Le temps est suspendu en Tunisie où l’affaire dite de «conflit d’intérêt » d’Elyès Fakhfakh actionnaire de la société Valis prend de l’ampleur, inonde la toile et met dans l’embarras les partis qui ont fait de la lutte contre la corruption leur unique cheval de bataille, considérant une majorité de Tunisiens comme corrompus jusqu’à preuve de leur innocence et ternissant « bêtement » l’image du pays! Les fidèles de ces partis, déçus et désorientés, ne savent plus quoi faire. Leur confiance est ébranlée et leur foi est mise à rude épreuve.

Qu’à cela ne tienne, dans une interview accordé jeudi 2 juillet 2020 à Nawaat, Elyès Fakhfakh rassure tout le monde : «Le conflit d’intérêt n’est pas avéré, l’article 20 est trop ambigu, Chawki Tabib, président de l’INLUCC n’est pas un juge et les délais impartis pour la cession des actions ont été respectés si nous comptons les 3 mois de retard imposés par la pandémie Covid-19».

Donc tout est bien dans le meilleur des mondes. Pas de démission, pas de chute du gouvernement. «Le pays a besoin de stabilité, les internationaux, les investisseurs, les acteurs économiques ont besoin de stabilité pour travailler, et l’Etat ne peut pas résoudre les crises socioéconomiques sans cette stabilité». C’est en substance ce qu’a affirmé le chef du gouvernement qui a insisté sur l’importance de la crédibilité et de la confiance dans la relation entre gouvernants et gouvernés.

Ni Fakhfakh ni les membres de son gouvernement et en tête le parti Ettayar ne considèrent la détention de parts d’une société qui opère avec le gouvernement comme un cas de conflit d’intérêt. Mohamed Abbou, tout en affirmant que le conflit d’intérêts n’est pas une forme de corruption, engage toutefois une enquête interne qui pourrait aboutir aux mêmes conclusions de l’enquête faite sur l’accident de voiture commis par la fille d’Anouar Maarouf, le ministre du Transport : non coupable !

Est-ce à dire que les lois doivent être soumises et interprétées selon le bon vouloir d’Abbou et Co et que les accusations de corruption sont émises et formulées à la tête du client ?

Mieux encore, la solidarité gouvernementale a atteint son zénith lors du dernier conseil des ministres. On y a évoqué le climat politique délétère caractérisé par le retour des micmacs et des querelles qui visent à brouiller le travail du gouvernement, ciblent les institutions de l’État, orientent l’opinion publique et n’aident pas à l’amélioration de la situation économique et sociale et affronter les défis auxquels font face les acteurs publics.

Donc, l’affaire Fakhfakh est bidon et pas elle seulement mais toutes celles qui touchent ou peuvent toucher les membres de son gouvernement qui sont, semble-t-il au dessus de tout soupçon !

C’est la logique des mousquetaires : celle du “un pour tous, tous pour un“ !

Et même si l’article 18 a été, selon Chawki Tabib, mal interprété par Elyès Fakhfakh, parce qu’il n’a pas informé l’INLUCC de ses « affaires » avec l’Etat, le CDG signe et persiste : “Je suis non coupable, car rien n’a été fait par mauvaise foi“.

Impressionnant ! Entre « amis », c’est toujours la bonne foi qui prévaut ! Quant aux « ennemis », fidèles des partis rivaux, hauts commis de l’Etat qui ont exécuté les ordres de la hiérarchie, ils sont systématiquement coupables. Le temps que la justice, si justice existe, prouve leur innocence.

Curieuse cette approche du gouvernement dans sa lutte contre la corruption !

Et l’éthique dans tout cela ?

Reste la dimension éthique ! Que Fakhfakh ait été pris pour cible pour des raisons politiciennes ou parce que ses décisions d’ordre économique peuvent menacer beaucoup d’intérêts dans les mafias des entreprises publiques, dans l’administration ou dans le secteur privé, le conflit d’intérêt est avéré. Qu’il ait agit de bonne foi, qu’il ait oublié de procéder aux déclarations d’usage, de démissionner de ses entreprises ou de céder ses actions parce que débordé, le fait est que sur le plan éthique, il est tombé.

Parce qu’il a été le premier à défendre l’idée d’un gouvernement plus blanc que blanc, il aurait dû veiller à ce que cette blancheur soit et reste immaculée !

Maintenant quelles que soient les conclusions auxquelles aboutiront les commissions d’enquête gouvernementale, parlementaire ou justice, l’image du CDG a été écornée et éclaboussée par le scandale et ses alliances à l’ARP fragilisées.

Ce n’est quand même pas un fait négligeable que le groupe Valis dont il était actionnaire majoritaire remporte un marché de 44 millions de dinars avec l’Etat alors qu’il entamait son mandat de CDG. Ce qui, selon le président de l’INLUCC, constitue une violation de l’article 90 de la Constitution qui stipule : «Les fonctions de membre du gouvernement et de membre du Parlement ne sont pas cumulables. La loi électorale détermine les modalités de remplacement. Le chef et les membres du gouvernement ne peuvent exercer aucune autre activité professionnelle».

Cette situation le rend vulnérable et à la merci du parti le plus fort à l’assemblée. Un parti qui a affirmé qu’il n’exigerait pas sa démission.

Oui mais à quel prix ?

Tous les observateurs de la scène politique nationale, y compris les membres du parti Ennahdha, s’accordent à dire que le maintien du CDG en exercice dépendra de sa docilité et de sa soumission aux exigences du parti islamiste. Ce qui implique la nomination de ses partisans aux postes clés de l’Etat et dans les plus hautes fonctions dans les gouvernorats.

Soit un scénario auquel les Tunisiens sont familiarisés depuis 10 ans et où le parti islamiste profite de la fragilité politique des CDG pour les entraîner dans un cycle de compromissions sans fin et dont les conséquences sur le pays sont catastrophiques.

«Nous sommes habitués en Tunisie à la “dépravation politique“ et à la conclusion des alliances sans queue, ni tête, ni entre des partis sans principes, sans projets et sans éthique. L’adversaire d’hier peut devenir un ami aujourd’hui», commente Brahim Oueslati, journaliste.

Il en est ainsi au « Tunistan ».

Amel Belhadj Ali