Tunisie – Forum du Futur : Les choix forts et les options d’avenir

Le slogan du “Forum du Futur“ constitue l’exposé de motif de son programme. Qu’on en juge: Les grands choix économiques et sociaux afin de soutenir le processus démocratique en Tunisie. Lever de rideau sur les choix fondamentaux se rapportant au modèle social tunisien, dont il faudra convenir démocratiquement. Cela peut bien s’appeler désir d’avenir.

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Le forum du futur se tient à Tunis les 24 et 25 février 2016. Il est organisé en partenariat avec l’ASECTU (Association des économistes tunisiens) avec le concours du CRES. Le Forum adopte un format standard. Les conférenciers se livrent à un exercice de prospective. Ils opèrent un forcast, projetant les prévisions économiques et sociales pour le pays sur les 20 prochaines années.

Disposant d’une esquisse crédible, ils invitent la classe politique, les faiseurs d’opinion et toutes les catégories de décideurs à convenir de choix économiques et sociaux pour configurer le modèle sociétal qu’ils privilégient.

Les agrégats et les fondamentaux

Il est revenu au Pr Mohamed Haddar, président de l’ASECTU d’ouvrir le bal, de planter le décor du forum, mercredi 24 février. Son discours s’en tient à des considérations strictement scientifiques. Dans un propos concis et cohérent, il rappelle les agrégats et les fondamentaux, établis depuis Vassily Leontief (économiste américano-russe, né à Munich en Allemagne, connu pour son “Paradoxe de Leontief“…) jusqu’à Joseph Stiglitz (lire notre article: Tunisie : Joseph Stiglitz, “plus d’Etat“ et “Mieux d’Etat“?) et qui commandent l’évolution économique et sociale de la communauté nationale.

Il harmonise son discours avec la triple interrogation posée par la vulgate en sciences économiques, à savoir: “Que produire, comment produire et pour qui produire“.

Pr Haddar rappellera que dans une société, il faut se donner un système de production pour organiser le niveau de création de richesses. Ensuite, il convient de répartir ce qui a été créé via la fiscalité et les transferts sociaux en vue de garantir une justice sociale. Et pour que l’ensemble social tienne et soit solidaire, il faut un effort de protection sociale pour les inactifs, les démunis et les retraités.

On peut me rétorquer que, sans se draper du couvert scientifique, cet enchainement tombe sous le coup du sens. L’implication scientifique vient de ce que ces variables sont liées et complémentaires au sens de Vilfredo Pareto. Si l’on touche à l’une, on ne peut manquer d’impacter l’autre. Par conséquent, la réflexion en matière de planification économique et sociale doit être packagée.  

L’exception tunisienne: l’anémie de croissance

C’était ensuite autour de Mustapha Kamel Nabli (MKN) d’embrayer sur le premier des cinq thèmes, celui se rapportant à la physionomie de la croissance de demain.

L’ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) rappelle que “de la nature de la croissance dépendra la qualité du développement du pays“. Même si la démonstration est établie, c’est son application à la Tunisie qui apporte un plus.

La Tunisie a fait le choix –ou délibéré, ou imposé, ou par négligence- de s’en tenir à une croissance médiane avec un taux voisin de 4,5%. Si on décomposait cette croissance, on trouverait que la contribution de la ressource humaine génère 2,5% et la productivité 2%. C’est ce dernier élément qui reste faible. Les pays émergents en sont au double, soit à 4%. C’est le cas de la Chine et de l’Inde. C’est cela qui a fait que le développement de la Tunisie a été anémique et qu’il a généré toutes les tares économiques et sociales qui ont précipité la révolution. Et tous les équilibres globaux respectés ne remplissaient leur condition qu’en façade parce qu’ils reposaient sur des fondamentaux qui étaient faibles, peu consistants.

La preuve est que le système a fini par se fissurer. Le pays a fait le choix d’investissements productifs peu capitalistiques qui ne contribuaient en rien à la productivité laquelle provenait de variables d’ajustements salariale et monétaire. Ajouter à cela que le taux d’investissement se cantonnait -bon an mal an au cours des deux dernières décennies- à un taux de 23% au maximum, ce qui est loin des 40% des pays émergents.

La démonstration de MKN est établie, ce qu’elle apporte ici c’est qu’elle établit la relation de cause à effet entre mode de production et niveau de développement. Après, il appartient aux décideurs de se prononcer et de choisir les options qui conviennent, mais en toute connaissance de cause se tenant prêts à assumer leur choix devant le peuple. 

Le retournement de la démographie et les caprices de la croissance

Que sera la croissance à l’avenir? Sur les vingt prochaines années et à la faveur du retournement démographique de la population tunisienne, la pression quantitative deviendra qualitative sur le marché de l’emploi. Le flux de nouveaux arrivants sur le marché du travail va baisser de moitié. De 75.000, ils ne seraient plus que 35.000, et les nouveaux candidats à l’emploi seront des femmes en majorité. L’ennui dans tout cela est que ce changement de physionomie pourrait s’accompagner d’un fléchissement de tonalité de la croissance qui risque de s’éterniser à 2% si on ne modifie pas la productivité du facteur capital ainsi que la productivité globale de l’économie. Et ces choix devront faire l’objet d’un consensus selon un rituel démocratique.

L’écart entre la prospective et la planification

En choisissant une profondeur prospective de vingt ans, MKN imprime une certaine hauteur au débat. Ce faisant, il élude les solutions à apporter aux difficultés actuelles échappant à se prononcer sur la nature du travail de planification entrepris par le gouvernement. On aurait aussi aimé l’entendre se prononcer sur les conclusions de la BM (Banque mondiale) qui, dans son rapport “La révolution inachevée“, disait que «la Tunisie doit passer d’une économie de rente à une économie concurrentielle». S’enfermer dans les seuls paramètres nationaux sans intégrer l’environnement international ou au moins régional affecte quelque peu la qualité de la démonstration.

–          Les substituts aux importations ne sont pas de vraies importations
–          Les sources des États-Unis sont des sources de biais
–          La «chaîne internationale» des avantages comparatifs
–          L’année 1947 est atypique car trop proche de la Seconde Guerre mondiale.

Naissance du «paradoxe»
–          Il n’a pas tenu compte de la demande des ménages américains, qui étaient sûrement les plus dynamiques de l’époque.
–          Il ne prend en compte que le capital et le travail, il aurait peut-être été intéressant de prendre en compte la terre et les ressources naturelles.
–          Il n’a pas tenu compte de la différenciation du travail: travail qualifié, et non qualifié.

Il va prendre la limite de ses travaux, et va ouvrir la voie aux explications néo-factorielles et néo-technologiques qui vont tenter de sauver l’approche HOS en la réinterprétant…