Depuis les années 60, elle fait des voyages assez réguliers en Tunisie où elle capte, à travers son appareil photo, sa palette, ou en modelant avec ses deux mains des instants de vie, des moments du vécu ainsi que des situations du quotidien, le tout dans les couleurs et la lumière de ce pays qui lui est cher.

Et pourtant, ce n’est qu’en 2014 qu’Annette Monnier expose pour la première fois ses œuvres en Tunisie; des œuvres réunies dans une exposition intitulée “Poésie florale”, en attendant un prochain retour avec “Paysages fantastiques”.

Dans sa démarche artistique, c’est tout l’art de l’intime qui l’attire, “les senteurs et les odeurs des ingrédients qu’on utilise tous les jours mais qu’on connaît mal”, dit-elle avec regret.

Photographe à la base, l’artiste plasticienne française s’adonne depuis plusieurs années essentiellement à la peinture et la sculpture, dans son atelier parisien. Ses souvenirs d’enfance, elle s’en rappelle parfaitement en dépit de l’usure du temps sur son visage rayonnant de vie. “Je suis allée à la ville de Kerkennah dans les années 60 où j’ai peint des vues de pèche et je les ai ensuite comparées avec des vues similaires en France, l’objectif étant de faire ressortir les points communs et les différences”.

“Poésie florale” un mariage entre la Tunisie et la France à travers l’art

Mettre en avant les différences entre les deux pays est, selon elle, la plus belle manière de faire connaître la Tunisie et la France à travers l’art.

L’exposition à Tunis de l’artiste garde le même esprit, l’échange artistique franco-tunisien: “J’ai partagé l’espace d’exposition avec “Berber Carpet”, une association de femmes en provenance d’un village extrêmement pauvre de la Tunisie où il n’y a pas d’accès à l’eau courante ni télévision ni ordinateur”. Ce sont ces femmes tapissières, s’exprime-t-elle avec beaucoup de fierté, qu’on essaye d’aider, des femmes qui n’avaient jamais exposé auparavant mais qui possèdent une technique et un talent ancestral qu’elles traduisent dans leurs tapis. Et d’ajouter : “je me suis même aperçue que mes tableaux et leurs tapis partageaient les même coloris et formaient un très beau mélange ; une exposition unique en son genre avec des tableaux et des tapis qui se valorisaient mutuellement”.

La poésie florale en fait est le fruit des travaux réalisés tout au long d’un hiver en France mais en s’empreignant de la Tunisie et de l’esprit du lieu d’exposition : la galerie Saladin (banlieue nord de Tunis) qu’elle connaissait auparavant. “J’ai dégagé à travers ces tableaux toutes ces émotions de la Tunisie qui m’habitaient depuis longtemps, cette spontanéité ainsi que la musique et la solitude m’ont même permis quelques fois d’achever un tableau par jour, mais cette rapidité d’exécution n’est pas sans long travail de recherche”, confie-t-elle.

En réalisant ces tableaux, “j’ai pensé aux femmes en Tunisie comme en France qui passent de longues heures en cuisine mais qui ne connaissent pas les fleurs des aliments qu’elles cuisinent: la fleur d’olivier, de cornichons, de citrouille, de grenadier, d’haricot rouge, de petits pois, ou encore de pommes de terre. C’est un moyen de décorer la cuisine puisque ces fleurs que nous ignorons sont magnifiques”.

Le parcours tunisien d’Annette, la plasticienne et la sculptrice

La première découverte de la Tunisie pour l’artiste fut en 1960, et ce à travers sa sœur aînée mariée à un Tunisien. Sur ce sujet, elle confie : “je suis venue depuis mon jeune âge et j’ai spontanément aimé le pays dont j’ai une vision claire qui m’est personnelle et que je ne veux absolument pas perdre”.

Européenne certes, Annette Monnier essaie de donner malgré tout une image différente de la Tunisie en la dessinant avec ses propres couleurs qui sont différentes de celles des artistes tunisiens.

Le premier tableau qu’elle a peint en Tunisie était un paysage de la ville de Béni Mtir dans les années 80, d’où le déclic. C’est la forêt de pins qui l’a interpellée parce que de là où “je suis il y a les forets landaises, j’en ai retrouvé les odeurs, les senteurs mais pas les couleurs qui changeaient en Tunisie, et c’est de là que j’ai eu l’idée de lancer ce mariage artistique entre la Tunisie et la France”, dit-elle avec passion.

Ses voyages du nord au sud sont incalculables. Elle se rappelle surtout quant elle fut invitée par une famille à Douz : les oasis étaient une première pour elle. Elle les percevait comme un havre de paix qui l’a inspiré pour réaliser plusieurs aquarelles, avec uniquement des couleurs pures sans mélanges. Ces aquarelles sont restées chez un commerçant à Douz : elles appartiennent à la ville.

Ce qui se remarque dans les œuvres d’Annette Monnier, c’est l’abondance des couleurs et des senteurs qu’un artiste tunisien ne capterait pas forcément puisqu’elle possède l’avantage du recul que lui offre sa vie en France.

L’absence d’ombres est également un point distinctif dans le travail de la peintre. “C’est dû à mon éblouissement physique tout autant qu’artistique par la lumière que dégage la Tunisie, mais également à ma conviction personnelle que le noir est une couleur qui n’existe pas mais que nous créons”, s’exprime-t-elle avec certitude.

La première exposition en Tunisie d’Annette Monnier lui a permis de redécouvrir l’accueil “simple et chaleureux” des Tunisiens. “Malgré mes premières appréhensions de pénétrer dans le cercle un peu fermé des artistes tunisiens, tout le monde m’a accueillie à bras ouverts, à commencer par le responsable de la galerie Saladin, Ridha Souabni, jusqu’aux artistes que j’ai rencontrés; l’un d’eux que je connaissais pourtant à peine m’a même offert une miniature de moi à l’occasion de mon anniversaire”, se souvient-elle avec émotion.

Cet échange artistique fut à ses yeux comme un enrichissement, car “l’on ne sait jamais ce que l’on apporte aux autres en bien comme en mal”, commente-t-elle comme une leçon de vie.

Peindre la Tunisie profonde, la fierté et la dignité

Enrichie de ses expériences en Tunisie, l’artiste a déjà commencé à travailler dans son esprit les croquis de ses prochaines œuvres qui porteront sa vision maintenant plus que jamais très tunisienne de la France. Ces tableaux porteront l’œil, la forme ainsi que les couleurs de la Tunisie.

Les prochaines œuvres d’Annette Monnier, les tableaux comme les sculptures, reprendront tous les petits métiers qu’elle a découvert en Tunisie : le transporteur à dos d’âne, le marchant ambulant sur les plages ou encore les petits enfants qui vendent du pain sur les bords des routes.

“C’est la Tunisie profonde, la Tunisie à mal, la fierté et la dignité de ces braves gens qui m’impressionnent car malgré la pauvreté ils ne mendient pas mais préfèrent travailler même pour de faibles revenus”, estime-t-elle.

C’est à traves ses œuvres que l’artiste dégage les sentiments d’injustice et de rage qu’elle ressent suite aux malheurs dont est témoin l’une de ses sculptures qui traduit cet esprit. Elle représente, d’un côté, le pouvoir grand et insoucieux, de l’autre, le peuple entassé dans une bourse, étranglé par les dettes. C’est un jeu de mots: la bourse du moyen âge où les hommes mettaient leurs pièces d’or et refermaient en serrant, et la bourse qui s’est effondrée en 2008 à la crise.

En art comme dans la vie, Annette Monnier est une femme aux multiples talents : la peinture, la sculpture, la photographie ainsi que les arts martiaux lui permettent de travailler sur son aura mais également travailler sur son ressenti.

Parlant de son parcours varié, elle a tenu à rendre hommage à Paul Sérusier, un peintre breton dont les tableaux sont exposés au musé de Rennes. “Cet artiste nabi m’a pris sous son aile et m’a offert un trésor, la palette de Gauguin formée de 17 couleurs avec laquelle je travaille mes tableaux jusqu’à aujourd’hui”, conclut, sur un ton heureux, Annette Monnier.