La fête du travail sera célébrée, cette année, sous le signe de l’inquiétude, au bien en Tunisie qu’ailleurs.

Dans le monde, les travailleurs, confrontés à de profonds changements du mode de travail par l’effet des progrès technologiques et du recul du syndicalisme, craignent pour leur avenir. Les Tunisiens, eux, craignent la radicalisation du corporatisme syndical et de ses effets négatifs sur leur quotidien.

De plus en plus des insurrections non encadrées surviennent… à cause de la précarité et du chômage. Les manifestations les plus spectaculaires ont été indéniablement, cette année, celles dites des “gilets jaunes“ en France.

Dans un récent rapport sur les changements que va connaître le monde du travail, l’Organisation internationale du travail (OIT) a énuméré les menaces qui pèsent sur ce monde. Elle a évoqué en priorité les défis liés aux nouvelles technologies, au changement climatique et à la démographie.

Le rapport met l’accent sur l’’intelligence artificielle, l’automatisation et la robotique qui vont provoquer des pertes d’emploi du fait de l’obsolescence des compétences. L’OIT demeure, néanmoins, optimiste. Elle estime que « ces mêmes avancées technologiques, ainsi que l’écologisation des économies, vont également permettre de créer des millions d’emplois – si l’on saisit ces nouvelles opportunités ».

Les commandements de l’OIT

Pour relever tous ces défis, l’OIT plaide pour une réponse collective à l’échelle mondiale face aux bouleversements qu’ils provoquent dans le monde du travail. Globalement, elle recommande dans ce rapport une dizaine de réformes :

– Une garantie universelle pour les travailleurs intégrant les droits fondamentaux des travailleurs, un salaire assurant des conditions d’existence convenables, des limites à la durée du travail et des lieux de travail sûrs et sains.

– Une protection sociale garantie de la naissance à la vieillesse qui subvienne aux besoins des gens au cours du cycle de vie.

– Un droit universel à l’apprentissage tout au long de la vie qui permette aux individus de se former, de se recycler et de se perfectionner.

– Une gestion des changements technologiques qui favorise le travail décent, y compris un système de gouvernance internationale pour les plateformes de travail numérique.

– Davantage d’investissements dans l’économie du soin, l’économie verte et l’économie rurale.

– Un programme de transformation quantifiable en faveur de l’égalité hommes-femmes.

– Une refonte des mesures d’incitation pour les entreprises afin d’encourager les investissements à long terme.

Tunisie, le rôle des syndicats serait improductif

En Tunisie, c’est le corporatisme syndical et sa radicalisation qui est le plus craint. Tout le monde a encore à l’esprit les longues et angoissantes grèves déclenchées par les enseignants, les pilotes, les agents de la santé, les chauffeurs de taxis…

Pis, le rôle « improductif » que joue actuellement la plus grande centrale syndicale du pays, en l’occurrence l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), dans le blocage systématique de toute réforme structurelle déterminante pour la pérennité du pays, à l’instar des réformes de l’éducation, des entreprises publiques, de la transition énergétique et des caisses de sécurité sociales, préoccupe plus d’une partie.

Même des syndicalistes indépendants rejettent ce corporatisme. Ainsi, pour Habib Guiza, secrétaire général de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) estime que « l’approche syndicaliste corporatiste d’antan n’a plus de raison d’être après la révolution du 14 janvier 2011. Elle crée plus de problèmes qu’elle n’en résout ».

Et Guiza de poursuivre : « A titre indicatif, lorsqu’on revendique des augmentations salariales et on obtient gain de cause, en fait, on ne gagne rien quand ces majorations sont accompagnées d’un taux d’inflation fort élevé. Bien au contraire, on contribue à la baisse du pouvoir d’achat. De même quand les syndicats déclenchent des grèves dans les services publics (santé, éducation, transport…) qui sont légitimes par principe, mais ils portent plus préjudice au petit peuple, leur principal allié, qu’au pouvoir en place ».

Autre exemple cité par Guiza, ce corporatisme peut nuire à la crédibilité des corps professionnels avec cette nouvelle tendance à revendiquer seulement des droits sans accomplir ses devoirs.

En d’autres termes, il est inacceptable, de nos jours, de revendiquer des majorations salariales sans créer de richesses, voire sans prouver un quelconque rendement et une quelconque productivité, ce qui entraîne une augmentation illusoire.

Le principe est simple : partout dans le monde, il ne faut revendiquer que la richesse qu’on crée. Pour y remédier, il importe de diffuser une nouvelle culture des droits et des devoirs auprès des syndiqués, particulièrement les jeunes, et de refonder le syndicalisme tunisien sur la base des valeurs portées par la transition démocratique (citoyenneté et autres…).

En somme, au plan mondial tout comme en Tunisie, le monde du travail et les relations entre syndicats – employeurs – adhérents sont en train de se transformer. Une chose est sûre, pour le moment, elles suscitent plus d’inquiétudes que d’assurances. Seul le dialogue responsable peut résoudre cette problématique.