“La privatisation des banques publiques n’est certes pas à l’ordre du jour”, comme l’a récemment indiqué le 20 courant le ministre des Finances par intérim, Mohamed Fadhel Abdelkefi, à sa sortie d’un forum sur la «Modernisation du secteur bancaire: enjeux de la réussite pour la Tunisie», mais le processus de leur restructuration-cession est désormais engagé.

C’est même un engagement ferme que le gouvernement tunisien avait pris auprès du Fonds monétaire international (FMI). Pis, cette conditionnalité, le FMI en a fait non seulement un prérequis pour décaisser le reste des tranches du prêt accordé à la Tunisie en mai 2016 (2,8 milliards de dollars) mais également une priorité dont il suit les avancées mensuellement à la faveur de rapports fournis par son équipe en Tunisie.

Le diagnostic et la recette de la Banque mondiale

Chastement appelée “restructuration-modernisation“, cette réforme qui concerne tout le secteur financier se fera sur la base d’une étude-analyse de la Banque mondiale.

De quoi s’agit-il?

Laurent Gonnet, leader Financial Sector Specialist (représentant du bureau de la Banque mondiale à Tunis), en a présenté les grandes lignes, du moins pour le secteur bancaire.

Cette étude est partie des doléances exprimées par les acteurs privés. Selon lui, “entrepreneurs, artisans, professionnels, patrons de petites entreprises, start-ups, mais aussi les investisseurs étrangers… tous nous le disent et nous le redisent: la croissance économie ne serait plus forte en Tunisie que si le secteur bancaire était plus solide, plus compétitif, plus moderne, plus innovant, bref, plus apte à prendre des risques pour accompagner les entreprises dans leur besoin de croissance.

Comme écho à ces exigences, les données statistiques sur le retard tunisien en matière de crédit bancaire ne manquent pas: toutes soulignent à la fois le manque de crédit et la relative mauvaise qualité de ces crédits (souvent trop courts, trop chers et alloués trop souvent à des entreprises non performantes, c’est-à-dire des entreprises qui sont peu créatrices d’emplois”.

Pour combler ce retard, le gouvernement tunisien a un plan. Un plan ambitieux dont deux volets méritent qu’on s’y attarde.

Le premier consiste en la rationalisation du pôle bancaire public. L’Etat est présent dans pas moins d’une quinzaine (15) d’institutions financières, et chacun peut imaginer le caractère inefficace de cet extrême éparpillement.

Le second inclut l’amélioration du cadre légal et réglementaire (nouvelle loi bancaire, nouvelle loi sur la faillite, réforme du régime des garanties, loi sur les bureaux de crédit…).

Pour la Banque mondiale, une fois toutes ces lacunes remédiées, les résultats attendus seront “plus de concurrence bancaire, plus d’efficacité dans le financement de l’économie, plus de sécurité pour les déposants, des taux d’intérêt plus bas pour les entrepreneurs et les particuliers, des maturités plus longues pour financer des investissements de long terme…”.

En un mot : plus de financement pour plus de croissance économique en Tunisie et plus de créations d’emplois.

La réforme est globale

L’étude insiste pour signaler que “la réforme des banques publiques constitue une priorité immédiate, mais elle n’est qu’un élément parmi une dizaine d’autres réformes touchant tout le secteur financier. La Banque mondiale examine avec le ministère des Finances les autres chantiers à mener dans la micro-finance, l’assurance, les marchés des capitaux, dont les performances sont médiocres. L’infrastructure et le cadre légal qui régissent directement et indirectement le secteur financier appartiennent à un temps révolu. La Tunisie a plus que jamais besoin d’un secteur financier moderne, efficace et innovant, capable de relever les défis en matière de croissance et d’inclusion économique”.

Focalisation sur les banques publiques

L’étude la Banque mondiale devait répondre à cette question récurrente: pourquoi focaliser sur les seules banques publiques alors que certaines banques privées sont, elles aussi, montrées du doigt pour leurs créances douteuses importantes, leur participation jugée insuffisante au financement des PME et la faible qualité de leurs services?

Dans sa réponse, la Banque mondiale relève que les banques publiques occupent un tiers du marché et que, à ce titre, elles ont une influence sur l’ensemble du marché bancaire. Cette influence est malheureusment négative et est perceptible à travers le phénomène de nivellement par le bas.

Et l’étude de l’expliquer: “Ce phénomène se produit lorsque, sur un marché donné, une poignée de concurrents peut durablement sous-performer sans avoir à subir les conséquences de leur mauvaise gestion. C’est ce qui arrive lorsque tous les acteurs, y compris les moins performants, bénéficient d’un environnement réglementaire peu contraignant, comme cela a longtemps été le cas pour les banques publiques en Tunisie. Ce traitement a en fait consisté à appliquer des règles prudentielles en-deçà des règles prudentielles internationales, comme par exemple la possibilité de ne pas complètement enregistrer de pertes en dépit d’un volume important de créances impayées. Ce régime a également bénéficié aux banques privées puisque les règles prudentielles s’appliquent uniformément à toutes les banques. En bref, la réglementation a jusqu’à récemment permis aux banques publiques de survivre et aux banques privées de faire des bénéfices confortables sans trop d’efforts, même en situation de fort ralentissement économique, comme actuellement. C’est ce que l’on appelle le “lazy banking”.

La recapitalisation, une perche de salut ?

Quant aux Tunisiens peu avertis qui ont cru que la recapitalisation des banques publiques en 2015 -près de 700 millions de dinars ont ainsi dû être injectés sous forme de capital dans la BH et la STB-, l’étude rappelle que cette recapitalisation n’est qu’un élément de la réforme du secteur bancaire public et qu’à la limite ces recapitalisations n’étaient qu’une perche de salut qui a permis aux banques publiques de survivre et de raccrocher in extremis aux wagons. “De gros efforts restent encore à fournir en termes de modernisation de leur système d’information (global banking), de leurs gammes de produits et services, de leur organisation et de leur culture”, relève l’étude.

En clair, la mauvaise gestion du secteur bancaire demeure totale. Les contribuables ne sont pas au bout de leur peine. Ils peuvent encore mettre la main dans la poche pour sauver ces boîtes mal gérées.