“L’innovation, clef de la croissance tunisienne”, tel est le thème du traditionnel colloque annuel du magazine L’Economiste maghrébin qui s’est tenu le 21 avril à Tunis. Cette manifestation à laquelle ont été conviés plusieurs institutionnels,  experts nationaux et internationaux a traité des paradoxes de l’innovation en Tunisie, des blocages qui empêchent sa promotion et des pistes à explorer pour y remédier.

D’abord un mot sur le concept d’innovation en économie. Il s’agit de mettre sur le marché national ou mondial de nouveautés, de produits et de services nouveaux ou significativement améliorés.  L’accent est mis également en matière d’innovation sur le management de cette dernière, s’agissant des process et mécanismes de gestion à mettre en place pour améliorer leur efficacité et efficience.

En plus clair encore, le concept d’innovation est avant tout un état d’esprit qui implique que l’on distingue bien le résultat concret (produit, service, procédé, etc.) de l’action d’innover, du processus abstrait qui permet de les réaliser.

Tendances de l’innovation

Dans le monde, l’innovation va développer les capacités de l’homme et accélérer le progrès humain.

Ainsi, la voiture que conduiront nos petits enfants ne sera pas la même que celle qu’on conduit de nos jours. Elle sera conduite de façon autonome (self driving). L’avantage de cette conduite nous permettra de réduire de manière drastique les accidents mortels de la circulation dont la Tunisie détient un triste record.

Grâce au progrès de la biotechnologie, l’homme vivra plus longtemps. L’espérance de vie peut être portée à plus de 120 ans.

A la faveur de l’intelligence artificielle (robotique), les capacités de l’homme seront multipliées à l’infini pour résoudre ses nouveaux besoins.

Une stratégie de l’innovation à dépoussiérer

Concernant l’état des lieux de l’innovation en Tunisie, les participants à ce colloque, y compris le ministre de l’Industrie et du Commerce, Zied Ladhari, dont un important pan de l’innovation relève de son département, ont été surpris d’apprendre qu’en Tunisie, il existe bel et bien une stratégie de l’innovation. Sa mise au point et sont élaboration datent de 2010. Elle est hébergée dans les tiroirs de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII). Il faudrait donc la dépoussiérer.

Samir Bouchouel, directeur général de l’APII, qui a fourni cette information, répondait ainsi aux virulentes critiques formulées à l’endroit des structures publiques d’appui à l’innovation qui ne seraient pas innovantes.

Lui emboîtant le pas, Saida Ounissi, secrétaire d’Etat à la Formation et à l’entrepreneuriat, et Fayçal Derbal, conseiller auprès du chef du gouvernement, chargé de la réforme fiscale, ont rappelé, à gorge déployée, les juteuses incitations instituées par la nouvelle loi sur l’investissement en faveur des projets innovants.

Blocages structurels

Parmi les entraves qui empêchent la promotion de l’innovation en Tunisie, les participants ont cité le chômage de dizaines de milliers de biologistes, ingénieurs, techniciens et autres promus des filières scientifiques et techniques. Pourtant, a-t-on martelé, ce sont ces diplômés-là qui sont les seuls habilités à innover et à créer de la valeur.

Zyed Zalila (un Franco-tunisien), président d’Intellitech (France) et chef du projet de la voiture autonome chez Renault, a déploré que ces diplômés soient oisifs et passent le plus clair de leur temps dans des cafés, des endroits qui, a-t-il dit, sont en plus dépourvus d’équipements adéquats (TIC) devant favoriser leur épanouissement et éclosion de leur inventivité et créativité digitale.

Autre blocage qui entrave le développement de l’innovation, le cloisonnement de la recherche universitaire en Tunisie. Wided Bouchamaoui, présidente de la centrale patronale, a appelé au besoin de sortir les chercheurs des laboratoires et de les mettre au service des entreprises, suggérant un partenariat porteur entre université-entreprises. Elle n’a pas manqué également de rappeler que la centrale, persuadée de ce que peut rapporter l’innovation pour l’amélioration de la compétitivité des entreprises, a mis en place ses propres structures de recherche et de formation (une académie et un centre de recherche).

Comment s’en sortir?

Au rayon des pistes à explorer pour développer l’innovation en Tunisie, Eric Grab, directeur de l’Innovation chez la multinationale française Michelin, a demandé aux Tunisiens de ne pas chercher à développer l’innovation à partir de ce qui existe, voire “d’une demande déjà exprimée mais d’innover en travaillant sur ce qu’il appelle “la demande latente ou potentielle”.

Cela se traduit, selon lui, par «la nécessité de comprendre la demande … et de se rappeler constamment que l’innovation est avant tout une rencontre entre l’offre et la demande». C’est pourquoi, pour lui, «il ne sert à rien de développer une offre quand il n’y a pas au préalable une demande, la demande étant par essence tournée vers le futur».

Le ministre nahdhaoui Zied Ladhari, qui est en même temps secrétaire général du parti Ennahdha, s’est mis au goût du colloque et est devenu progressiste. Il a insisté sur l’enjeu d’agir sur l’école et d’inculquer aux jeunes générations l’esprit d’entrepreneuriat et la culture d’innovation. “On ne peut pas innover si les hommes ne sont pas prédisposés et préparés à innover”, a-t-il-dit.

Mais là, on voit bien qu’il y a là un discours de circonstance bien loin de l’attachement de son parti aux écoles coraniques génératrices d’un savoir dogmatique et archaïque.

D’autres solutions ont été prônées par moult intervenants. Pour promouvoir l’innovation et repositionner ses secteurs classiques, la Tunisie a intérêt à intégrer des alliances de confiance (groupements régionaux) et des réseaux innovants.

L’innovation, un facteur d’inclusion et non d’exclusion

Pour Jean-Marc Chataigner, directeur général délégué IRD (France), le principe est simple. Il s’agit pour les Tunisiens de s’adapter à cette accélération de l’histoire humaine qui “peut être inquiétante” et d’œuvrer, par conséquence, à en atténuer les impacts négatifs.

Rebondissant sur cette approche, Radhi Meddeb, PDG de Comete Engineering, a insisté sur l’enjeu de faire en sorte que l’innovation générée par la révolution digitale favorise l’égalité et l’équité des chances pour tous les Tunisiens et soit ainsi un facteur d’inclusion et non d’exclusion.

En pleurs -bien en pleurs-, Nooman Fehri, ancien ministre TIC dans le gouvernement Habib Essid, a rappelé cette triste réalité: “Seuls 16% des Tunisiens ont un ordinateur. Ce taux est de 3% à Sidi Bouzid et à Kasserine”.

Cela pour dire que l’innovation ne s’improvise pas. On s’y prépare pour la développer et en tirer le meilleur profit. La démarche consiste à diffuser la culture d’innovation et à créer à tous les niveaux un environnement socio-économique qui lui soit favorable.

A ce propos, Sangho Chung, expert sud-coréen, a déclaré au cours de ce colloque que si son pays figure parmi les 10 premiers pays développés du monde alors qu’il figurait parmi les plus pauvres durant les années cinquante, c’est que, depuis, les Coréens ne naissent qu’avec l’esprit entrepreneur. “Les Coréens naissent entrepreneurs”, a-t-il dit.

Sans commentaire.