Gérée depuis son lancement au début du 20ème siècle sous l’angle exclusif de la rentabilité économique, l’industrie du phosphate est confrontée, aujourd’hui, à deux nouvelles donnes : la soutenabilité environnementale et la soutenabilité sociale.

Zoom sur une industrie qui a toujours un bel avenir si toutefois les conditions sont réunies…

Après 9 ans de confrontation directe avec les communautés du bassin minier et des sites de transformation du phosphate en acide phosphorique, les gouvernants du pays sont convaincus de l’impératif de restructurer sur de nouvelles bases cette industrie extrêmement polluante.

La restructuration du secteur est impérative

Au regard de l’ampleur des contestations, cette restructuration doit nécessairement tenir compte du droit des communautés à un environnement sain et à des sources de revenus décentes.

Conséquence : au moment où le commun des Tunisiens pense que l’accroissement de la production et la transformation de phosphate pourraient booster les exportations du pays, atténuer le déficit exorbitant de la balance commerciale et contribuer à la reprise économique, des analyses plus fines de la situation socio-économique dans le bassin minier estiment que c’est le scénario contraire qui pourrait se produire. Autrement dit, c’est le contribuable qui va être obligé, un jour ou l’autre, de mettre la main dans la poche pour financer la restructuration d’un secteur sinistré.

Et pour cause, la non-acceptabilité sociale et environnementale de la production du phosphate et dérivés, matières extrêmement polluantes, exploitées en plus de façon inéquitable, risque de coûter très cher dans l’avenir à l’Etat.

“Monsieur phosphate”, Kais Dali, ancien PDG de la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG) et du Groupe chimique tunisien (GCT), estime qu’avec «l’émergence, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, d’une forte demande sociale pour une meilleure qualité de vie, pour un environnement sain et pour une gestion inclusive des ressources naturelles du pays, il va falloir, tôt ou tard, accepter soit la fermeture, soit le transfert en dehors des zones urbaines de tous les équipements polluants (usines, ports…).

Selon Kais Daly, qui s’exprimait, il y a une année, lors d’un séminaire sur l’avenir du phosphate en Tunisie, ce scénario va avoir un coût qu’il évalue à « 3 milliards de dollars ».

La non-acceptabilité environnementale est légitime

Concernant la demande environnementale, le gouvernement a décidé, à la veille de l’élection présidentielle anticipée de 2019, l’arrêt immédiat de l’activité de la Société industrielle d’acide phosphorique et d’engrais (SIAPE), unité de production du triple super phosphate (TSP).

De toute évidence, cette décision constitue un avant-goût de cette restructuration du secteur. Car cette fermeture est accompagnée d’un engagement du gouvernement à rénover le site et à maintenir les postes d’emploi.

Selon nos informations, le démontage de cette unité, revendiqué par les Sfaxiens depuis des décennies, a été décidé suite à deux rapports accablants. Le premier a été élaboré le 14 novembre 2018, tandis que le second, plus récent, a été effectué le 18 juillet 2019.

Les choses sont hélas plus compliquées à Gabès. Les Gabésiens rejettent en bloc les industries chimiques et toutes les solutions proposées par le gouvernement. Parmi ces propositions, figurent le rallongement des canalisations d’évacuation du phosphogypse dans la mer et l’aménagement d’un site pour l’enterrement de cette matière à 25 km de la ville.

Il faut reconnaître que la situation est intenable dans cette région du sud de la Tunisie. Pour saisir l’ampleur des problèmes écologiques auxquels est confrontée cette ville, tout récemment (fin juillet 2019), la mer a rejeté sur la plage de Kazma (sud-est de Gabès) d’importantes quantités de phosphogypse, matière polluante générée par la transformation par le Groupe chimique du phosphate en acide phosphorique.

Cet incident a provoqué une véritable panique auprès des estivants mais aussi auprès des autorités administratives et environnementales de la région.

D’importants moyens ont été mobilisés par l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL) pour tamiser le sable et nettoyer la plage qui s’étend sur 4 kilomètres.

Le coût de la pollution à Gabès

Selon une étude sur l’impact de la pollution des industries chimiques sur l’économie de la région, réalisée par l’Agence française d’expertise technique “Expertise France“ dans le cadre du Projet d’appui à la gouvernance environnementale locale à Gabès (PGE-Gabès), projet financé par l’Union européenne (UE), les rejets gazeux, solides et liquides ont un coût considérable sur plusieurs secteurs importants.

«Le coût annuel de dégradation de l’environnement (CDE) est estimé pour la seule année 2015 à 76 millions de dinars tunisiens (MDT). La pêche subit, à elle seule, 47% des pertes, soit 35 MDT par an. Viennent ensuite le tourisme avec 25 MDT (-33%) et l’agriculture avec 5 MDT (-7%).

Il faut ajouter à cela le poids supplémentaire pesant sur le système de santé, estimé à près de 10 MDT par an (-13%)», relève l’étude.

Dans la région de Gafsa, la pollution est certes présente mais c’est surtout la gestion inclusive de cette ressource minière et l’impact de son exploitation sur la santé des Gafsiens qui posent problème. C’est l’objet de notre prochain article.

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