L’amplification du déficit du budget de l’Etat cette année corrobore la continuité des déséquilibres financiers du pays. Mais l’adoption d’une politique de relance économique post-Covid-19 permettrait à la Tunisie de ne pas franchir la ligne rouge. C’est ce que pense l’ancien ministre du Commerce et expert économique, Mohsen Hassen.

Cité par l’agence Tunis Afrique Presse (TAP), il considère que cette conjoncture économique difficile et intensifiée par la baisse de rendement de plusieurs secteurs économiques dus à des facteurs structurels mais aussi à la propagation de la pandémie du coronavirus, ce qui a contribué à la réduction des ressources propres de l’Etat, au cours des quatre premiers mois de l’année 2020.

Le niveau du déficit budgétaire sans précédent -même s’il est conjoncturel et ne concerne pas toute l’année- demeure un indice d’une situation financière publique difficile. Tout porte à croire que le déficit courant continuera à baisser, compte tenu de la régression des recettes des exportations et du tourisme ainsi que des investissements étrangers et des transferts des Tunisiens, dit-il.

Pour lui, cette situation va amplifier la pression sur la balance des paiements obligeant l’Etat à recourir à l’endettement, loin des orientations de la politique du gouvernement de Fakhfakh.

Cette tendance mènera à l’augmentation de l’inflation et l’affaiblissement de la compétitivité économique des entreprises et, par conséquent, menacera la paix sociale et le parachèvement du processus démocratique.

Hassen présente, à l’agence TAP, les traits caractéristiques de la réalité économique de la Tunisie dans le contexte de la propagation de la Covid-19, surtout avec la succession des données statistiques officielles confirmant la crise économique, et surtout les rapports mondiaux émanant des institutions financières et de notations souveraines.

La relance économique : une stratégie d’évasion collective

D’après Hassen, la Tunisie a dépassé les lignes rouges et sa situation financière devient délicate, ce qui demande de conjuguer les efforts pour mettre en œuvre une stratégie de relance économique, de manière à limiter les effets de la pandémie de Covid-19 et se lancer dans la réalisation d’une croissance économique équilibrée et intégrée, créant ainsi des opportunités d’emplois et réalisant des équilibres financiers de l’Etat.

Il considère qu’un taux de croissance négatif de 6% est très dangereux, vu les répercussions sociales et surtout la hausse du taux de chômage de 4% pour atteindre 20% avec la hausse de la pauvreté à 19,2%. Il prévoit des répercussions négatives de cette morosité économique sur les équilibres financiers, vu la régression des ressources fiscales de l’Etat (pas moins de 5 milliards de dinars).

Pour s’en sortir, il recommande de mettre en œuvre une stratégie claire de relance reposant sur l’impulsion de l’investissement, la réactivation de la demande intérieure à travers l’adoption d’une politique basée sur la dépense gouvernementale, loin de l’austérité.

La stratégie de la relance économique requiert l’impulsion de l’investissement public, car le retour de l’investissement privé est tributaire de la démultiplication du volume de l’investissement public dans les différents secteurs comme l’infrastructure, l’éducation et l’enseignement.

Parlant des faibles ressources de l’Etat, Mohsen Hassen estime qu’elles peuvent s’améliorer à la faveur de l’investissement en instaurant un partenariat effectif entre les secteurs public et privé.

Il affirme également la nécessité d’impulser l’investissement privé dans les petits et les grands projets, à travers le développement de l’environnement des affaires surtout par le biais de la réduction de la pression fiscale et une lutte réelle contre la corruption ainsi que le renforcement du coût de financement, la création de lignes de financement des investissements et l’amélioration de la capacité financière des sociétés à capital de développement et des fonds d’investissements pour renforcer les ressources propres des jeunes promoteurs.

Hassen insiste sur l’impératif d’appliquer la loi sur l’économie sociale et solidaire pour créer de nouvelles générations parmi les promoteurs des projets et une autre génération de coopératives et de projets à vocation sociale et de développement, en tant que solution pour booster l’économie, soulignant la nécessité de développer ce système vu son rôle dans la promotion des régions intérieures et la création d’emplois.

Nécessité d’un nouvel élan…

Il considère que l’économie tunisienne a besoin d’un nouvel élan basé sur trois secteurs: le secteur public (à travers l’impulsion de l’investissement public et la restructuration des entreprises publiques), le secteur privé (moyennant l’amélioration du climat des affaires et le développement de l’attractivité du site d’investissement de la Tunisie) et le secteur tertiaire (qui consiste en l’économie sociale et solidaire).

Pour ce qui concerne le deuxième fondement de la stratégie de la relance économique, l’expert économique a appelé le gouvernement à réactiver la demande intérieure pour qu’elle puisse jouer convenablement son rôle en tant que moteur de croissance vu le ralentissement de la demande extérieure.

Il a expliqué qu’il est possible de dynamiser la demande intérieure grâce au développement du pouvoir d’achat en réduisant la pression fiscale sur les individus, vu l’impossibilité d’augmenter les salaires en ce moment difficile.

Dans ce cadre, il est possible de réduire l’impôt sur le revenu, de réviser la fiscalité et de réduire la TVA, ce qui est de nature à renforcer le pouvoir d’achat et de dynamiser la demande.

D’après lui, la réussite de la relance économique dépend d’une meilleure visibilité et des orientations stratégiques, surtout au niveau des réformes économiques engagées et des politiques sectorielles qu’il faut développer avec la prise en compte des nouvelles orientations stratégiques à l’échelle mondiale de l’après-Covid-19.

S’agissant des finances publiques, l’expert appelle à la nécessité de consolider les ressources propres du pays à travers une réforme fiscale approfondie visant à réduire la pression fiscale surtout en faveur des PME, s’interrogeant sur la possibilité pour le gouvernement d’engager, lors de la présentation du projet de la loi de finances complémentaire pour 2020, une réforme fiscale réelle et de procéder à une conciliation fiscale à condition de payer les dus.

La réforme fiscale, a-t-il dit, doit alléger le recours aux impôts directs pour alimenter le budget de l’Etat surtout les impôts sur revenus et les impôts indirects notamment la TVA, tout en renforçant la contribution des impôts sur bénéfices.

Les fondements de la sortie de la crise

Selon l’économiste, l’obtention de ressources requiert l’absorption du marché parallèle, les mécanismes les plus rapides demeurant le changement des billets monétaires et la réduction des tarifs douaniers sur les produits importés échangés sur le marché parallèle.

Pour ce qui concerne les entreprises publiques, Hassen a fait valoir que la cession par l’Etat des petites contributions dans le capital des banques communes entre la Tunisie et certains pays arabes est opportun pour consacrer ces ressources à la restructuration de ces entreprises et développer leur rentabilité et leur gouvernance pour qu’elles puissent contribuer de nouveau dans la régularisation de la trésorerie de l’Etat.

Il souligne que le problème majeur dont souffrent les entreprises publiques ne réside pas dans la possession du capital mais dans la méthode de leur gouvernance. De ce fait “leur privatisation n’est pas à l’ordre du jour”, a-t-il dit.

Hassen propose également d’œuvrer avec les différentes parties concernées et la société civile pour mettre en œuvre une stratégie de développement des régions situées dans le bassin minier ainsi que dans les régions intérieures…

Mettre la BCT à contribution…

Il juge nécessaire de réviser la politique monétaire du pays et de revoir même temporairement l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie (BCT), pour qu’elle puisse financer partiellement selon la loi régissant la trésorerie de l’Etat, à l’instar des pays européens, mais aussi du Maroc ou de l’Egypte.

Pour lui, il est possible de trouver un mécanisme juridique permettant à la BCT de financer et de rembourser, à travers le système bancaire, les dettes des entreprises publiques auprès de l’Etat qui dépassent les 5 milliards de dinars (SONEDE, STEG…), ce qui est de nature à alléger la charge sur la finance publique et aider les entreprises publiques à trouver leur élan.

Il a ajouté que la conjoncture exceptionnelle que traverse le globe, la situation sociale difficile en Tunisie, accentuée par le déséquilibre financier de l’Etat exigent l’examen de la possibilité de reporter le remboursement d’une partie de la dette extérieure pour les années 2020 et 2021, auprès des institutions financières internationales ainsi que les crédits commerciaux.

Ce report ne signifie pas rééchelonnement, étant donné qu’il n’a pas un effet négatif sur la notation souveraine de la Tunisie. Concernant l’endettement extérieur, il a fait remarquer que tous les rapports confirment le fort taux d’endettement extérieur de la Tunisie.

En témoigne le rapport de l’agence de notation Moody’s qui a mis en garde contre la hausse de l’endettement extérieur qui pourrait atteindre 80% en 2023 (actuellement, il est de l’ordre de 70%), sans perdre de vue la difficulté de sortir sur les marchés financiers internationaux, vu la régression de la notation souveraine de la Tunisie et la hausse des risques pour la destination de Tunisie, outre la, rareté de la liquidité sur le marché international.

S’agissant de l’endettement intérieur, ce dernier est également très élevé, selon Hassen, ce qui entraverait le financement du secteur privé surtout si le gouvernement décide de reporter le remboursement des tranches dues au titre de de la dette intérieure pour 2020.

Des conditions “étranges” concernant la souscription nationale

Toujours concernant l’endettement intérieur il a fait valoir que l’exécutif a décidé de procéder à une souscription nationale mais à des conditions qu’il a jugées ” étranges “, parmi lesquelles la fixation de la valeur nominale des bons à 100 mille dinars, ce qui fait que cette suscription nationale sera destinée à une couche sociale bien déterminée et non au grand public.

A cet égard, il recommande de réviser les conditions de cette souscription nationale, proposant qu’elle soit effectuée d’aussi bien en dinars qu’en devises afin de permettre aux Tunisiens à l’intérieur et à l’étranger d’y participer.

L’interlocuteur souligne enfin que la situation économique de la Tunisie est à la fois délicate et dangereuse, même si le pays est capable de s’en sortir, si les conditions nécessaires sont réunies, dont la maturité de la classe politique et la conscience collective de la gravité de la situation.