La mobilité urbaine dans le Grand Tunis menace d’effondrement. Si l’Etat ne régule pas le secteur, ce sera l’anarchie avec le rush des solutions artisanales. Quand l’Etat est financièrement impuissant, pourquoi ne pas recourir à la délégation de service public et amener les investisseurs privés ?

Le Cercle Kheireddine a consacré son dernier séminaire mensuel au dossier de la mobilité urbaine en se penchant sur le cas du Grand Tunis. Abdelatif Baltagi, consultant international et économiste du transport, ainsi que  Salah Belaid, ancien PDG de la Transtu, ont animé les débats.

Il ressort de ce séminaire que le transport public sur tout le territoire se trouve dans un état lamentable. Et, dans le Grand Tunis, il est dans un état de délabrement avancé. La Transtu est étouffée financièrement. Et, la modeste perfusion budgétaire est improductive. Rien ne roule. Le projet RFR est en stand-by. Le métro léger est surutilisé. Le parc d’autobus est en déclin régulier. Sur un parc de 1 200 véhicules, seuls 500 sont en service.

Le Programme national de transport public remonte à 1998, et les études techniques ont été réalisées entre 2003 et 2006, mais en vain. Elles sont laissées en plan. En dehors de quelques subventions financières destinées à permettre au secteur d’avoir la tête -à peine- hors de l’eau, rien de structurel n’a été entrepris, depuis 2011.

L’espace est régulièrement encombré et il y a un désordre qui exaspère les usagers. Ajouter qu’au plan écologique, c’est un vrai désastre.

S’il est vrai que les tarifs sont restés bas, la dégradation du transport sous l’angle de la sécurité mécanique, de la sécurité des passagers à bord, du confort et de la ponctualité, est en déclin constant.

La Transtu, l’opérateur historique, n’est plus en situation d’assurer. En l’absence d’une offre publique conséquente, fatalement les usagers, demain, seront contraints et forcés de recourir aux moyens de transport de fortune. C’est-à-dire aux pousse-pousse, aux triporteurs et à tous les moyens de débrouille. Tunis présentera une physionomie semblable à ce qui se passe dans certaines capitales des pays les plus démunis sur le continent. Et ce sera désolant du point de vue de l’ordre urbain et incontrôlable du point de vue de l’ordre de la circulation. Sans compter que socialement ce sera une bombe à retardement.

Une panne géante sur le Grand Tunis

Il faut savoir que le Grand Tunis en superficie est proche de celle de l’Ile de France, soit la région de Paris. Et sa population est égale à celle de Paris intramuros. Fatalement, ça doit rouler dans cette zone géographique. Or, la mobilité urbaine dans le Grand Tunis est abandonnée à une double dérive. Celle-ci est d’abord technique. Le Plan global de circulation n’a pas été reconfiguré comme le dicte l’expansion urbaine importante dans cette aire. Momentanément, la voiture populaire a résolu le problème. Mais très vite cette solution a touché ses limites et n’est plus opérante. La circulation bouchonne de partout. L’espace est régulièrement encombré et il y a un désordre qui exaspère les usagers. Ajouter qu’au plan écologique, c’est un vrai désastre.

Une solution est-elle possible ?

Le plan de 1998, lequel entre autres avait programmé le RFR, pourrait, s’il était appliqué, soulager provisoirement la situation. Pour sa part, le RFR, destiné à desservir la périphérie et la banlieue éloignée tel Zaghouan, est à l’arrêt. Son réseau, long de 85 km, est actuellement bloqué à 16 km et un problème de passage par le Bardo freine la réalisation du projet. Le déblocage était prévu pour le mois d’octobre dernier. Il est reporté au mois d’octobre de 2020, allez savoir encore si ce report sera respecté.

Le métro léger est resté figé dans son schéma d’origine. L’ennui est que la solution du métro souterrain, underground, est à écarter compte tenu de la nature du sol à Tunis. Celui suspendu est au-dessus de nos moyens. Les viaducs, construits à profusion ont légèrement desserré. La solution est donc dans le transport terrestre par autobus. Or, le parc actuel de la Transtu est défaillant. Le réseau de dessertes et la politique de tarification n’ont pas été reconfigurés. Et en certains endroits, la Transtu a jeté l’éponge, abandonnant carrément les tronçons où les pertes sont trop élevées. C’était une occasion, précisément, pour envisager de céder ces sections au transport privé dans un cadre dûment réglementé.

fatalement les usagers, demain, seront contraints et forcés de recourir aux moyens de transport de fortune. C’est-à-dire aux pousse-pousse, aux triporteurs et à tous les moyens de débrouille

Le gouvernement de la Troïka avait préféré les confier aux particuliers propriétaires de minibus à 9 places. Cette option est controversée car elle perturbe la circulation et ne répond pas aux attentes des usagers. Si cette situation persistait, ce serait la porte ouverte à l’irruption des solutions de débrouille avec l’intrusion des pousse-pousse, des tricycles, des motocyclettes et qui sait des carrosses.

Proche de nous, le Maroc face à une situation identique, a tenté une sortie par le haut. L’Etat a gardé la haute main sur la planification des réseaux et les investisseurs privés ont occupé la place. Et la situation a trouvé un équilibre satisfaisant et profitable à tous. Il est à craindre, alertent les experts, qu’en dehors d’une intervention d’envergure de la part de l’Etat, un crash des transports puisse nous prendre par surprise. Et il est possible d’éviter ce scénario frisson.

La Transtu étouffée par son déséquilibre financier

Résultat de la fusion entre la SMLT (Métro léger) et la SNT, la Tanstu devait bénéficier d’un effet d’économies d’échelle, dans l’esprit des initiateurs de cette opération. Or, on découvre que le rail et le bus sont deux métiers difficiles à concilier. Et les deux compartiments sont restés cloisonnés. La synergie recherchée a fait défaut. L’ennui est que la société n’a plus bénéficié de l’attention des pouvoirs publics. Il faut savoir que la Transtu est ligoté de contraintes pénalisantes, de toutes parts. Elle n’est pas maîtresse de ses tarifs, dictés par l’Etat. Et ceux-ci n’ont pas varié depuis une décennie, au moins. Leur réajustement aurait pu contenir, un tant soit peu, le déséquilibre financier de l’entreprise.

Les frais de personnel de la TRANSTU ont tout simplement doublé depuis 2011

Par ailleurs, les tarifs étant progressifs car calculés par seuil de section, c’est-à-dire de kilométrage parcouru, font que les usagers s’en tiennent au tarif minimal privant l’entreprise de chiffre d’affaires. Outre qu’en l’absence de contrôle à bord des voitures, les resquilleurs sont légion.

Prise en ciseau entre des recettes qui déclinent et des charges en expansion, la trésorerie est lourdement grevée. Les frais de personnel depuis 2011 ont tout simplement doublé. On a imposé à la Transtu le recrutement de 1 200 cadres, dont au moins 1 100 sont en surplus.

Par ailleurs, avec un parc vieillissant, les frais d’entretien ont explosé. Faute de trésorerie, les fournisseurs privés ne veulent plus fournir les pièces détachées. On vous laisse imaginer le manque à gagner d’une flotte de 800 bus non engagés dans l’exploitation.

Ce contexte plaide en faveur d’une ouverture du secteur à un Partenariat Public privé, bien encadré. La solution à cette situation est éminemment politique. Pencher pour une solution concertée avec le privé nous appuierait un ajustement sur le standard des pays émergents. La solution alternative, qui consisterait à laisser faire, serait désastreuse, à tous points de vue.

Ali Abdessalam