des groupes italiens et en provenance d’autres pays se sont installés sur les côtes tunisiennes et ailleurs. Ils sont parmi les meilleurs artisans qui soient.

Ces dernières années, la saison de l’émigration vers le Nord (en évocation au célèbre roman de l’écrivain soudanais Tayeb Saleh) est le résultat, comme je l’ai dit, de la répartition non équitable des richesses à travers le monde.

J’ajouterais, pour finir, que l’État tunisien est une République indivisible. Il n’y a pas de multitube d’États, il n’y en a qu’un seul. Et un seul président qui porte l’entière responsabilité devant Dieu, devant le peuple et face à l’histoire. Responsable pour préserver la souveraineté de l’État tunisien, pour répondre aux attentes des Tunisiens, pour réaliser les objectifs de développement et de bien-être.
Je tiens à vous remercier car vous êtes des héros ».