Les résultats positifs enregistrés par la digitalisation de la distribution des aides destinées aux personnes démunies, au cours de la période de confinement dû à la Covid-19, vont encourager le gouvernement à utiliser les mêmes moyens électroniques pour rationaliser la compensation.

Objectif : n’en faire bénéficier que ceux qui la méritent.

Abou SARRA

Destinée au début de son institution en 1970 comme un complément de revenus pour les bas salaires et les faibles revenus, la compensation a fait l’objet, au fil des années et en l’absence de texte juridique réglementant la Caisse générale de compensation (CGC), d’abus multiformes.

La compensation, un système dévoyé

Selon des données référentielles fournies par l’Institut national de la statistique (INS), «la part des subventions tirées par les ménages pauvres est estimée à seulement 12% du total du montant de l’enveloppe budgétaire affectée à la compensation».

Un regard d’ensemble sur l’évolution historique de la compensation en Tunisie montre d’ailleurs que les récipiendaires des subventions de l’Etat n’ont jamais été les démunis, comme l’avait laissé entendre la propagande officielle, des décennies durant, mais les secteurs touristiques, hôtellerie, restaurateurs,… mais aussi les visiteurs étrangers (touristes, diplomates, investisseurs offshore).

Interrogé récemment sur ce sujet, l’actuel ministre des Finances, Nizar Yaïche, a confirmé la persistance de cette tendance en 2020. Ainsi, d’après lui, sur un montant de 3,6 milliards de dinars prévu dans le budget de cette année, au titre de la compensation, 70 à 80% de cette enveloppe iront à des personnes physiques et morales qui ne devraient pas en bénéficier.

A titre indicatif, la semoule produit utilisé par les ménages à faible revenu, particulièrement dans le monde rural, pour confectionner de manière artisanale plusieurs produits alimentaires (couscous, pâte, pain…), fait l’objet d’une forte spéculation.

Ce produit, subventionné et vendu à très bas prix, est même devenu un produit de contrebande avec les pays voisins (Algérie, Libye…). Certains ont poussé l’abus jusqu’à utiliser la semoule pour alimenter le bétail.

Quelques avancées mais ce n’est pas suffisant

Néanmoins, il faut reconnaître en même temps que les autorités officielles, en optant pour la fluctuation des prix à la pompe, voire pour l’adaptation du prix du carburant aux prix du baril du pétrole à l’échelle mondiale, ont réduit de manière significative la compensation dont le poste d’hydrocarbures occupe une part importante. C’est une évolution positive dans la gestion de la compensation.

L’idéal serait toutefois de l’éradiquer définitivement. En prévision de cet ultime objectif, le gouvernement se doit d’assigner à la compensation des objectifs clairs en harmonie avec les stratégies de développement du pays.

Doter la compensation d’objectifs clairs

Ainsi, s’il assigne à la compensation une mission de transfert social, ce système doit cibler tout particulièrement la population pauvre avec un objectif clair. Les transferts doivent donc décroître à mesure que le revenu augmente pour s’annuler à partir d’un certain seuil.

Dans cette perspective, il peut assortir le bénéfice de la compensation par l’engagement du bénéficiaire à aider l’Etat à atteindre certains objectifs majeurs, du type engagement à scolariser ses enfants et à les encourager à se faire vacciner et se soigner dans les hôpitaux publics.

Avec une telle mission, la compensation permettrait d’atteindre deux objectifs : venir en aide aux pauvres et réaliser des objectifs de développement. A ce sujet, la Tunisie a tout intérêt à s’inspirer de l’expertise mexicaine en la matière. L’avantage de cette dernière expertise réside dans le fait qu’elle a traité la compensation comme une problématique conjoncturelle gérable et remédiable…

Le troisième scénario, le plus catastrophique, serait pour le gouvernement de maintenir le système en place et de continuer à alimenter la Caisse générale compensation par des dotations budgétaires et à généraliser la compensation, sans discernement, à toutes les catégories sociales. Dans ce cas, le gouvernement aurait choisi, délibérément, d’alourdir les charges budgétaires de l’Etat et de faire le jeu des riches et des étrangers (corps diplomatique, touristes, investisseurs étrangers…). Un tel choix fait encourir au pays de graves risques, notamment en matière de justice sociale et de souveraineté nationale.

Au final, nous pensons que le moment est venu pour se pencher comme le souhaitent et le recommandent les bailleurs de fonds, sur le dossier de la subvention en n’en faisant bénéficier que les pauvres du pays.

Pour cela, il importe de bien les identifier, d’abord, et de leur servir, ensuite, les subventions avec des moyens électroniques. Il s’agit également de doter la Caisse générale de compensation de textes d’application précis à même de dissuader toute extension des avantages de la compensation aux riches, de réduire le coût budgétaire élevé de la subvention et de mettre fin au gaspillage multiforme qu’elle génère.

N’oublions pas que la compensation n’est pas une fatalité, beaucoup de pays comme l’Iran, le Maroc, le Mexique ont osé la réduire de manière significative. Nous pouvons faire autant.