C’est sur le thème « Pour des instruments financiers mieux adaptés aux professionnels de l’automobile » que s’est tenu le forum de Sayarti, à l’espace Arena aux Berges du lac 1, vendredi 21 juin 2019 ; forum organisé en collaboration avec l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF).

Pour en débattre, Hédi Hamdi, le fondateur du Magazine Sayarti, et ses équipes ont réuni une brochette de haute facture, composée de Ahmed El Karm, président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers, Omar El Béhi, ministre du Commerce, Mohamed Ben Jomaa, pdg de Ben Jomaa Motors, Slim Driss, directeur général de COMET, Anouar Brahem et Mohamed Fraj…

A noter que le débat a été animé par Wassim Bel Arbi.

Il faut souligner également au passage que jamais un thème d’un forum n’a bien collé à l’actualité et à la réalité. Alors coup de chapeau à notre ami Hédi Hamdi pour ce coup d’œil.

Le premier intervenant, ce fut tout naturellement Ahmed El Karm. Dans son intervention, l’assistance a eu droit à un cours d’économie des finances de la part du banquier : crédits bancaires, inflation, consommation, croissance, taux d’intérêt, marché parallèle, nouvelles technologies (intelligence artificielle notamment) -secteur cher à si Ahmed El Karm-, avant de s’attaquer au thème du forum, c’est-à-dire «Pour des instruments financiers mieux adaptés aux professionnels de l’automobile». Car, estime-t-il, tout est lié, autrement dit, il y a une interaction entre tous ces facteurs.

Lutte contre l’inflation et ralentissement du rythme d’octroi des crédits

Sous le ton de regret, Ahmed El Karm dira en substance que le métier des banques consiste à financer les entreprises et à octroyer des crédits aux consommateurs. Mais «nous sommes malheureux de ne pas pouvoir le faire efficacement. Ce n’est cependant pas un choix mais une situation particulière que nous subissons nous aussi au même titre que les concessionnaires”.

Les banques ne sont pas épargnées…

En effet, expliquera M. El Karm, la nouvelle politique monétaire, entamée en 2018 pour contenir l’inflation, a fortement contribué à ralentir le rythme d’octroi des crédits bancaires. Or, cette politique a engendré ce ralentissement, à travers des mesures visant à agir sur la demande et l’offre des crédits via l’augmentation du taux du marché monétaire, les restrictions imposées au refinancement des banques auprès de la Banque centrale par l’inversement de la composition du portefeuille des créances gageant le refinancement (60% de bons du trésor-40% de créances sur la clientèle vs 60% de créance – 40% de créances sur la clientèle).

A cela s’ajoutent l’augmentation du taux d’intérêt pour les banques n’ayant pas d’actifs pour accéder au refinancement, le plafonnement de l’encours de crédits à 120% de l’encours de dépôts. Sachant toutefois que la plupart des banques de la place avaient déjà dépassé ce seuil.

Mais le président M. El Karm a tenu à mettre les choses au clair sur un certain nombre de points. «Il n’y a pas de restrictions touchant un secteur particulier ou interdisant l’octroi de crédits aux particuliers, mais c’est plutôt un changement de comportement de la part des banques visant à s’adapter à la politique générale».

Toujours selon Ahmed El Karm, «le resserrement de la trésorerie a également impacté la capacité des sociétés de leasing à financer le secteur».

Que propose le président de l’APTBEF ?

Poursuivant dans son analyse de la situation générale et celle du secteur automobile, Ahmed El Karm souligne que ce secteur traverse une rupture, en ce sens que « l’écart entre le pouvoir d’achat des citoyens et les prix des voitures devient de plus en plus grand ». Par conséquent, les concessionnaires se doivent, impérative, de changer de modèle en optant pour des modèles de financement alternatif, par exemple location longue durée, marché financier, etc.

Pertes annuelles de 20% des ventes automobiles

A la suite du président de l’APTBEF, c’est le vice-président de la Chambre syndicale des concessionnaires automobiles, Mohamed Ben Jomâa, qui s’est exprimé.

Tout d’abord, il a plaidé pour une libéralisation du secteur de la concession automobile, la suppression de la politique de quotas, la révision des taxes et droits appliqués au secteur, l’incitation à l’export des solutions software et d’intelligence artificielle en plus des composants automobiles.

Car, « la situation du secteur est très critique, nous perdons annuellement 20% de nos ventes, ce qui touche sensiblement nos marges et nos capacités de réinvestissement », fait-il savoir.

En effet, Ben Jomaâ fait le constat que « la politique de resserrement de crédits aux particuliers a engendré un coup d’arrêt des ventes ».

Mais ce n’est pas tout. Mohamed Ben Jomaâ assure que le resserrement monétaire a également poussé les compagnies de leasing à exiger des délais de paiement de trois voire quatre mois. Conséquence : « notre trésorerie a été impactée et nous a mis dans l’obligation de recourir aux institutions financières pour nous refinancer, ce qui a ainsi augmenté nos coûts de production, et donc nos prix de vente”.

En outre, le secteur automobile fait face à une baisse drastique du dinar qui a renchéri d’environ 30% les prix de vente des voitures, se plaint Ben Jomaâ, sans oublier l’augmentation des droits et taxes, de l’impôt sur les sociétés et du taux du marché monétaire… avec un net impact négatif sur prix finaux. « Cette situation ne peut pas perdurer d’autant plus qu’il s’agit d’un secteur qui emploie plus de 15 mille personnes et contribue à 96% au transport routier en Tunisie », dit-il à l’adresse probablement du ministre du Commerce.

Justement, ce dernier n’a pas manqué de réagir aux propos des professionnels automobiles et financiers, mais pas dans le sens qu’auraient souhaité entendre ces derniers.

En effet, Omar El Béhi a expliqué que la Tunisie fait face, depuis 2011, à une baisse de la productivité et une croissance molle. De ce fait, « on ne peut pas consommer au même rythme sans produire ». Sur ce point, il a tout à fait raison.

Ensuite, le ministre du Commerce estime «… normal que les ventes baissent en période de crise », mais « c’est également normal qu’il y ait des mesures visant à rétablir les équilibres macroéconomiques du pays ». A ce titre du reste, dit-il, « la dernière augmentation du taux directeur a diminué la vague spéculative sur le dinar, ce qui a favorisé une légère stabilité de ce dernier au cours des derniers mois ». Encore un point positif à mettre à l’actif du ministre du Commerce.

Toutefois, nous pensons qu’il n’a pas apporté de réponse aux doléances des concessionnaires de voitures, se contentant de souligner qu’«un redressement de la situation du secteur automobile et de tous les secteurs économiques requiert un rétablissement de la productivité et des fondamentaux économiques».

Concernant l’appel à la libéralisation de la concession automobile en Tunisie, El Béhi n’est pas très emballé, car pour lui, «il s’agit d’un pas qui doit être réfléchi et qui requiert certains préalables. Pour le moment, le contexte économique ne s’y prête pas. Nous sommes plus dans une logique d’encouragement des industriels automobiles présents sur le site Tunisie et de contrôle des importations pour améliorer la situation des finances publiques ».

Après avoir prononcé, il est reparti, au grand dam de M. Ben Jomaâ qui voulait apporter une réplique. Mais ce sera pour une autrefois.

TB