Economie : Ces investisseurs en herbe qui veulent développer le nord-ouest!

Par : TAP

econoie-radisocopie-680.jpgIls sont Tunisiens et étrangers, prêts à créer de grands projets et à investir dans des régions intérieures de la Tunisie, longuement marginalisées. Ils affirment posséder leurs propres fonds et rien attendre de l’Etat -ni avantages fiscaux ni financements. Ils ont juste besoin des autorisations et d’une “liberté d’agir” conformément aux lois en vigueur.

Malmenés par l’administration, toujours freinés par les formalités exigées et condamnés à attendre longuement des autorisations qui n’arrivent pas, ils déclarent en avoir assez de la bureaucratie. Les démarches administratives complexes risquent de les pousser à fuir, à jamais, des sites qui ont plus que jamais besoin de leurs investissements pour créer de l’emploi et booster l’économie régionale et nationale.

Rachid, Chaker, Mohamed et Julien Baud sont quelques noms d’une longue liste d’investisseurs ayant décidé de créer leurs projets à Tabarka, Jendouba, Béja et dans d’autres régions intérieures tunisiennes.

Plus de 6 ans après la révolution et en dépit de diagnostics effectués en vue d’améliorer les services et agir autrement et efficacement, la situation dans les régions du nord-ouest n’a pas changé. En 2012, un rapport du département du développement régional et de la planification “Pointer les difficultés pour orienter les efforts et suivre le progrès” avait évoqué en détail les difficultés d’accès aux services dans la région de Jendouba.

Ainsi, la difficulté d’accès aux services dans le gouvernorat de Jendouba est, nettement, supérieure à la moyenne nationale. Cette difficulté mesurée en distance séparant la délégation d’un grand pôle d’activité se situe “au dessus de la moyenne nationale. Cela reflète une réelle difficulté en termes d’échange commercial puisque la distance parcourue pour accéder au pôle le plus proche est plus que 20 fois supérieure à la meilleure délégation”, note le rapport.

Tabarka, un pôle touristique prometteur qui séduit Allala El Jemai, investisseur dans le secteur du transport aérien, résident en France, n’a qu’un seul vœu: redonner à Tabarka ses splendeurs et créer des liens directs avec l’étranger à travers la réouverture de son aéroport international Tabarka-Ain Draham, fermé depuis des années.

Espoirs…

Chaque printemps, cet amoureux de la belle ville du nord-ouest tunisien fait tout pour transporter, à bord d’un avion européen privé, des investisseurs tunisiens et étrangers pour étudier d’éventuels projets touristiques dans la région. “Je caresse toujours cet espoir et je suis convaincu qu’on pourrait aller plus loin en exportant nos produits en Afrique où vivent plus de 300 millions de consommateurs”. Il a lancé, depuis 8 ans, une campagne nationale et une autre internationale pour sensibiliser à l’importance du potentiel de Tabarka et du rôle que peut jouer l’aéroport international de Tabarka-Ain Draham à l’échelle internationale ainsi que dans le développement de l’économie tunisienne.

Allala n’est pas le seul à caresser l’espoir de voir des projets touristiques se multiplier dans la région. Belgacem Ouchtati, 62 ans, attend depuis plus de 7 ans des décisions pour lancer un projet d’éco-tourisme qui consiste à installer des tentes biologiques le long du chemin reliant la ville de Nefza à Béja et Tabarka dans la région voisine de Jendouba. “J’ai usé mes souliers sur les chemins entre les administrations pour parachever des procédures interminables”, déclare, lassé, Ouechtati.

Une terre domaniale pose problème…

Idem pour Mohamed Abidi (60 ans), qui envisage de créer un mégaprojet touristique comportant, entre autres, une clinique multidiciplinaire, des stades, des espaces commerciaux et de loisirs, moyennant un investissement de l’ordre de 10 millions de dinars et pouvant générer des milliers d’emplois. D’après ses dires “cela fait 5 ans qu’il attend toujours une décision pour le changement de la vocation de la terre sur laquelle sera bâti le mégaprojet”.

Un autre promoteur, Kamel Awadi (48 ans) a déclaré à TAP qu’il avait présenté un dossier pour la création d’un projet de fabrication de briques en ciment et de vente de produits bitumeux. Son projet attend le règlement de la situation de la terre domaniale (7000 m2) limitrophe de la zone industrielle à Jendouba-nord. Le projet coûte environ 9 millions de dinars et dispose d’une capacité d’emploi de 20 personnes, selon lui.

Des blocages à tous les niveaux Kamel a un autre souci. Il n’a pas été incommodé par la longue attente de plus de deux ans pour obtenir l’accord de principe de l’ANPE et parachever les procédures complexes exigées par l’APII et les ministères de l’agriculture et des domaines de l’Etat. Mais, il a été surpris de voir le département de l’Agriculture décider d’arrêter son projet après son entrée en exploitation “parce qu’il a un impact sur l’environnement”. Le promoteur s’est engagé pourtant à payer des mensualités de 50 000 dinars de son crédit.

Un autre jeune promoteur, Islam Shili (38 ans) attend depuis des années une autorisation pour l’exploitation d’une carrière à Jendouba. Ce projet sera d’un grand apport, selon lui, non seulement pour cette région mais pour tout le nord-ouest de la Tunisie.

La demande de Houcine Riebi (46 ans) présentée à l’administration depuis plusieurs années pour prendre en bail une terre domaniale, est restée sans réponse. Pourtant, le lot concerné figure parmi les terres non productives et nécessite une grande opération de mise en valeur. Riebi vient de découvrir que le lot a été labouré et craint que le terrain n’ait été cédé à un investisseur.

Abderrahmen Ouerghi possède une société de mise en valeur et exploite une terre destinée à la culture à sec. Au moment où cet ingénieur de 54 ans a décidé de créer un périmètre irrigué pour cultiver des produits agricoles biologiques destinés à l’exportation et à la consommation locale, il a été informé du changement de classement de la terre qu’il exploite (une terre relevant du climat semi humide), ce qui entraîne d’autres engagements financiers qu’il considère superflus. Ceci étant, Abderrahmen n’est pas disposé à se départir de son projet.

Ce ne sont pas uniquement les investisseurs locaux qui souffrent de la complexité des formalités administratives, Jean Baud fait partie des investisseurs étrangers qui continuent à subir ce genre de tracasseries. Cet investisseur français qui cherche à faire revivre le projet du téléphérique à Ain Draham et à exploiter des produits touristiques puisés dans les ressources de la région, moyennant 40 millions de dinars, n’a pas obtenu de réponse convaincante, a-t-il déclaré à l’agence TAP.

Des mesures “courageuses” pour faciliter l’investissement

Seules des mesures “courageuses”, qui seraient prises par l’Etat pour lequel l’emploi et le développement régional sont des soucis majeurs, faciliteraient le lancement de ces projets. Le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Yassine Brahim, s’est contenté de le relever affirmant que “l’investissement a besoin de réformes législatives et structurelles profondes afin de sortir de la stagnation ainsi que de mesures courageuses mettant fin aux procédures compliquées et à la longue attente”.

Contacté par TAP, le directeur régional du développement à Jendouba, Khelifa Ennouri, estime que la prise de décision centralisée concernant le financement des projets et la conversion de la vocation des terres domaniales est derrière le retard affiché dans la réalisation des projets. “Ces procédures peuvent prendre des années et la centralisation est parmi les causes principales du blocage des projets”, a-t-il dit. Il a également évoqué des “conditions imposées par certaines structures et l’interférence des prérogatives”, qui constituent des facteurs bloquant l’investissement, citant à ce propos, la complexité des procédures de transformation de la vocation de 5 zones industrielles dans la région, pouvant perdurer jusqu’à plus de 6 ans.

D’après lui, la simple transformation de la vocation des terres permettra d’améliorer les indicateurs de développement dans la région de Jendouba, classée parmi les derniers gouvernorats en matière de développement. “Nous attendons le nouveau code d’investissement qui devrait apporter des lois plus efficaces et plus de marges de manoeuvre”, déclare le responsable au correspondant de TAP.

Les promoteurs à Jendouba, dont plusieurs ont déjà présenté leurs projets à des décideurs publics et à des ministres ayant effectué des visites dans la région, n’ont pas choisi d’aller ailleurs en dépit des contraintes. Ils continuent d’envoyer des correspondances, de contacter des députés de l’ARP et même protester pour attirer l’attention du gouvernement et mettre fin à un calvaire qu’ils ne méritent pas.

Pourquoi doivent-ils souffrir, eux qui sont porteurs d’espoir, particulièrement pour des jeunes diplômés-chômeurs au bord du désespoir?