«L’Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises est l’expression des liens séculaires qui unissent les femmes des deux rives de la Méditerranée. Les femmes tunisiennes et françaises œuvrent ensemble pour consolider davantage le respect des droits humains des femmes. 2014 constitue un tournant décisif dans la vie des Tunisiennes. Elles ont marqué, par leurs actions, la Constitution de la deuxième République qui a renforcé leurs acquis d’égalité pour les échéances électorales prochaines. Le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance s’est engagé à mettre en œuvre des politiques favorables à l’égalité des chances entre Homme et Femme. La promotion de l’entrepreneuriat féminin constitue un axe prioritaire de notre stratégie nationale vers une autonomie financière des femmes. Il est de notre devoir de continuer la marche pour plus de respect de nos droits humains. Notre responsabilité au sein de l’Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises est de promouvoir tous les droits des femmes, d’aider à l’émergence d’une élite tunisienne internationale, dans le respect du droit, dans la paix et la tolérance». C’est le témoignage est de Neziha Labidi, ministre tunisienne de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, lu à l’occasion de la tenue de l’Université d’automne des Femmes tunisiennes et françaises.

Ce forum qui a réuni, jeudi 7 décembre, au Sénat français et sous l’égide de Gérard Larcher, son président, les femmes des deux rives de la Méditerranée autour d’un thème d’actualité : «La réussite au féminin, Françaises et Tunisiennes au cœur du changement».

Nous nous attendions à ce que la ministre tunisienne soit présente en chair et en os à ce forum important parce qu’il représente le cadre idéal pour porter la voix de la Tunisie dans un lieu aussi symbolique que le Sénat français, mais il en a été autrement. Le lobbying et la communication restent les parents pauvres du gouvernement tunisien. Et pourtant, la Tunisie est l’un des rares pays musulmans où les femmes représentent les meilleures ambassadrices pour valoriser l’image d’une contrée qui souffre d’un déficit d’image.

Fort heureusement, les Tunisiennes sont tenaces, engagées et liées profondément à un pays dont l’histoire a été jalonnée de réussites féminines. Donia Kaouech, présidente de “Tunisiennes Fières“, l’a bien signifié dans le discours prononcé à l’occasion: «Nous appartenons à la Méditerranée, cette mer qui nous unit et autour de laquelle nous avons vu accoster des femmes porteuses d’une grande énergie et d’un courage indescriptible, des reines vagabondes dont les fils s’appelaient Hannibal -le conquérant-, Saint Augustin -le sage-, ou encore Kheireddine -le réformateur. Aujourd’hui, pourtant, déplore Donia Kaouech, nous avons peur d’aborder ces rivages de migrations».

La raison est, selon elle, les nombreuses tentatives de séparer les deux rives de la grande Bleue, celles où l’on parle le même langage. «Un langage qui permettait de faire de l’étranger un ami, de l’inconnu un familier, du lointain un proche, du désordre apparent un ordre intérieur».

Nous avons gagné une bataille mais pas la guerre

La présidente de Tunisiennes Fières a abordé la question touchant à la volonté exprimée clairement par les islamistes d’instaurer un nouvel ordre en Tunisie : «Nous avons vécu 3 longues années, difficiles, terrifiantes: nous avons connu l’horreur du terrorisme, la violence des assassinats politiques, la radicalisation rampante la crise économique et touristique, pire que tout, notre pays a été présenté par les médias du monde entier comme un pays dangereux, un pays à éviter».

Les femmes -remparts contre la montée des intégrismes- ça a été l’un des thèmes traités lors de ce forum, outre celui baptisé «Les femmes au cœur du numérique, pour l’emploi, l’entreprise, la vie politique et la communication».

Dans le deuxième panel, ont participé Maya Ksouri, avocate et éditorialiste, Arlette Chabot, journaliste, animatrice de radio et de TV, Héla Ouardi, universitaire et écrivaine, Samia Maktouf et Bénédicte de Kerprigent, fondatrice de l’Institut des Hauts-de-Seine. Maya Ksouri et Héla Ouardi ont eu le courage, à l’occasion, d’appeler à une relecture de la religion musulmane pour une meilleure interprétation des textes dans le sens de la paix, de la tolérance, du vivre ensemble et de l’amour de l’autre. «Les femmes tunisiennes ont changé l’histoire de notre pays puisque plus d’un million de femmes ont élu le président BCE, poussant le parti islamiste à sortir du pouvoir… Elles ont contribué à faire de la Tunisie la première démocratie du monde arabe en dépit de tous les dangers et de tous les périls». Toutefois, rien n’est gagné : «Ce n’est pas une tâche aisée de réaliser la démocratie après 23 ans de dictature, et passant par 3 années d’un régime islamiste… Nous avons gagné la bataille mais pas la guerre : nous avons aujourd’hui dans notre paysage politique une composante islamiste et nous devons donc rester vigilants car c’est toujours pour nous un peu la croisée des chemins. N’ayons pas peur. Ne doutons pas. Ne renonçons pas», appelle la présidente de Tunisiennes Fières.

Pour elle, le destin de la Tunisie et ceux de ses partenaires européens sont intimement liés et tout ce qui peut atteindre la Tunisie et menacer sa stabilité risquerait de toucher l’Europe au même degré si on n’y prend garde et si on n’agit pas de concert pour mettre fin à la gangrène extrémiste et soutenir le développement socioéconomique des pays du Sud.

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et président de l’ONG internationale «Leaders pour la Paix», avait annoncé la couleur en précisant que le terrorisme a encore rapproché les destins des deux rives de la Méditerranée et que «démocratie, liberté et développement tracent un horizon commun. Un avenir heureux ne nous sera pas donné, il nous faut ensemble le conquérir. Les femmes tunisiennes nous ont montré le chemin du courage et de la volonté».

C’est en partenariat avec l’Association Femmes, Débat et Société (FDS) et sous l’impulsion de Françoise Vilain, aujourd’hui présidente d’honneur, que l’Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises a réussi cette année une deuxième édition à laquelle ont participé des journalistes, des députés français et une Tunisienne, Hajer Ben Cheikh Ahmed -qui s’est déplacée spécialement de Tunis pour assurer la clôture du Forum- avec Jean-Pierre Raffarin et des femmes leaders provenant de nombre de secteurs stratégiques.

Donia Kaouech, présidente de Tunisiennes Fières, et Catherine Dumas, présidente de FDS et sénatrice de Paris, ont, lors de ce forum, rappelé que la question tunisienne est une question européenne, d’où la nécessité de renforcer la coopération entre les deux pays.

Un bel hommage a été rendu aux Tunisiennes par leur compatriote Alya Hamza, journaliste et écrivaine qui rappelle que jamais «elles n’oublieront qu’elles sont filles de guerriers, mères de conquérants, compagnes de combattants. Les filles d’Elyssa, la reine vagabonde, créatrice de cité et de civilisation, de Kahina, la guerrière berbère qui mit en échec par le fer et par le feu les tribus arabes, de Aziza Othmana, la princesse au grand cœur qui bouleversa tous les codes masculins et se voua aux pauvres et aux déshérités, de Radhia Haddad, la passionaria qui accompagna Bourguiba dans sa lutte».

Ces femmes, précise Mme Hamza, ont choisi de lutter pour imposer le vivre ensemble, le refus de la violence, le respect des traditions, la sauvegarde du patrimoine, le culte de l’éducation, l’ouverture, la tolérance.

«Kawthar Maamouri travaille depuis plus de trente ans à faire vivre un art artisanal de qualité.

Leila Ben Gacem a réussi à mettre le feu à une médina somnolente en créant expositions et festivals bien pensés dans ce cœur emblématique de la cité.

Lamia Ben Ayed ouvre son espace «Musk and Amber» où elle confronte les artistes tunisiens aux vents du large.

Hager Azzouz reçoit, dans sa «maison de la plage», lieu hybride, galerie d’art et bureau de création, les artistes de la scène contemporaine émergente : Sabri ben Mlouka, photographe atypique, sublime la femme tunisienne ; Soufia Baraket, dont l’objectif capte des histoires que l’on ne sait plus voir ; Mariam al Ferjani, artiste kaléidoscope, cinéaste, photographe, qui travaille sur la quête d’identité.

Pas très loin, l’Agora, espace culturel de proximité, rend à la culture sa familiarité et son accessibilité. Alors oui, si elle a choisi d’investir d’autres champs de bataille, d’autres formes de combats, ceux de la culture, des arts, du vivre ensemble, la femme tunisienne est debout».

On pourrait croire que la célèbre maxime «Ce que Femme veut, Dieu veut» correspond tout-à-fait aux Tunisiennes jeunes et moins jeunes. Elles sont tenaces, combattives, cultivées, engagées et déterminées. Donia Kaouech et bien d’autres se situent dans la continuité de leurs mères, grand-mères et ancêtres qui n’ont jamais baissé les bras et ne se sont pas soumises. Ces femmes ont été de tous les combats et de toutes les guerres pour que la Tunisie reste comme elle l’a toujours été, c’est-à-dire progressiste, ouverte et accueillante.

Ces femmes participent aujourd’hui activement au développement économique de leur pays en tant qu’entrepreneurs ou hauts cadres dans l’administration publique, dans le secteur privé, en tant qu’universitaires, médecins, ingénieurs, pilotes d’avions et en tant qu’actrices très importantes dans la dynamique politique et celle de la société civile. Elles sont décidées à aller de l’avant et n’envisagent aucun retour en arrière, car la Tunisie d’Elyssa et de la Kahina ne se soumettra jamais au dictat d’où qu’il vienne et quoi qu’il arrive.

A.B.A