Au commencement, on avait cru à la promesse de Nidaa Tounes pour un engagement responsable dans le redressement économique du pays. Beaucoup ont eu foi dans les paroles de Béji Caïd Essebsi, président de la République pour ne pas pactiser avec ceux qui ont mis en faillite le pays. Ceux-là mêmes desquels le président a dit «Nous sommes deux lignes parallèles qui ne peuvent se rejoindre». Aujourd’hui, ils restent ses plus grands alliés et sévissent toujours autant dans tous les rouages de l’Etat mettant à mal une économie qu’ils n’ont de cesse de fragiliser par intérêt ou par incompétence !

L’économie tunisienne n’a jamais autant souffert que ces dernières années, et comme l’affirme Ezzeddine Saïdane, expert économique -et pas un faux- et fondateur de Directway Consulting, «tous les indicateurs sont au rouge».

Tous les gouvernements qui se sont succédé après le 14 janvier 2011 ont été incapables de préserver l’économie nationale. La Troïka l’a complètement massacrée à coups de recrutements massifs, de dédommagements et surtout d’incompétence avérée des ministres de l’époque.

Résultat : aujourd’hui la dette extérieure de la Tunisie s’élève à 80% de son PIB. Le coût moyen de cette dette est de 3% toutes formes de crédits confondues. Un simple calcul permet de dire que le taux de croissance annoncé sert à peine à couvrir les intérêts de la dette extérieure. «Toute l’économie nationale fonctionne pour assurer le remboursement des intérêts dus aux créanciers. Ceci veut dire également que chaque fois que le taux d’intérêt est inférieur aux intérêts dus sur la dette extérieure, le remboursement se fait sur l’économie elle-même, sur le patrimoine national».

Conséquence: aucune amélioration du niveau de vie du citoyen, bien au contraire, c’est une dégradation progressive de ce niveau de vie.

Béji Caïd Essebsi peut déclarer triomphalement dans ses vœux pour le mois saint que la croissance est de 2,5%, en réalité, elle l’est en glissement annuel. C’est-à-dire du 1er avril 2017 au 31 mars 2018, soit 12 mois. La croissance réelle pour le premier trimestre 2018 est tout juste de 1%. Et M. Saïdane de préciser : «Il ne faut surtout pas tordre le coup aux chiffres sinon cela relèvera de la malhonnêteté intellectuelle».

Pas de sauvetage sans un PAS

Que faire pour sauver la donne ? Il nous faut un plan d’action immédiat qui doit s’articuler autour de trois étapes, affirme Ezzeddine Saïdane :

un diagnostic réel, sérieux et sincère de la situation économique et financière du pays ; ce diagnostic doit être approuvé par toutes les parties qui ont signé le Document de Carthage ;

– il faut ensuite dégager un plan de réajustement structurel (PAS) qui doit être implémenté sur 18 à 24 mois ; c’est le seul moyen qui pourrait nous permettre d’arrêter l’hémorragie des finances et de sortir l’économie du gouffre dans lequel elle se trouve aujourd’hui ;

– troisième phase, il s’agit des grandes réformes qui ne peuvent réussir sans passer par le PAS : «Autrement, c’est une perte de temps et la preuve que nous sommes mal partis dès le diagnostic».

En fait, le PAS doit s’attaquer au déséquilibre flagrant entre la croissance économique et les dépenses budgétaires. Il doit pallier au déficit sans précédent de la balance commerciale et celle des paiements courants.

La dépréciation importante de la monnaie nationale causée par la régression économique devrait également faire l’objet de mesures importantes dans le cadre du PAS. «Cette dépréciation a gonflé la masse de la dette publique et, par conséquent, du service de la dette sans oublier qu’en raison de la détérioration de l’économie nationale, le coût de la dette a considérablement augmenté par rapport au coût observé avant 2011, et enfin l’instabilité sociale et les revendications excessives subies par l’économie nationale et la situation des caisses sociales».

L’objectif essentiel du PAS est d’apporter des réponses à ces problématiques et de faire en sorte que l’économie nationale soit capable de réagir positivement aux grandes réformes. Ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui. «A titre d’exemple, l’augmentation de 0,75% du taux directeur par la BCT n’a pas jugulé l’inflation de 7,7% à fin avril, ce qui est contradictoire, mais dans le même temps l’augmentation du taux directeur reste le seul moyen de combattre l’inflation. En l’absence d’un PAS, la politique monétaire est notre seul recours mais ceci peut avoir un impact négatif sur le financement de l’économie. L’équation est très difficile».

Quelles mesures pouvons-nous prendre en présence d’équipes qui ne se parlent pas ?

Si les décideurs n’ont pas le courage d’attaquer de front les démons économiques depuis le diagnostic et jusqu’à la mise en place d’un PAS, ils laisseront le pays courir à sa perte. Entrer dans une logique de surenchérissement via un pacte II ou III de Carthage ne servira qu’à noyer le poisson et à faire reculer l’échéance.

Nous nous trouvons face à des équipes qui débattent de réformes chacun dans son coin. Des équipes qui ne se parlent pas mais s’attaquent de manière exclusive à une crise nationale sensée rassembler tout le monde autour de solutions communes. Une à Carthage regroupant des partis et des partenaires sociaux qui ont chacun son propre projet de réformes et celles qui n’ont jamais quitté La Kasbah depuis 2011 et qui ont pourtant prouvé leur incompétence et leur incapacité à gérer la transition économique.

Ces indéboulonnables ont failli et pourtant aucun chef de gouvernement n’a osé les limoger pour des considérations partisanes. Les nouveaux qui ont rejoint la dernière équipe gouvernementale n’ont apparemment pas servi à grand-chose. Ces nouveaux conseillers sont également inextirpables alors qu’ils n’ont pas assuré.

Un trader des pays émergents peut-il maîtriser les rouages de l’Administration tunisienne et apporter des réponses aux maux économiques du pays ? Ou encore des opposants structurels du régime Ben Ali dont les connaissances aussi bien économiques que celles des rouages de l’Etat sont approximatives se limitaient aux critiques des atteintes aux droits de l’Homme peuvent-ils apporter des réponses au drame économique du pays ?

Il en est ainsi lorsque la logique du consensus prend le pas sur les intérêts de la patrie.

Aujourd’hui, les réserves de change du pays ne couvrent pas plus de 73 jours d’importation, les notations internationales ne sont pas favorables à une sortie de la Tunisie sur les marchés financiers internationaux et pour terminer le FMI qui est notre dernier refuge ne bougera pas le petit doigt si la Tunisie persiste et signe dans ses fausses politiques en matière de dépenses budgétaires.

«Il ne faut pas éloigner la possibilité de voir le FMI suspendre son crédit pendant 4 à 5 mois. Si cela arrive ça pourrait être à l’origine d’un étouffement financier extérieur et pourrait obliger la Tunisie à solliciter ses partenaires pour un rééchelonnement de sa dette extérieure. C’est sacrifier un acquis que notre pays a gagné en honorant ses engagements financiers internationaux sans jamais faillir depuis l’indépendance en ne perpétrant jamais un défaut de paiement et en ne retardant jamais les échéances».

Notre pays ne pourra pas dépasser ce cap sans que des patriotes, des vrais et pas des opportunistes politiques, osent tenir le taureau par les cornes et prendre les décisions qui s’imposent, mettre en place un PAS et arrêter d’adopter une politique populiste consistant à satisfaire tout le monde et à ne se mettre personne sur le dos.

La hausse du chômage et les mauvaises perspectives économiques ont poussé Gerhard Schröder, chancelier allemand en 2002, à mettre en place l’agenda 2010 pour un plan de réformes libérales qui a provoqué la colère de son électorat et une chute de sa popularité. Les législatives anticipées qu’il avait convoquées en 2005 ont sacré la victoire d’Angela Merkel mais c’est grâce à lui que l’Allemagne est ce qu’elle est aujourd’hui. Il a pris des mesures douloureuses et sauvé son pays.

C’est ce que fait aujourd’hui Macron en France se souciant peu des mouvements sociaux qui mettent à mal l’économie française.

Dans notre pays où les entreprises publiques ont cumulé des pertes de l’ordre de 8 milliards de dinars, aucun haut responsable n’ose décider. Ils tiennent tous à leur place, que le pays coule ne les effraye nullement.

A quand un homme d’Etat, un vrai en Tunisie ?

Amel Belhadj Ali