Faut-il signer l’accord ALECA en bloc ? Pourquoi ne pas signer au fur et à mesure, selon le degré de mise à niveau des secteurs concernés, suggère la société civile. Conséquent !

Lundi 28 courant a débuté à Tunis, la première mi-temps du 2ème round des négociations sur l’ALECA (Accord de libre-échange complet et approfondi entre la Tunisie et l’Union européenne). Elle se poursuivra jusqu’au 31 mai.

La deuxième mi-temps pourrait se tenir au mois d’octobre prochain. Il s’agit encore d’une étape exploratoire. Elle fait suite à un premier round qui s’est tenu également à Tunis au mois d’avril 2016.

La société civile, partenaire officiel des négociations, voudrait que celles-ci avancent selon une démarche précise. Elle appelle à activer l’étude d’impact commandée par l’Etat tunisien. Cela tombe sous le coup du bon sens de connaître les retombées du premier accord de démantèlement tarifaire concernant les produits industriels avant de s’engager dans le cadre de l’ALECA.

Se donner le temps de la réflexion

Hichem Ben Ahmed, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, et chef négociateur du gouvernement tunisien, a adressé un signal consentant aux divers représentants de la société civile. Il a rappelé avec insistance que les deux parties gardaient à l’esprit que les négociations valident le principe de la progressivité dans la conduite des réformes par la Tunisie, étant donné l’asymétrie avec le partenaire européen.

Son homologue européen, Ignacio Garcia Bercero, laisse entendre, de façon courtoise, que tout est bon dans l’ALECA et qu’on peut passer à la vitesse supérieure.

Pour leur part, les divers représentants de la société civile ne veulent pas se précipiter. Leur opinion est faite sur le premier accord avec l’UE. Ils considèrent, sans attendre les conclusions de l’étude d’impact, que le premier accord a fait un flop. Et que cet échec a été acté un certain vendredi 14 janvier 2011.

Ce premier accord, pour faire court, a peut-être apporté un supplément de croissance, mais n’a pas amené le développement, ce qui a exacerbé les inégalités et les disparités en tous genres faisant imploser l’économie.

Hichem Ben Ahmed s’est voulu rassurant, affirmant que l’asymétrie ne doit pas empêcher l’équité économique. Et parmi les arguments forts qu’il entend défendre, celui de la mobilité au moins des opérateurs économiques. Cela jouera beaucoup dans le domaine des soumissions aux appels d’offres des marchés publics. Un opérateur européen peut débarquer en Tunisie sitôt qu’il le décide. L’opérateur tunisien a besoin d’un délai de plusieurs semaines, du fait de la démarche d’obtention de visa laquelle démarche s’accompagne d’un effet d’investigation collatérale, indéfinie. Et c’est long et c’est discriminant.

Il appelle au “free visa“, du moins pour les opérateurs économiques. De la sorte, affirme-t-il, l’asymétrie rime avec équité économique.

Négocier n’est pas signer. L’exigence d’exploration

La société civile est tout à fait favorable à l’ouverture de ce deuxième round de négociations. Après tout, négocier n’est pas signer et, de ce fait, elle appelle à pousser l’exploration du cadre de l’ALECA, le plus loin possible. Cependant, elle exige une feuille de route et une démarche cohérente.

Avec véhémence et beaucoup de lucidité, les représentants de la société civile diront qu’il faut s’entendre sur quoi négocier. Incisifs, ils fixeront des limites précises. Elles s’adressent aussi bien au gouvernement tunisien qu’aux dirigeants européens.

L’accord doit aboutir à une convergence réglementaire concernant les douze secteurs économiques concernés, dont l’agriculture, les services financiers et les marchés publics.

Il ne faudrait pas que l’on se retrouve avec deux réglementations, l’une tunisienne -fatalement plus tatillonne- et l’autre européenne –sans aucun doute plus souple.

Le code du change tunisien, à titre d’exemple, est moins favorable que le régime de convertibilité totale que connaît l’Europe. Là encore, il y aurait ségrégation au détriment des opérateurs tunisiens.

Parmi les préalables, nous citerons celui de l’audit des secteurs concernés par l’ALECA. Les représentants de la société civile souhaitent, devant l’incapacité financière de la Tunisie à l’assumer, que l’UE finance les frais de l’audit des secteurs même si cela, en bonne logique, relève de notre responsabilité. L’UE peut bien y subvenir. La solidarité c’est aussi la mutualisation des risques.

S’agissant d’un accord gagnant-gagnant, il est de la responsabilité du partenaire majeur de ne pas bafouer les droits du partenaire le moins bien nanti. Mais il faudrait que cela soit fait sans couac comme dans le cas de la mise à niveau du registre de commerce.

Le cabinet européen chargé de l’opération n’avait pas la qualification nécessaire. C’est un cabinet d’experts pénalistes, et non commercialistes comme l’exige la nature du dossier, qui a assuré la maîtrise d’œuvre. L’asymétrie doit exclure tout abus.

Un autre préalable est de permettre à la Tunisie d’avoir une présence permanente au sein de la Commission européenne pour être en prise directe avec l’actualité européenne.

La société civile soutient également que l’accord aboutisse à un démantèlement tarifaire pour les 12 secteurs concernés. Certains sont en état de soutenir la concurrence internationale et d’autres pas. Pourquoi alors signer en bloc. Ne serait-il pas plus raisonnable de signer au coup par coup ?

Le secteur IT peut y aller tout de suite. Celui de l’agriculture n’est pas encore prêt -c’est le sort de 100.000 exploitants agricoles qui est en jeu.

Dans le premier cas, celui des IT, l’accord peut être une opportunité favorable. Pour l’agriculture, ce serait un scénario catastrophe car le secteur pourrait passer sous l’aile des enseignes européennes et en la matière l’asymétrie ne doit pas conduire à une perte de souveraineté.

More for More

Les doléances de la société civile sont tout à fait recevables. La cause est-elle pour autant entendue par la partie européenne ? Ignacio Garcia Berrero manifestait une certaine rigidité en fin de matinée et campait sur une attitude de principe, que chaque partie s’acquitte de ses responsabilités. La partie est serrée et il faudra négocier avec beaucoup de doigté.

La Tunisie demande certaines disponibilités et pas des concessions fortes. La Tunisie a beaucoup cru en l’Europe. Elle a été la première à signer l’accord d’association un certain 17 juillet 1995. Et elle n’a pas hésité à mettre l’accord en application sitôt après sa signature alors que nombre de pays européens ne l’avaient pas encore fait parapher par leurs Parlements. Il ne faudrait pas qu’il tourne pour nous au miroir aux alouettes.

Romano Prodi, du temps où il présidait la Commission européenne, avait promis ”More for More”. Et en inaugurant la politique de voisinage de l’UE, il avait encore promis “Tout sauf les institutions“. Depuis, la Tunisie a fait des propositions fortes. Du moment que c’est tout sauf les institutions alors on a postulé à être membre sans l’adhésion, sous le gouvernement Caïd Essebsi en 2011. L’objectif était de pouvoir puiser dans les fonds structurels européens destinés au développement régional, une priorité ardente pour la Tunisie. Mais la demande est restée sans réponse.

Faire accéder la Tunisie à la PAC

D’autre part et dans le cadre de l’ALECA, on a demandé à ce que les agriculteurs tunisiens bénéficient des avantages de la Politique Agricole Commune (PAC). Pareil, pas de réponse.

L’Europe n’a pas non plus retenu le principe de la création d’une «banque de développement euroméditerranéenne». Elle a mis de nombreux mécanismes de financement au sein de la BERD et de la BEI, mais toujours pas cette banque qui serait exclusivement destinée à la zone Euroméditerranée.

L’asymétrie c’est aussi cette façon de snober les doléances du partenaire le moins bien nanti. L’ennui est que l’opinion peut le ressentir comme un trait d’hégémonie.

Ce 2ème round s’ouvre à un moment où le feuilleton de “Tej El Hadhra“ aborde les circonstances douloureuses de la faillite de l’Etat beylical et des conditions asymétriques de l’assistance financière européenne qui a ouvert la voie à la colonisation de la Tunisie par la France. L’opinion est tétanisée par ce spectre douloureux de notre passé et ne voudrait pas conjurer le sort.

Par ailleurs, la progressivité invoquée par la Tunisie sonne comme un alibi mis en avant par le gouvernement pour ne pas réformer. Il faudrait que, de part et d’autre, on contribue à dissiper ce malaise.