Souad Abderrahim vient d’être élue maire de Tunis. Devons-nous féliciter la femme en elle qui occupe cette chaire jusque-là monopolisée par les hommes et lesquels, plus est, sont tous tunisois, ou déplorer qu’elle représente un parti illustrant l’islam politique dans toute sa splendeur ? Un parti qui, lentement mais très sûrement, est en train d’occuper tous les terrains de l’Etat et du pays, allant du socio-économique au politique en passant par l’idéologique !

Un parti qui construit plus de lieux de culte que d’écoles et dont le pouvoir économique progresse à une vitesse vertigineuse grâce à ses différents relais dans tous les centres d’influence ? Ou encore les discours mitigés entre ceux prodigués aux bases du parti-secte en Tunisie et ceux adressés à l’international ?

En toute honnêteté, la discipline, le travail de fond et les stratégies mises en place par Ennahdha ont porté leurs fruits. Et à ce titre, ils méritent le respect malgré leurs desseins obscurantistes pour le pays. Et si leurre ou manipulation il y avait, la faute reviendrait plus aux manipulés et aux leurrés qu’aux manipulateurs et aux prestidigitateurs politiques. Après, tout à la guerre comme à la guerre !

C’est ce qui explique également que pour l’international, le seul parti pouvant composer un vis-à-vis valable et capable, c’est Ennahdha. Erdogan a bien choisi ses alliés.

Seulement et à terme, est-ce vraiment dans l’intérêt des pays occidentaux de soutenir un parti qui prépare pour la Tunisie le scénario soudanais ?

Et quelles sont les raisons qui pourraient les inciter à encourager l’implantation de ce régime islamiste, prétendument modéré dans un pays où, de fait, les populations sont religieusement modérées et où la question identitaire ne s’est jamais posée avec autant d’acuité qu’au cours des années qui ont succédé au soulèvement tunisien orchestré ailleurs ?

Une structure mentale tout à fait différente entre les Arabo-musulmans du Machrek et du Golfe et les Berbéro-arabo-musulmans du Maghreb

Il s’agit bien entendu d’enjeux géopolitiques et stratégiques importants pour ces pays que nous n’avons pas à expliquer dans ce papier concis. Ils les connaissent beaucoup mieux que nous, mais ils peuvent les préserver dans la continuité et de manière pérenne autrement. Par contre, ce qu’ils n’arrivent pas à saisir, c’est tout d’abord une structure mentale tout à fait différente entre les arabo-musulmans du Machrek et du Golfe et les Berbéro-arabo-musulmans du Maghreb arabe.

Les derniers étant historiquement plus ouverts aux autres civilisations, plus occidentalisés et mieux intégrés dans leur environnement géopolitique et géoéconomique aussi bien méditerranéen, européen qu’africain, particulièrement la Tunisie.

Près de trois ans de règne islamiste exclusif en Tunisie ont suffi à désarticuler l’Etat, à fragiliser les institutions, à diviser le pays et, pire que tout, à détruire l’un des services de renseignement et anti-terrorisme qui figurait parmi les plus efficaces qui existent dans la région : le Tunisien.

Les Occidentaux oublient que la Tunisie est située tout près de l’Europe (140 km séparent Tunis de la Sicile, la distance n’est pas beaucoup plus importante pour ce qui est de Marseille et Gênes).

Si l’idée était de faire en sorte que ces pays-là gardent leurs islamistes chez eux pour protéger l’Europe et les USA, sur le terrain elle a servi à créer un nombre plus important de terroristes et d’extrémistes. Les plus virulents viennent de ces pays-là car, en réalité, leur crise identitaire vient du fait qu’ils ont été incapables de s’intégrer dans leurs pays d’accueil occidentaux, tout comme ils sont et seront incapables de vivre en harmonie avec les modèles de société existant dans leurs propres pays.

Les islamistes réfléchissent, agissent et se comportent comme des sectes dans des cercles fermés. Ils gèrent de grands intérêts et sont des parties prenantes très actives dans le grand banditisme transnational, le trafic d’armes et de drogue. Ils ont profité de la phase post-soulèvement de janvier 2011 en Tunisie pour retirer les garde-chasses qui étaient les informateurs des services spéciaux à propos de tous les mouvements suspects et ont réussi à s’installer aujourd’hui au Mont Chambi, les monts Semmama et Saloum, sans parler des cellules dormantes situées sur tout le territoire.

Ils maîtrisent les sentiers de ces montagnes aussi bien que l’armée nationale elle-même qui n’était traditionnellement pas rôdée à la lutte antiterroriste.

Les risques pour les pays du Nord de la Méditerranée, s’il n’y a pas de leur part une volonté réelle de mettre fin à cette vague rampante d’islamisme politique à tendance violente, est que des pays comme la Tunisie ou le Maroc ne leur exportent plus dans les prochaines années des composants automobiles mais plutôt des bombes humaines.

Pareil pour les USA. Ils en ont d’ailleurs eu la confirmation par des actes terroristes et des attentats depuis 2013.

Tous ces pays, lesquels, nous le savons, ont des intérêts dans la région, ne peuvent pas se fier aux promesses faites par les leaders islamistes car pour mobiliser leurs foules, ils leur promettent des califats, des prises de guerre et des récompenses à chaque fois qu’ils leur font allégeance et qu’ils conquièrent de nouveaux terrains. Cela pourrait commencer par le Sud pour remonter très rapidement vers le Nord.

En témoignent nombre d’exemples d’islamistes situés partout dans le monde qui ont affirmé leur allégeance au califat de Daech. Rien ne peut les arrêter car on leur promet le paradis, et tous leurs actes, les plus atroces, sont justifiés par la fin : vivre heureux éternellement.

Ils disposent d’un arsenal important d’armes qu’ils ont réussi à dissimuler en ce qui concerne la Tunisie pendant le règne de la Troïka sur tout le territoire tunisien.

La Tunisie en phase pré-électorale

Les islamistes sont dotés de moyens énormes, ils ont verrouillé les administrations et vicié l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) dont beaucoup sont des sympathisants nahdaouis. Avec les lignes financières énormes dont dispose Ennahdha soutenue entre autres par le Centre Carter, on n’écarte ni les possibilités de pratiques frauduleuses ni la falsification des élections. C’est ce qui explique aujourd’hui le refus de nombre de Tunisiens de s’inscrire, principalement les jeunes, pour les élections.

Selon des informations des services de renseignements tunisiens, Ennahdha, dans le meilleur des cas, ne pèserait pas plus que 500.000 voix sur l’échiquier électoral. Le parti a déjà entamé son programme d’acquisition des voix via ses associations caritatives et les prétendues aides apportées aux classes souffrant de précarité.

Les Tunisiens pratiquants désertent les mosquées et se recroquevillent sur eux-mêmes, car ils n’arrivent pas à s’identifier à l’image que leur renvoie les Frères musulmans, eux le peuple le plus occidentalisé de la région arabo-musulmane.

La majorité des Tunisiens et particulièrement la classe moyenne est désabusée, elle refuse le changement du modèle sociétal qu’elle a toujours connu et parmi elle, nombreux sont ceux qui ont élu Ennahdha et qui le regrettent aujourd’hui. «Nous pensions qu’ils n’étaient pas corrompus, qu’ils étaient porteurs de nouvelles valeurs et qu’ils respectaient leurs promesses».

Rien de cela n’est arrivé, la Troïka, principalement Ennahdha, a mis le pays en faillite à cause de la voracité de ses dirigeants et de leurs incompétences notoires dans la gestion des affaires de l’Etat. Ils ont agi avec le pouvoir comme un butin de guerre en usant sans modération. Leurs alliés CPR et Ettakattol ne sont pas mieux qu’eux aux yeux des Tunisiens complètement désillusionnés et qui ont perdu confiance dans les partis classiques.

Lorsque Marzouki a prêté serment, il avait promis de préserver l’unité nationale, lunité et l’intégrité du territoire, les principes républicains et la civilité de l’Etat, sans parler des promesses faites lors de son discours inquisitoire d’investiture où il avait assuré que les acquis des femmes ne seront jamais touchés.

Quatre (4) ans après, les institutions de l’Etat sont déstructurés et même l’unité nationale et de territoire menacée. A Kasserine, nous sommes presque dans le non Etat et la police qui attend qu’on réactive la loi antiterroriste maintient le statut quo et des fois préfère se retirer au lieu d’affronter les acteurs de violence. Les ministères de souveraineté sont minés et les femmes tunisiennes modernes et éduquées, voient leurs acquis de plus en plus menacés et risquent de se retrouver sous le joug d’un pouvoir semblable à celui des talibans.

Y a-t-il une porte de sortie ?

Oui. Sur le plan de la représentativité politique à travers la société civile qui a prouvé son efficience et son efficacité, alors que le parti Nidaa Tounes est en pleine déconfiture et que Béji Caïd Essebsi a fait du pouvoir une affaire de famille.

La société civile peut être une force de frappe importante si elle réussit à regrouper tous les partis progressistes modernistes et soucieux de préserver le modèle de société tunisien connu depuis l’indépendance, avec ce que cela implique comme principes républicains, civilité de l’Etat et droits des femmes.

Ennahdha, qui fait beaucoup de lobbying grâce aux moyens énormes dont elle dispose, est en réalité un gros ballon plein d’argent mais pour une grande partie du peuple tunisien elle a perdu sa crédibilité. Ses leaders sont des spécialistes dans la surenchère et des renards politiques sans foi ni loi. Ils ne sont pas pour la plupart des victimes comme ils l’ont toujours prétendu mais porteurs d’un projet sociétal rétrograde qui risque de déstabiliser la région.

Ils ont pratiquement tous été arrêtés pour des actes de terrorisme et de grande violence. Ils menacent non seulement le Sud mais aussi le Nord de la Méditerranée avec ce que cela implique comme ramifications dans les autres pays européens.

L’Algérie, un pays qui a vécu la décennie noire de la guerre civile avec les terroristes islamistes, ne pourrait jamais se sentir en sécurité avec un régime islamiste gouvernant en Tunisie.

Le Maroc, un pays où coexistent différentes communautés tenues en laisse par un Roi, considéré comme le prince des Croyants, ne le supporterait pas non plus.

Mais plus que tout, les femmes sont aujourd’hui prêtes à tout pour lutter contre la montée de l’extrémisme et l’implantation perverse et vicieuse d’un régime islamiste en Tunisie.

A moyen et long termes, l’islam politique n’a pas d’avenir en Tunisie, c’est un organe incompatible avec le corps d’une société exceptionnelle par sa richesse civilisationnelle et son histoire riche. Une société où une femme a usé d’un verset du coran pour imposer à son mari à l’époque -prince des Croyants- son droit à elle de le répudier et lui interdire d’être polygame, ne peut se plier, une société où, au 11ème siècle, les jeunes filles étudiaient au même titre que les jeunes garçons à Kairouan.

Le tout est de savoir combien devons-nous sacrifier en termes de vies, d’institutions et de réalisations acquises depuis l’indépendance pour nous en débarrasser et nous intégrer dans une véritable transition démocratique.

Et pour terminer, une seule certitude, dès qu’il s’agit d’islam politique, l’aspect modéré disparaît, pour cela, il faut lire l’histoire de la transmission du pouvoir depuis les premiers temps de l’islam. Elle est sanguinaire. Ce que les Think tank américains ou britanniques refusent de voir est que «cela n’arrive pas qu’aux autres» !

Pourtant, si intérêts il y a, ils peuvent être préservés par d’autres moyens pas par des idéologies religieuses. La réforme de la religion catholique a eu lieu, pas celle de l’islam !

Amel Belhadj Ali