Les think tank, Cercle Kheireddine et Forum Ibn Khaldoun, ont récemment co-organisé une conférence-débat sur la soutenabilité de la dette tunisienne, voire sur la capacité du pays à continuer à emprunter et à pouvoir se développer en même temps.

Pour animer le débat, ils ont invité, entre autres, Abdelhamid Triki, ancien ministre du Plan et de la Coopération internationale, pour traiter des contraintes de la dette tunisienne et des conditions à réunir pour garantir sa soutenabilité.

De prime abord, M. Triki a annoncé la couleur en estimant que «le recours à deux reprises aux facilités du FMI (en 2013 et en 2016) pour pouvoir mobiliser les ressources nécessaires, la Tunisie a atteint le seuil de la non soutenabilité de sa dette extérieure même si le service de la dette en pourcentage des recettes courantes en devises se situe à 11,6% (Conditions favorables de la dette)».

L’ancien ministre devait analyser, ensuite, les contraintes découlant de la dette contractée et celles liées à la mobilisation de futures ressources d’emprunt.

Les contraintes

S’agissant des premières contraintes, il a indiqué que «les tirages effectués sur les crédits à moyen et long terme sur l’ensemble de la période 2011-2018 (environ 50 milliards de dinars) laissent présager une forte tendance haussière du service de la dette au cours des prochaines années, une fois dépassées les périodes de grâce».

«D’ores et déjà, a-t-il expliqué, le remboursement du principal de la dette commence à augmenter, à partir de 2016, en raison notamment de plusieurs facteurs : l’arrivée à échéance des premiers crédits octroyés par la Banque mondiale et la BAD au début de la période de transition, et surtout du crédit Stand by accordé par le FMI en 2013, les décaissements, à partir de 2018, des 3e, 4e et 5e tranches, au titre de la Facilité élargie se sont élevés à 1,958 milliard de dinars, et les remboursements du principal au titre du Stand by qui se sont élevés 1,356 milliard de dinars.

Toujours à propos des contraintes inhérentes aux dettes antérieures, M. Triki a relevé que, pour les prochaines années, des difficultés seront rencontrées pour les crédits remboursables sur une période allant de 5 à 10 ans. «Ainsi, 1 à 2 prêts seront remboursés chaque année, notamment en 2021 et 2024», a-t-il noté.

Concrètement, la Tunisie va connaître, durant les années 2021, 2024 et 2025, de fortes pressions. Au cours de ces trois années, elle aura à rembourser de gros montants. selon les données présentées au cours de ce débat, la Tunisie aura à rembourser, en 2021, deux prêts garantis par les Etats-Unis d’Amérique d’un montant global d’un milliard de dollars, en 2024 et en 2025 de deux prêts contractés sur le marché financier international privé de 1,850 milliard d’euros.

Concernant les contraintes liées aux futures ressources d’emprunt, M. Triki a signalé, également, des difficultés à rencontrer au niveau de la mobilisation de ressources auprès des bailleurs de fonds multilatéraux pour lesquels la marge de manœuvre pour accorder de nouveaux crédits à la Tunisie devient très limitée compte tenu du niveau élevé d’engagement atteint.

La Tunisie aura également beaucoup de peine à recourir au marché financier international pour emprunter à des conditions favorables en raison des dégradations successives de la notation du risque souverain de la Tunisie (sept fois depuis 2011).

Un scénario tendanciel

Pour réduire le taux d’endettement, l’ancien ministre du Plan propose deux scénarios : un scénario tendanciel et un scénario normatif.

Le scénario tendanciel suggère les hypothèses suivantes: une croissance annuelle moyenne du PIB de 1,7% par an, un taux d’investissement moyen de 18,5% durant la période 2021-2025, un déficit courant de 9% de la balance des paiements, et un accroissement annuel des IDE au taux moyen de 2%.

Les principaux résultats attendus seront, d’après lui : les besoins de financement extérieurs seront de l’ordre de 115 milliards de dinars, le déficit courant de 68,8 milliards de dinars, l’amortissement du principal de la dette avoisinera les 38,6 milliards de dinars, les IDE seront de l’ordre de 15,7 milliards de dinars, les ressources d’emprunts à 86,050 milliards de dinars, le taux d’endettement (fin 2025) à 84% et le coefficient du service de la dette par rapport aux recettes courantes en devises (2025) sera d’environ 18%.

Et M. Triki d’en tirer la conclusion : «Avec l’augmentation des indicateurs de la dette selon ce scénario, la dette extérieure ne sera pas soutenable et les ressources d’emprunt ne pourront ps être mobilisées».

Un scénario normatif

Le scénario normatif propose quant à lui une relance significative de la croissance, une reprise de l’investissement et une amélioration de la compétitivité et de la productivité.

Il recommande un ensemble de réformes articulées autour de trois axes : la relance de la croissance et la stimulation des exportations, la rationalisation des dépenses courantes (option pour l’austérité) et la diversification des ressources de financement (mobilisation de ressources non génératrices de dette, notamment des recettes de privatisation en devises…).

Parmi ces réformes figurent l’amélioration du climat des affaires, la digitalisation de l’administration, le recours aux nouvelles technologies numériques, le développement des services logistiques de transport, le renforcement du secteur bancaire, le recours au partenariat public privé pour réaliser les gros projets d’infrastructure, l’institution d’incitations à l’épargne et à l’investissement, la privatisation d’entreprises publiques…

Pour mener avec succès toutes ces réformes, M. Triki considère qu’il importe, au préalable, d’améliorer la visibilité (stabilité politique et sociale) et de rétablir la confiance entre les différentes parties concernées (hommes d’affaires, administration, société civile …).

Dont acte.