En 2018, 5.012 Tunisiens ont été «acheminés» vers la France, dont 3.000 ingénieurs. En 2013, ils n’étaient que 1.600.

Ces chiffres ont été avancés par Stéphane Darmas, directeur de la représentation de l’Office français de l’immigration et de l’intégration lors d’un déjeuner-débat organisé jeudi 11 avril par l’Office et dédié au phénomène migratoire et ses différentes composantes.

Il s’agit du projet de coopération technique Lemma, qui bénéficie aux institutions tunisiennes en charge de la migration. Il touche la migration et la mobilité professionnelles, la mobilisation de la diaspora au service du développement local, la réinsertion économique et sociale des Tunisiens de retour et l’accueil et l’intégration des migrants en Tunisie.

Les flux migratoires économiques entre la Tunisie et la France se sont considérablement intensifiés ces dernières années et évolué tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

La migration axée depuis l’indépendance sur la main-d’œuvre non qualifiée s’est transformée en une migration plus avantageuse pour les pays récepteurs. Aujourd’hui les départs vers les pays du Nord ne touchent plus la main-d’œuvre basique mais celle qualifiée.

Pourquoi des Tunisiens se projetteraient-ils ailleurs que dans leur pays ? Une question posée par nombre de participants au débat.

De prime abord, les réponses paraissent évidentes comme l’incapacité du marché du travail à les absorber. Mais ce n’est pas que cela. Parfois, les embauchés sont maltraités à un tel point qu’ils préfèrent partir ailleurs. Là où on s’occupe mieux d’eux. C’est ce qui ressort d’une anecdote racontée par Frédéric Bobin, journaliste du Monde chargé de couvrir la Tunisie et la Libye.

C’est l’histoire d’un jeune médecin qui a préféré partir parce que brimé par son « encadreur ». Il s’agit en fait d’un chef de service dans un hôpital public beaucoup plus préoccupé par son activité privée complémentaire (APC) que par l’encadrement de ses jeunes collègues. « A quoi cela me servirait de rester dans un service où je n’apprendrais rien ?», explique le jeune médecin au journaliste.

Les exemples en la matière sont légion et il n’est pas étonnant dans ce cas que près de 600 médecins spécialistes aient quitté la Tunisie et un peu moins de 200 généralistes.

Des jeunes qui se sentent mal, qui n’attendent plus rien de leur pays, n’y entrevoient pas d’avenir et ne voient pas quelles opportunités s’offrent à eux pour s’épanouir dans leurs métiers respectifs, aussi diplômés soient-ils, choisissent de partir. D’autres qui n’ont aucune qualification sont prêts à travailler n’importe où et exercer des métiers ingrats à l’étranger et pas dans leur pays, c’est l’expression d’un mal être profond chez nos jeunes.

Un triste tableau qui s’offre à nous, si nous omettons l’immigration choisie, celle où des individus estiment qu’ils peuvent vivre mieux, avancer plus et être plus gratifiés en dehors de leurs frontières ; ou encore la mobilité professionnelle et géographique qui offre des possibilités d’évolution de carrière et de promotion sociale. Celle-là n’est cependant pas la plus courante.

L’OFFII gère par ailleurs les flux des travailleurs saisonniers dont on ne parle pas beaucoup et dont le nombre a connu une hausse de 7,5 % par rapport à 2016, soit 1.188. Parmi eux, 1.114 sont employés dans le secteur agricole alors que la Tunisie peine à trouver des travailleurs pour la récolte des olives.

Comment expliquer cette réticence à exercer une même activité mais ailleurs et non chez soi ? Ce sont les régions de Jendouba : 23,2 % (276) et celle de Mahdia 55,6 % (661) qui occupent le haut du pavé en la matière.

Il y a également une autre forme de migration : celle à rebours et ce qu’il s’agisse de Tunisiens ayant toujours vécu en France ou de ceux qui y ont résidé pendant des années. Pour ce, l’OFII offre une aide à l’insertion ou à la réinsertion dans le tissu économique tunisien (aide à l’emploi ou à la création d’une petite entreprise).

Pour Hélène Hammouda, experte long terme projet « Lemma », l’aide à la réinsertion ne doit pas se limiter au financement d’un projet mais doit s’étendre à l’accompagnement du bénéficiaire pour garantir toutes les chances de sa réussite.

Ce qui interpelle dans la nature de la migration des Tunisiens vers d’autres cieux dans un monde globalisé, c’est que rares sont les fois où nos jeunes choisissent de partir parce qu’ils estiment qu’ils peuvent acquérir plus de savoir, plus de formation et peuvent accéder aux hautes sphères du savoir. Dans la plupart des cas, les départs illustrent le désenchantement des jeunes quant à leur avenir dans leur pays et le peu de perspectives qu’on leur offre. Il fut un temps où les Tunisiens étaient nombreux à choisir de rentrer chez eux après avoir passé des années à l’étranger et ramassé un pécule qui leur permet de créer leurs propres projets.

Est-ce toujours le cas ? Ce n’est certainement pas l’OFII qui pourrait nous apporter les réponses mais une étude sociologique que devraient réaliser les institutions concernées à Tunis.

A.B.A