L’indice de production industrielle en Tunisie a reculé de 3% et les exportations des biens ont régressé de 4,5% en 2019. D’après l’INS, en volume, nos exportations ont baissé dans plusieurs secteurs au cours des onze premiers mois de l’année 2019.

Il s’agit notamment des secteurs de l’agriculture et l’industrie agroalimentaire (-17,4%), du textile/habillement et cuir (-4,9%), des industries mécaniques et électriques (-2,4%).

Pour rappel, les exportations de la Tunisie en direction de l’Europe, en 2010, étaient de 9,5 milliards d’euros, le Maroc, lui, y exportait des biens pour 7,8 milliards d’euros. Depuis, la Tunisie a stagné -révolution et incompétents obligent- à 10 milliards d’€ et le Maroc est passé à près de 16 milliards d’euros d’exportations.

Des chiffres qui ne souffrent aucun doute et à propos desquels personne ne doit être fier se pavanant dans les médias pour crier ses réussites. La révolution ne justifie pas tout, l’incompétence et l’allégeance politique expliquent certains de nos lacunes en matière. Et la désindustrialisation de la Tunisie est bel et bien avancée.

C’est d’ailleurs l’une des rares avancées (sic) réalisée par les maîtres des lieux qui pensent qu’un professionnel de la politique, et qui plus est de la politique populiste à souhait, peut réussir les politiques économiques.

Et pour preuve, l’indice de production industrielle avait déjà régressé en 2018 de 0,1%, due principalement à baisse de la production dans le secteur des industries manufacturières (-2,8%) et nos géniaux décideurs politiques n’ont pas été alarmés.

Et pourtant, l’INS a affiché les chiffres : une baisse de 2,7% du secteur de l’industrie mécanique et électrique, -14,7% affiché par l’industrie chimique, -5,7% observé dans le secteur de fabrication d’autres produits minéraux non métaux et -3,1% dans le secteur de l’industrie de textile-habillement et cuir.

En un mot, tous les secteurs industriels ont reculé. Peut-on parler, dans ce cas, d’un bilan positif et de réalisations ? Peut-on justifier la débandade de nos industries à la crise structurelle du secteur énergétique ? Au phosphate dont l’extraction dépend des caprices des jeunes chômeurs de Gafsa ou de ses «députés» affairistes ?

A l’incapacité de l’Etat à augmenter la production du gaz et du pétrole parce qu’il a perdu sa souveraineté sur les sites pétroliers et il ne veut pas heurter la sensibilité des contestataires professionnels, ou reconnaître un handicap réel : celui de l’absence de la méritocratie du largage des fois et de la démission souvent des compétences au sens propre et figuré écœurées par l’inaptitude du leadership politique ?

Et depuis que nous sommes devenus une démocratie (sic), il est de notoriété publique que les décisions des gouvernements varient en fonction des échéances électorales et que leur autorité n’est exercée que lorsqu’ils sont sûrs que leurs chances de se faire élire ou réélire ne sont pas menacées.

Du coup, le pays souffre d’une dépendance aiguë à un électorat aussi bien versatile que peu habitué aux vertus de la démocratie et navigue au gré des desiderata des uns et des autres.

Une légitimité électorale destructrice !

En Tunisie, la légitimité électorale justifie tout et transcende tout, balayant sur son passage souveraineté de l’Etat, politiques économiques avisées et intérêts vitaux, sans parler du nettoyage au karcher des plus hautes compétences de l’Etat, et même leur castration, car dans leur bêtise, les nouveaux arrivants n’ont pas compris que ce sont les compétences qui gèrent un Etat. Les politiques mettent à contribution les plus hautes expertises pour concevoir des stratégies à moyen et long termes au service du développement du pays et de sa croissance.

La légitimité électorale est devenue destructrice parce que nos choix ne se font pas en fonction des projets socioéconomiques pour la réalisation de notre bien-être, mais dictées par nos émotions et nos penchants idéologiques.

Nous pouvons élire un terroriste, un illuminé, un ignare ou même un traître parce que son discours démagogique et populiste nous plaît. Un peuple porté par l’émotion ne peut élire ceux qui peuvent servir au mieux ses intérêts.

La logique du vivre au jour le jour

Conséquence : c’est la logique du vivre le jour le jour ! Nous sommes passés maîtres dans les effets d’annonces de projets conçus depuis le règne du «dictateur».

Notre fisc est des plus imaginatifs et met à contribution une armada de lois pour imposer des redressements (sic) à des entreprises déjà redressées et qui finissent par prendre la poudre d’escampette, épuisées qu’elles sont par les “tribunaux fiscaux“. Le plus important pour nos chers dirigeants est de réduire le déficit budgétaire, le reste est accessoire.

Qu’importe que des entreprises subissant une pression fiscale jamais vécue auparavant ferment leurs portes, partent à l’étranger et mettent en chômage des milliers de personnes pendant que nombre de richissimes forfaitaires et même des contrebandiers se la coulent douce protégés par de forts lobbys parlementaires et une capacité de verve et de verbe impensable.

Tous les secteurs économiques tunisiens sont gérés comme les propriétés privées, des partis politiques qui gagnent ou arrachent les élections. Le nouvel entrepreneuriat politique, suivant la logique de «celui qui est élu doit gouverner» même s’il est un ignare et souffrant d’un déficit patriotique aigu, a pris le dessus sur l’expérience, l’expertise et la compétence.

Pire, nombre de partis récompensent ceux qui s’activent pendant leurs campagnes électorales ou les financent, qu’ils soient nationaux ou internationaux, aux dépens de la gestion réfléchie, avisée et efficiente de l’économie nationale.

Aujourd’hui, le secteur qui souffre le plus de cet état de fait est, n’en déplaise à Monsieur Slim Feriani, ministre de l’Industrie, le secteur industriel qui a reçu le coup de grâce sous sa direction.

Aucune réalisation notable à part les extensions faites par des investisseurs étrangers de longue date ou le lancement des projets d’énergies renouvelables conçus et réfléchis depuis plus de 15 ans.

Et lorsque Afif Chelbi, président démissionnaire du Conseil d’Analyses économiques, parle du danger de l’orientation économique «business as usual» qui ouvrirait la voie au scénario de récession, à la désindustrialisation et à la sortie de la Tunisie du monde de la création de valeur, ce n’est certainement pas pour faire de l’alarmisme gratuit et à deux sous.

Quand il prévient des risques du «recul de la production industrielle au cours des neufs premiers mois 2019, après une quasi-stagnation du secteur au cours des 8 dernières années ce qui corrobore l’éventualité du scénario de la désindustrialisation», ce n’est assurément pas pour faire de l’ombre aux ministres brillantissimes qui ont pris cette orientation depuis 2011 et qui continuent sur cette voie sans aucune vision stratégique.

Lorsque Nafaa Ennaifer, président du Centre tunisien de veille et d’intelligence économique annonce, à voix haute lors de la 34ème édition des Journées de l’entreprise, que ces 9 ans ont été dramatiques pour l’économie nationale, il ne le fait pas pour le «buzz».

D’ailleurs, il l’explique : «Nous n’avons cessé de subir les conséquences des défaillances de notre système politique, de régresser en termes de compétitivité et de perdre du terrain devant des pays concurrents, de voir s’aggraver chez nous les disparités sociales et l’exclusion, et de constater la perte de valeurs chez nombre de nos concitoyens», et ce n’est certainement pas pour heurter la sensibilité des dirigeants brillantissimes de notre cher pays qu’il l’avait dit.

Il a pointé du doigt des vérités que tout le monde connaît et feint de ne pas voir, qu’il s’agisse du manque de volonté politique et des résistances de tous genres, du problème de méthode et des ressources et de l’Administration et des structures d’appui qui se vident à la vitesse V de leurs compétences rarement remplacées par des personnes de même envergure.

Et à ce train-là, ce n’est certainement pas l’élaboration d’une «Stratégie industrielle et d’innovation à l’horizon 2035» d’ores et déjà entamée qui sauvera la donne.

La volonté, le savoir-faire et la vision n’y sont pas!

Aux années 2000, l’idée que la Tunisie était que le dragon de l’Afrique avait fait du chemin. Beaucoup y ont cru si ce n’est que le dragon en question a très rapidement perdu de son superbe et de sa puissance de feu après 2011, ce qui fait douter de nombre des politiques économiques de l’époque quoique de loin meilleures que celles d’aujourd’hui.

M. Ennaifer a cité un véritable dragon de l’Asie appelant les décideurs publics à le prendre comme exemple : Singapour. «Le miracle économique de Singapour a reposé sur 4 piliers, a-t-il expliqué : un Etat de droit et une application stricte de la loi, une forte méritocratie, une excellente gouvernance et une discipline générale érigée en religion».

En Tunisie, les religions se font et se défont au gré des doctrines dominantes à l’ARP et qui ne vont pas très souvent dans le sens des intérêts du peuple ou de l’Etat.

La Tunisie a besoin d’un visionnaire comme Lee Kwan Yew, Premier ministre et père de la nation à Singapour et qui a transformé une petite île insignifiante en une puissance économique incontournable dans le monde.

En Tunisie, on tue les pères de la nation, on ne les crée plus !

Amel Belhadj Ali

*Journée consacrée au projet de pacte pour la compétitivité économique et l’équité sociale 2020/2025