Le coronavirus a déclenché dans le monde une prise de conscience sans pareille et a imposé un nouvel ordre mondial. Soit la nécessité de la primauté de l’intérêt collectif sur celui individuel et le retour aux fondamentaux socioéconomiques, mettant en avant le facteur humain et moralisant actions et projets pour un bien-être commun.

La Tunisie, où on s’est brutalement aperçu de nos carences en matière de politiques industrielles et de services publics, a réagi en mettant à contribution les acteurs importants de la vie économique, particulièrement les banques. 

La Covid-19 a-t-elle bouleversé l’ordre financier établi ou accéléré des mutations qui devaient survenir, Covid ou pas ?

Réponses avec Kamel Habachi, directeur général adjoint (DGA) d’Attijari bank qui vient de signer une convention avec le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle pour aller au secours des centres privés de formation.

WMC: Une convention avec le ministère de la Formation et de l’Emploi pour accorder des facilités bancaires aux centres opérant dans la formation de base et la formation continue. Qu’est ce qui a motivé votre engagement ?

Kamel Habachi : Il y a la philosophie de la démarche et la convention. Au cœur de notre réflexion, la certitude qu’aucune économie au monde ne peut résister si elle n’investit pas dans le capital humain. C’est une évidence. Et pour réussir, le partenariat public/privé est devenu incontournable.

En ce qui nous concerne, nous avons toujours été dans la quête de l’ouverture du public sur le privé pour un partenariat et une synergie win/win qui profitent à tout le monde, mais surtout à la dynamique économique nationale en termes de procedeeng.

Donc, lorsque nous avons été approchés par le ministère de l’Emploi, nous avons immédiatement répondu par l’affirmative, et nous avons été au rendez-vous.

Nous souhaitons que cette convention soit un point de départ pour beaucoup d’autres…

Nous souhaitons que cette convention soit un point de départ pour beaucoup d’autres parce que dans le contexte d’une crise atypique comme celle de la Covid-19, nous n’avons plus le droit de raisonner public/privé, nous ne pouvons plus axer nos actions sur des politiques sectorielles mais être dans une logique d’union pour un développement socioéconomique équilibré, harmonieux et juste.

Nous ne pouvons pas réfléchir et raisonner chacun de son côté, mais ensemble, avoir une intelligence collective et un raisonnement collectif. Ensemble nous pouvons aller plus loin. L’interaction que nous créons à travers ce genre d’initiative peut être source de plus-value et d’innovation et nous permettre de changer les choses et de créer de la valeur dans les niveaux.

C’est ce raisonnement qui nous a animés et motivés pour aller au ministère et signer la convention. Nous espérons d’autres partenariats avec d’autres ministères.

Que changera-t-elle cette convention pour les centres privés de formation professionnelles ?

La convention est dans son apparence une convention d’accompagnement financier, soit des accords de crédits assez simples. La Tunisie n’a pas de ressources naturelles ou très peu, par contre, elle dispose d’un capital précieux qui est le capital humain, et l’axe fondamental du capital humain est la formation et le développement des compétences.

Lorsque nous disons formation et développement de compétences, nous parlons supports, institutions et centres de formation. Notre pays compte actuellement, d’après les statistiques du ministère de la Formation professionnelle, 2 000 centres de formation initiale ou continue. 2000 centres de formation qui dispensent la formation pour les jeunes assurent celle continue pour les adultes fonctionnaires en activité soit plus d’apport en expertise pour les entreprises et pour l’administration publique de toutes tailles, d’où l’enjeu stratégique des centres de formation.

Nous savons que la crise de la Covid-19 a eu des conséquences désastreuses sur les TPE et les centres de formation fragilisés par les structures financières. Il s’agit d’un tissu socioéconomique et humain de développement de compétences d’une grande importance. 

Imaginez l’effondrement des acteurs de ce tissu avec tous les impacts et les effets néfastes sur l’environnement et sur l’écosystème. Il fallait en être conscient pour réagir à temps et de la manière la plus efficiente qui soit, et je salue à ce propos l’initiative du ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi d’avoir cherché à créer un mécanisme d’accompagnement financier.  

Cette convention s’arrête-t-elle au volet financier ou y a-t-il également un volet accompagnement ? 

La convention comprend deux éléments importants : la rentabilité et le flux. Le premier élément, c’est le financement, et nous allons accorder entre 20 000 et 100 000 dinars de crédits à ceux qui le demandent selon le chiffre d’affaires du centre de formation avec des conditions préférentielles. La banque ne sera pas perdante, mais elle ne sera pas gagnante non plus d’une manière aberrante avec un TMM de +1,75, soit un taux très avantageux. Ce TMM n’appauvrira pas la banque et encore moins les centres de formation. C’est un taux très raisonnable compte tenu du taux d’inflation et du pricing crédit d’une manière en générale.

Parlons maintenant flux. Parce que nous allons accorder des financements aux centres de formation, nous susciterons des flux à travers les comptes des gérants et des formateurs et nous placerons également d’autres produits sur l’épargne, les cartes monétiques et le e-banking. Donc, c’est un package qui va permettre à la banque de rentabiliser son investissement.

Il n’y a aucun conflit d’ordre moral ou intellectuel, entre rentabilité et citoyenneté, entre rentabilité et humain…

Il n’y a aucun conflit d’ordre moral ou intellectuel, entre rentabilité et citoyenneté, entre rentabilité et humain, entre rentabilité et économie. Il faut tout juste mettre le curseur là où il faut, parce que, je le répète, le contexte de notre pays aujourd’hui est difficile et tout le monde doit mettre la main dans la poche et faire les sacrifices qui s’imposent.

Tout le monde parle d’un avant et d’un après-Covid-19, de nouvelles notions de croissance et de développement, de nouveaux rôles pour les institutions bancaires et financières qui doivent investir plus dans l’humain et le développement durable. Qu’en est-il à Attijari bank?  

La majorité des économistes du monde, qu’il s’agisse des libéraux ou des conservateurs, les économistes du nouveau monde, du monde émergeant, ou des grandes économies parlent d’un nouvel mode économique post-Covid-19 qui sera axé sur l’humain et qui prend en considération les aspects omis ou non, pris en considération à leur juste valeur tout au long des dernières décennies. Je parle de l’environnement, de l’agriculture, du bien-être et du développement humain. C’est un nouveau modèle économique qui va dessiner une nouvelle cartographie socioéconomique du monde et mettre en place les éléments de l’équilibre mondial. Parce que pour maintenir un équilibre mondial, il faut des ingrédients, des ingrédients économiques, l’armement et ce qui s’en suit comme politique sont des éléments de l’équilibre mondial.

Mais aujourd’hui, l’agriculture, l’environnement et le bien-être de l’Homme sont des éléments qui vont prendre de l’ampleur. Il y a le social, il y a la santé qui reprend sa place prioritaire dans les orientations des politiques publiques parce qu’on se rend compte qu’un virus microscopique peut mettre le monde entier à terre, et qu’on peut être incapable de le neutraliser.

Attijari bank est depuis longtemps dans la logique de mettre l’Homme au cœur du développement

Vous parliez de banques, mais je peux vous assurer qu’Attijari bank est depuis longtemps dans la logique de mettre l’Homme au cœur du développement. Nous avons accordé à l’environnement social, au périmètre citoyenneté et au facteur humain l’importance qu’ils méritent. C’est dans l’ADN de notre banque.

Et bien avant la Covid-19, nous avons pressenti la fragilité du tissu économique industriel et des PME/TPE. Nous avons lancé le fonds Moussanada, pour répondre à un besoin pressent de trésorerie. Aujourd’hui, nous traitons plus de 600 dossiers Moussanada, 600 demandes d’accompagnement, et les équipes commerciales et Risque travaillent tout les jours pour répondre aux demandes.

Il y a des entreprises dont le chiffre d’affaires a été impacté à hauteur de 80%, mais même celles dont le chiffre d’affaires a été impacté de 50% ou de 20% ne pourront pas honorer leurs engagements auprès des fournisseurs ou des salariés.

Moussanada est venu répondre à leurs attentes et leurs demandes au niveau de crédit et trésoreries externes, les rassurer et les sécuriser. 

Cette vision sociétale a permis au groupe Attijariwafa bank de conquérir l’Afrique… 

Dans notre groupe, la croyance est forte dans l’importance du social. Aucune possibilité de pérennité économique, croissance ou de développement sans le social et l’humain, sans un système éducatif de qualité, sans des écoles bien équipées et bien dirigées, et sans culture. Cette vision sociétale a permis au groupe Attijariwafa bank de conquérir l’Afrique, nous sommes dans le respect des cultures. 

Qu’en est-il du financement des start-up et des nouvelles tendances high-tech comme la robotique ou également des industries culturelles ? 

Encore une fois je rappelle que notre intérêt pour les start-up et l’innovation ne date pas d’aujourd’hui et n’a pas été suscité par la crise de la Covid-19. Nous avons dans notre portfolio des actions lancées en 2016/2017 dans l’innovation.

Nous disposons aujourd’hui d’un laboratoire d’innovation pour les jeunes et nous collaborons avec deux start-up avec lesquelles nous avons signé des contrats.

Des start-up travaillent maintenant selon des contrats lancés lors de ce quick-START.

En 2017, nous avons lancé une action innovante et inédite en mettant en synergie start-up et donneurs d’ordre des grandes entreprises. Des start-up travaillent maintenant selon des contrats lancés lors de ce quick-START.

Aujourd’hui, nous faisons ce que nous appelons la re-tactique stratégique. Il ne s’agit pas de rééquilibrage, c’est un système qui va permettre de donner un coup d’accélérateur à tout ce qui relève de la transformation digitale.

Le premier axe de notre stratégie consiste à donner tous les moyens y compris financiers pour la transformation digitale.

Quand on parle de transformation digitale, nous ne pensons pas gadget ou luxe de le faire, mais meilleur service et plus de performance et de réactivité pour aller aux devants des désirs de nos clients et nos partenaires toutes catégories confondues.

Nous sommes l’une des rares banques à avoir lancé, en pleine crise, trois produits

Nous sommes l’une des rares banques à avoir lancé, en pleine crise, trois produits, dont un le 18 mai, baptisé “Osrof we khabbi” pour relancer et reconstruire l’épargne nationale lésée ces dernières années. Dès qu’on a une carte bancaire, on peut à chaque opération de retrait ou de paiement, avec juste un clic, approvisionner votre compte épargne avec n’importe quelle somme, le montant varie entre 3 dinars et 30 dinrs ou plus.

Vous pouvez même décider d’un pourcentage à verser à chaque opération bancaire et ce produit est full digital et touche la masse.

Il y a aussi le produit “bienveillance” destiné au personnel de la santé, une manière de montrer notre gratitude aux personnes qui se sont dévouées en temps de crise et leur dire “vous avez pris soin de nous, et nous faisons de même”.

Le produit est extrêmement avantageux et il intègre le conjoint et les enfants qui peuvent profiter des avantages offerts au client initial dont les assurances. Ce produit a été lancé en pleine crise.

La banque a donné un grand coup d’accélérateur à la transformation digitale, pour un management plus agile. La crise de la Covid-19 a montré que le télétravail est efficient et nous avons pu gérer nos services avec des centaines de personnes par ce moyen. Toutes nos réunions se font par des visioconférences, et ça n’est aucunement handicapant. Nous comptons capitaliser sur ces nouvelles pratiques qui sont extrêmement importantes.

Désolée de vous poser cette question que vous avez eu à entendre très souvent mais qu’est-ce qui expliquerait, d’après vous, que certains investisseurs tunisiens pensent que l’accompagnement de votre banque et son soutien favoriseraient systématiquement les opérateurs marocains principalement en Afrique ?

Je vais répondre à cette question très directe et très basique avec deux éléments de preuve puisque nous sommes malencontreusement quelquefois interpelés à ce propos. Il faut voir en premier le modèle de management du groupe Attijariwafa bank. Ce modèle s’appelle “ethno system”. C’est un modèle qui permet à chaque filiale de définir sa propre politique de développement et de management ainsi que de son plan d’action sur le marché. Elle est autonome dans toutes les décisions qu’elle prend et la maison mère ne dicte rien du tout et ne donne aucun ordre. 

Le président du groupe, Monsieur Kettani, l’a signifié à maintes reprises. L’idée est que chaque filiale soit intégrée dans son environnement socioéconomique, et Attijari bank Tunisie se situe dans cette configuration.

Donc un investisseur tunisien qui veut être accompagné pour la conquête de marchés africains aura tout le soutien dont il a besoin de la part de notre banque. Et je vous assure que nous défendons nos clients avec acharnement et même férocement, en témoignent les success story des entreprises que nous avons accompagnées en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et pas seulement pour l’implantation finale mais aussi au niveau de la prospection du marché et des informations sur les opportunités qu’ils offrent.

Attijari bank n’a pas à cacher une réalité qui s’impose d’elle-même

Nous donnons des informations utiles sur les réglementations, les lois et les avantages dont peuvent profiter les opérateurs. Attijari bank n’a pas à cacher une réalité qui s’impose d’elle-même et qui fait qu’il est très présent en Afrique, nous sommes même fiers d’autant plus que nous faisons concurrence à des puissances économiques mondiales.

Notre force de frappe nous permet d’aider avec plus vigueur les opérateurs nationaux. 

Comment expliquez-vous la résistance d’Attijariwafa bank en Afrique et sa force de frappe lorsque de grandes banques internationales, notamment européennes, choisissent de quitter notre continent ?

Il y a eu beaucoup d’études à ce propos. Pour ma part, je l’explique par deux raisons principales : il y a d’abord la question de l’intégration, l’approche culturelle est capitale: nous arrivons à nous intégrer facilement dans les pays où nous nous implantons parce que tout simplement les paramètres environnementaux, socioculturels et économiques sont pris en compte et ceux qui conduisent la locomotive sont les enfants du pays.

Au Sénégal, nous sommes Sénégalais, en Côte d’Ivoire, Ivoiriens, au Cameroun, Camerounais

Au Sénégal, nous sommes Sénégalais, en Côte d’Ivoire, Ivoiriens, au Cameroun, Camerounais, et ainsi de suite.

Nous sommes connectés à l’environnement humain, civilisationnel et réglementaire des pays où nous sommes présents. Nous nous approprions leurs valeurs, culture et spécificités de ce pays, et ceci fait notre force.

Deuxième élément de réponse à votre question, certaines banques internationales quittent le continent parce qu’elles ne veulent pas prendre de risque opérationnel. Elles estiment que leur présence dans tel pays expose l’image du groupe puisqu’elle n’est pas rentable.

Pour terminer, devons-nous rappeler que nous sommes avant tout Africains et qu’il est tout à fait naturel qu’un Tunisien, un Marocain ou un Algérien se tourne vers l’Afrique? Il s’agit tout simplement d’un juste retour des choses.

Qu’en est-il du volet RSE d’Attijari bank qui constitue aujourd’hui l’âme de toute entreprise consciente de son rôle dans l’amélioration de son environnement naturel et humain ? 

Au fait, nous nous sommes rendu compte que nous faisons de la RSE depuis des années sans nous en apercevoir. Une RSE qui n’est pas cadrée mais plutôt opérée par un ensemble d’actions éparpillées à l’intérieur de la banque au niveau du personnel ou avec les associations.

Nous comptons aujourd’hui recentrer nos actions, les harmoniser et les orienter dans des actions utiles pour nous et pour notre pays via les associations comme l’éducation, la formation, le savoir, la culture, l’environnement et toute action citoyenne et associative en rapport avec ces thèmes.

je ne doute pas que les 1 800 employés Attijari bank seront les meilleurs ambassadeurs RSE.

La RSE est l’affaire de tout le monde et nous avons eu le plaisir de voir l’engagement de notre personnel dès qu’il est sollicité dans des actions citoyennes. Et nous voulons que tous les agents de notre banque deviennent des ambassadeurs RSE. Nous déploierons ce qu’il faut comme moyens humains et financiers pour les sensibiliser aux problématiques déterminantes de notre ère et de notre pays et les intégrer dans une logique d’action et de participation à la transition écologique et sociale que nous vivons.

Nous favoriserons le bien-être au travail et les embarquerons dans un ensemble de valeurs de citoyenneté, de solidarité sociale, de culture et d’éducation et, par la suite, je ne doute pas que les 1 800 employés Attijari bank seront les meilleurs ambassadeurs RSE.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali