Il a fallu que le président Kais Saïed se rende en visite de travail en France pour être édifié sur ses différentes positions à propos de la politique intérieure de son pays et celle internationale. Positions dont nous autres Tunisiens doutions mais ignorions la véritable teneur, s’agissant surtout des partis influents au pouvoir et de la politique étrangère, en prime la question libyenne.

Saïed change de style : des allusions et des piques lancées dans ses différentes interventions publiques à des attaques frontales s’adressant à ceux qui lui disputent le pouvoir et les prérogatives.

Le président Saïed ne rentre pas les mains vides de France. Emmanuel Macron a affirmé que son pays continuera à apporter son soutien à la Tunisie dans le domaine de la santé par la construction et la modernisation d’infrastructures hospitalières à Gafsa et à Sidi Bouzid, et par son appui à l’économie tunisienne à travers un prêt de 350 millions d’euros accordé dans le respect des engagements antérieurs de la France pour aider la Tunisie, s’élevant à 1,7 milliard d’euros jusqu’en 2022.

La visite de travail du président tunisien en France a été également l’occasion de reconsidérer les relations tuniso-françaises, malmenées ces derniers temps par les agissements de partis extrémistes hostiles, et de réaffirmer l’amitié qui lie les deux pays.

Interrogé sur le sujet épineux de l’ère coloniale, Saïed a répondu par la célèbre citation de Stendhal selon laquelle « Qui s’excuse, s’accuse », affirmant que le passé ne doit pas influencer un avenir qui peut et doit être meilleur. «Je défends l’idée d’une coopération qui dépasse le passé, le passé proche et le passé lointain».

Abordant la question libyenne, Kaïs Saïed a dit être contre toute ingérence étrangère. Une manière de rappeler au président turc, Recep Tayyip Erdoğan, que la Tunisie ne sera jamais de son côté et ne défendra jamais son interventionnisme éhonté dans un pays qui partage ses frontières et auquel la lient des relations ancestrales. La Tunisie, dit-il, est l’un des pays qui souffrent le plus de la guerre que se livrent les différentes parties libyennes. Une guerre qui pourrait atteindre l’Europe, et donc la France.

« La division de la Libye représente un danger pour toute la région et les pays européens qui ont des intérêts en Tunisie et dans les pays voisins, peuvent en pâtir. Nous sommes en faveur d’une solution libyenne, d’un cessez-le-feu immédiat. Nous refusons l’ingérence de n’importe quel pays en Libye. Nous avons d’ailleurs invité les tribus libyennes à se réunir et à débattre d’une solution libyo-libyenne. La résolution de la crise en Libye ne peut être que politique».

Saïed a précisé que sa position est le fruit d’une concertation permanente avec l’Algérie. «On ne peut accepter qu’apparaissent des provinces et des cantons en Libye… Le peuple libyen peut assurer et assumer son autonomie… si nous créons les circonstances qui lui permettent de sortir de cette impasse pour aller vers plus de stabilité. A ce moment-là seulement, nous pouvons dire que nous avons posé la première pierre sur le chemin de la paix».

Le torchon brûle entre Saïed et Ghannouchi

Kaïs Saïed a affirmé, dans ses différentes déclarations en France, que la gestion des relations diplomatiques est du ressort de la présidence de la République uniquement et ne souffre aucun partage des prérogatives. Les félicitations adressées par Ghannouchi à Faiez Al-Sarraj, président du Conseil présidentiel de Libye suite à la récupération de la base d’El Watya sont une erreur, estime Saïed qui précise à l’occasion que la légitimité internationale accordée à Al-Sarraj n’est pas illimitée et que les temps sont venus pour les Libyens d’entamer un processus de paix et de choisir un président légitime émanant de leur choix et de leur volonté. «Il s’agit d’une légitimité et d’une légalité temporaires qui doivent être remplacées par une nouvelle légalité et une nouvelle légitimé qui naissent de la volonté du peuple libyen. Il faudra promulguer une Constitution provisoire et une organisation provisoire des pouvoirs. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec le président Macron et avec la Conseillère allemande Mme Merkel et j’ai dit que les choses ne peuvent plus continuer ainsi».

Saïed a rappelé que toute posture relevant de la politique étrangère qui ne soit de son fait ne peut et ne doit pas être considérée comme officielle et par conséquent n’engage en rien notre pays.

Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France en Tunisie, proche de Rached Ghannouchi, semble-t-il, devrait peut-être y réfléchir.

Le président Saïed, dénonçant la dilution du pouvoir entre plusieurs centres décisionnels, a déclaré condamner ces pratiques et a affirmé sa volonté d’aller vers un amendement de la Constitution tunisienne et la révision du mode de scrutin pour un régime politique présidentiel.

Concernant les bruits qui ont couru sur une tentative de coup d’État contre la légitimité en Tunisie, le président tunisien a affirmé détenir nombres d’éléments renvoyant à une intrusion étrangère visant à déstabiliser la Tunisie et appuyée par des acteurs politiques de l’intérieur du pays. «Je détiens beaucoup d’informations à ce propos. Je suis au courant de manœuvres que les autres ignorent que je sais».

Des déclarations qui laissent entrevoir une crise politique assez graves entre au moins deux têtes du pouvoir : la présidence du pays et celle du Parlement et en prime Ennahdha ; parti qu’on accuse avec la coalition Al-Karama d’avoir été à l’origine d’une manifestation qui a pris pour cible le président de la République auquel on s’est adressé en termes indécents à Paris devant l’ambassade de Tunisie.

Vrai ou faux, on le saura rapidement mais aucun doute n’est permis quant au fait que le torchon brûle entre le président de l’ARP et le président de la République exaspéré par une volonté manifeste d’Ennahdha de s’attaquer à ses prérogatives à travers une diplomatie parallèle qui nuit aux intérêts du pays.

Amel Belhadj Ali