Plusieurs politiques et personnes ambitieuses ont pour principale visée le palais de Carthage, symbole de la souveraineté nationale, formant “un archipel” de candidatures reposant sur des promesses politiques annonçant l’ouverture et l’essor, mais faisant face à une réalité économique négligée par le jeu politique et le partage des rôles pour ainsi être totalement absente de la scène électorale dans le pays.

Il est difficile, aujourd’hui, pour quiconque, dans ce monde caractérisé par la priorité absolue accordée au volet économique au détriment de celui politique d’imaginer un candidat à l’élection présidentielle, prévue le 15 septembre 2019 en Tunisie, n’ayant pas une vision économique claire.

L’agence TAP présente ainsi une analyse du rôle dévolu au Président de la République dans la réalisation de la relance économique, à la lumière de la situation politique prévalant dans le pays que l’un des experts contactés a qualifié d'”archipel” de groupements économiques ne possédant pas de vision, d’où un éventuel soulèvement économique du à la baisse de la croissance économique et la cherté de la vie.

Une course à l’exécutif et rôle économique du président

L’élection présidentielle anticipée a connu une augmentation du nombre de candidats issus de partis et d’indépendants pour atteindre 97 dossiers déposés auprès de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), un précédent dans l’histoire de la Tunisie, pour arriver finalement à l’acceptation de 26 dossiers de candidats (partis et indépendants)remplissant les conditions ) dont 7 avaient échoué lors de l’élection de 2014. Le nombre de candidatures a dépassé celui de la précédente élection de 2014 à laquelle ne s’étaient présentés que 70 candidats.

Alors que la domination multipartite de la scène politique représentait un point positif pour donner une image claire des changements de la sphère politique après la révolution. Cette prolifération, estiment cependant les experts, va semer la confusion parmi les électeurs et pourrait constituer un obstacle au choix du peuple de ses représentants et son président auquel incombe la responsabilité de mettre en place les bases d’une vie politique susceptible de relancer l’économie et de réaliser la paix sociale.

La nouvelle Constitution tunisienne définit les pouvoirs conférés au président de la République. “Le président de la République est le chef de l’Etat et le symbole de son unité garantissant son indépendance et sa pérennité, tout en veillant au respect de la Constitution. Il nomme, par ailleurs, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et paraphe les lois.

Pour Anis Jaziri, en dépit de ses pouvoirs ne lui permettant pas d’intervenir dans les affaires économiques intérieures, le chef de l’Etat joue un rôle sur la scène internationale pour ouvrir des perspectives et de nouveaux marchés afin d’attirer l’investissement étranger et faciliter l’accès au financement extérieur.

La controverse autour des fonctions du Président de la République dans la nouvelle constitution de 2014 et son rôle dans le traitement des dossiers économiques s’est accrue après les résultats économiques obtenus au cours des années qui ont suivi la révolution, selon le spécialiste en économie politique Jamel Aoudidi qui considère que “cette controverse est légitime”.

Et de poursuivre:”presque à l’unanimité, des experts et des institutions compétentes de l’intérieur et de l’extérieur du pays ont constaté que tous les indicateurs économiques et sociaux ont enregistré un net recul. Le taux de croissance entre 2010 et 2018 a régressé à 1,8%, alors qu’il était de 5,6% durant la période entre 1966 et 1987 et 4,4% entre 1987 et 2010″.

Le taux de croissance s’est répercuté directement sur le plan social, à travers une baisse significative de la création d’emplois pour faire face au taux de chômage galopant, en particulier dans les régions de l’intérieur.

L’expert a déclaré: “Dans ce sens, nous avons le droit de poser aujourd’hui des questions sur les relations et le rôle du Président de la République dans le traitement des dossiers économiques, d’autant plus qu’ils revêtent une grande importance pour ne pas dire un grand danger”.

Et Aouidi d’expliquer que les prérogatives constitutionnelles du Président de la République sont importantes et ont un contenu économique et social dépassant de loin les prérogatives, que certains ont voulu limiter à la question des relations extérieures et de la défense. Ainsi, l’article 72 de la Constitution stipule que le Président de la République est le chef de l’Etat et le symbole de son unité, garantit son indépendance et sa continuité et veille au respect de la Constitution.

Il a précisé que l’article 78 de la Constitution examine plus profondément le rôle économique du Président de la République, étant donné qu’il stipule que ” le Président de la République nomme le gouverneur de la BCT sur proposition du Chef du gouvernement et après approbation de la majorité absolue des présents à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Il est mis fin à ses fonctions suivant la même procédure ou à la demande du tiers des membres de l’ARP et l’approbation de la majorité absolue des membres de l’Assemblée.

Partant de cette idée, l’expert a précisé qu’il est à souligner que les prérogatives du Président de la République en tant que chef d’Etat sont importantes, notamment s’il s’agit de sa responsabilité de veiller au respect de la Constitution du pays.

Il s’est référé à l’article 10 de la Constitution qui stipule que le paiement de l’impôt et la contribution aux charges publiques constituent un devoir, conformément à un régime juste et équitable. Cet article concerne l’équité sociale qui ne peut être assurée que si l’impôt est un renforcement de cette orientation vers la justice et l’équité.

Et d’ajouter, à ce titre, que certains cas, ont nécessité l’intervention du président de la République, lors de l’augmentation du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de 18% à 19% (la loi de finances 2018), pour proposer un amendement conformément au principe de l’équité.

En outre, l’accroissement du phénomène de l’évasion fiscale nécessite l’intervention du Président de la République pour mettre en œuvre la décision constitutionnelle, en utilisant toutes ses prérogatives, dont sa décision de ne pas parapher la loi de finances, si une nonchalance du gouvernement est relevée dans ce chapitre vital qui assure des recettes à l’Etat.

Il a fait remarquer que les rapports publiés par les Instances de contrôle (Cour des comptes et les Instances de contrôle administratif et financier…) auraient du faire l’objet du contrôle de la Présidence de la République et celle du gouvernement. Ainsi, la Présidence de la République aurait pu demander au gouvernement de prendre les décisions nécessaires pour prendre les mesures idoines dans les meilleurs délais.

Il est du devoir du Président de la République de demander officiellement de fournir et de préserver les moyens publics nécessaires, tels que le secteur de la santé, de suivre les réalisations et de mettre en œuvre ses prérogatives, dont le référendum sur les sujets
cruciaux.

Président de la République: diplomatie économique et approche de la sécurité

“La sécurité n’a pas une dimension uniquement sécuritaire, elle en a une autre économique. Si on améliore l’inclusion économique des jeunes par exemple, on réduit beaucoup la délinquance et la sécuritaire s’améliore “, a déclaré Zohra Karray, économiste et universitaire.

“Par ailleurs, la diplomatie économique est l’une des meilleures façons de contribuer à l’amélioration des conditions économiques du pays et la présidence de la République peut promouvoir ces actions”, selon l’universitaire.

L’économiste et ancien ministre des Finances, Hakim Ben Hammouda, a déclaré que le président est responsable de la protection de la société et de la résolution des crises majeures et est le garant du contrat social.

A cet égard, le président de la République doit veiller au soutien du gouvernement au niveau externe auprès des bailleurs de fonds et des principales institutions financières.

“IL s’agit d’une responsabilité morale concernant les questions économiques et sociales”, selon Ben Hammouda.

Le volet économique est le dernier souci des partis

Karray a affirmé : ” ce qui m’inquiète est la non clarté de la vision des partis et candidats pour solutionner les problèmes économiques, notamment en absence de propositions réelles, sérieuses et opérationnelles, d’autant plus que le discours des candidats ne reflète pas des priorités dans leurs programmes économiques “.

Ben Hammouda confirme les dires de Karray, qualifiant de “faible” le volet économique figurant dans les programmes des candidats.

Idem, d’autres experts interviewés par l’Agence TAP considèrent que la plupart des candidats à l’élection présidentielle en Tunisie manquent de formation dans les domaines économique et social.

En outre, la plupart d’entre eux n’ont pas assumé de responsabilités au sein du gouvernement, alors que ce phénomène est rare au niveau international.

Et de poursuivre: il est impossible que le premier emploi occupé par le candidat à la présidentielle soit un poste de président de la République ou un député au parlement.

Les analystes économiques ont considéré que l’expérience tunisienne qui s’appuie sur un régime parlementaire ne peut pas assurer, la stabilité de la société et de l’économie, en dépit des promesses, des intentions, des orientations, des programmes et des idées.

La question se pose aujourd’hui, au moment où la bataille des élections s’intensifie, sur l’absence d’initiative de la plupart des partis tunisiens ainsi que des candidats à la présidentielle, de dévoiler les volets économique et de communication dans leurs campagnes électorales, alors que ce dossier est d’une grande importance dans les pays développés, dans la mesure où chaque candidat est accompagné par une personnalité importante dans le domaine économique et une autre dans le domaine social, sous la supervision d’un expert ayant une compétence en matière de communication.

Cependant, il s”avère que les politiques en Tunisie et la vision de ceux qui veulent pratiquer la politique différent.

Le paysage politique tunisien qualifié aujourd’hui ” d’archipel “, comporte les origines des conflits, vu la non cohérence entre les pouvoirs et leurs structures face à la ferme volonté des candidats de gagner les élections présidentielles et parlementaires, sans avoir une vision claire à même de protéger la Tunisie du chaos.

Plusieurs dangers guettent le peuple tunisien en dépit de ses souhaits de prospérité et de bien-être. Le tissu économique et social du pays est en péril, notamment en cas d’échec de mise en place d’un système stable et d’une volonté de s’éloigner du concept de la conciliation politique dans un pays qui a besoin d’une relance économique.