Jadis, j’ai encore en mémoire l’atmosphère ramadanesque d’antan, à attendre fébrilement le coup de canon qui marquait la rupture du jeûne. Je me souviens du temps où on s’attablait autour d’un dîner placé sous le signe de la frugalité, où on allait vers le basique et l’essentiel. En ce temps là, le mot surconsommation n’avait pas de sens. Tout était partage et sobriété et générosité à la fois. Une atmosphère de quiétude, d’apaisante et culminante spiritualité loin des simulacres et des bigoteries du superflu.

En ce temps là, la spiritualité était telle qu’une marée qui avait atteint son point le plus haut, et qui restait longtemps stable, imperturbable. Mon Dieu! Sommes-nous devenus si vieux, si démodés, si fripés? Nous regardions des émissions qui ouvrent l’esprit et qui invitent à la réflexion. Génération ringarde aux yeux des plus jeunes… peut-être, mais n’était-ce pas mieux avant?

A l’heure où la course effrénée de l’audimat bat son plein, comment ne pas s’affoler face au flot de médiocrité déconcertant, déversé à la télévision, et qui ne cesse de se montrer sous ses formes les plus pernicieuses surtout en cette période sacrée ? 

A l’heure de la tyrannie de l’audience, comment ne pas s’alarmer face à un tel degré zéro de réflexion au point d’en anesthésier, pire même d’en euthanasier toute pensée critique pouvant émaner de nos jeunes ? 

Et pourtant, Dieu seul sait que la télévision représente un formidable vecteur de culture! Quitte à passer pour des vieux cons, ma génération à moi était friande des émissions inoxydables de “Questions pour un champion”, “Ushuaïa” , Echappées Belles… Dans un autre genre encore, les émissions de Néjib El Khatab, des contes et des légendes incontournables et envoûtantes d’Abdelaziz Aroui, des séries télévisées d’Ommi Traki et de Haj Klouf, figures immuables du mois de Ramadan qui enseignaient la morale sans pour autant être moralisateurs ! 

Dans l’ensemble, des émissions à visée pédagogique qui nourrissaient non seulement notre esprit, mais qui abreuvaient aussi notre soif de culture générale et qui, de surcroît, nous invitaient à la réflexion et au voyage. Une télévision qui s’évertuait jadis par sa variété de contenus, à aiguiser notre curiosité et à susciter l’intérêt pour d’autres cultures et d’autres horizons !

Ce fut un temps où il n’y avait ni Facebook, ni Youtube et encore moins cet engouement démesuré pour le numérique et le superflu. Nous regardions “Asfour stah” de Férid Boughedir sur la chaîne nationale et encore “la Boum” avec Sophie Marceau. Absolument rien ne suggérait l’invention du portable, d’Instagram ou encore de Candy Crash, armes de destruction massive ! C’était le temps du jeu à l’élastique, du walkman et de la cassette auto-reverse.

Nous passions des heures interminables à traduire des chansons à l’aide d’un dictionnaire et nous marquions une avidité particulière aux dessins animés, aux magazines que nous collectionnions et que nous gardions jalousement pour en faire de longues piles bien rangées et ostentatoirement déposées dans un coin de notre bibliothèque.

Une génération sans internet, ni Wifi. A peine un petit Minitel, fièrement gardé par les plus chanceux et sur lequel était déposé un petit napperon de laine confectionné par la daronne. 

Beaucoup comme moi sont le fruit d’une génération 80 en extinction qui pourrait paraître obsolète aux yeux des plus jeunes. Notre  génération est-elle percutée  et bousculée vers la sortie ? Ou serait-il plus juste de dire vers un précipice ? Ou encore plus judicieux de se demander si cette nouvelle génération pourrait survivre à une telle chute ?

Il y a quelques jours de cela, une émission diffusée sur une chaîne nationale avec 3 amis, a montré un bien triste spectacle de jeunes candidats manifestant une misère linguistique colossale et témoignant d’une sombre ruine du niveau de culture générale et qui a, semble-t-il, secoué la toile. Mais de quoi s’étonne-t-on au juste ? A quoi nous attendions-nous ?

Voilà l’exemple le plus probant d’une génération condamnée par la loi de la surconsommation et enclin à la décadence de l’esprit. Conséquences directes de la politique du nivellement par le bas, de la médiocrité ambiante et du mauvais goût télévisuel qu’on s’obstine à faire ingurgiter à nos jeunes ! Rares sont les émissions qui élèvent l’esprit, qui nourrissent la curiosité et qui invitent à la réflexion ! Une, deux émissions ? Et encore…

Celles qui se vantent de brandir l’étendard de sujets sérieux font l’objet d’une cacophonie traitant plus de débats stériles, et de coups bas d’une classe politique sclérosée que de vrais sujets qui servent l’intérêt national ! 

Aujourd’hui, pour répondre à cette dramatique dictature de l’audimat, on déverse des émissions qui invitent à ne pas voir plus loin que le bout de son nez et qui empêchent de cerner l’essentiel ! Des émissions stériles qui débitent des débilités, qui stéréotypent la façon de pensée et qui amputent les esprits ! Des plateaux télés d’un vide abyssal qui déversent du venin à nos enfants tel un serpent qui se jette sur sa proie, qui lui coupe sa circulation sanguine et qui finit par l’étouffer. Un véritable danger pour ces milliers de jeunes vulnérables auxquels s’ajoutent les feuilletons ramadanesques qui dépassent largement les limites de la bienséance, qui portent fortement atteinte aux bonnes mœurs  et qui excellent dans la banalisation de la violence, du haut banditisme voire de la criminalité ! 

Paradoxalement, nul ne doute que notre pays regorge d’élites et foisonne d’intellectuels qui marquent un intérêt certain et indéfectible pour le goût et le raffinement. Des Tunisiens qui développent un intellect particulier aux vraies subtilités du geste et du verbe. Des Hommes ayant un sens profond de la rhétorique et aux valeurs citoyennes solides que rien et nul ne peut altérer.

Quelle meilleure preuve que celles de nos compétences qui sillonnent le monde jusqu’à aller à la conquête des plus grandes puissances mondiales ! Beaucoup décident malgré tout de rester et de briller. Eux seuls peuvent empêcher la piteuse industrie télévisuelle -et osons le dire, la télé-poubelle- de faire de nos jeunes des proies à la débilité, à l’oisiveté, à l’échec scolaire et à la délinquance.

N’est-il pas temps d’agiter le chiffon rouge à nos quelques piètres chaînes privées qui, pour se faire encore plus d’argent, seraient prêtes jusqu’à aller faire de nos jeunes de la chaire à canon ?

Tunisiens, réveillez-vous ! La maison brûle et nous regardons ailleurs!

Karima Saoudi Mezzi