Mesures en faveur du tourisme : Les réserves de professionnels du secteur

Par : Autres

tourisme-tunisie-0412015.jpgL’une des bases essentielles du modèle économique tunisien est le secteur touristique. Au début des années 60, le jeune Etat tunisien cherchait les principales orientations économiques qu’il devait prendre.

La décennie des années 60 a vu une période de sécheresse exceptionnelle qui ne s’est arrêtée que par les inondations de 1969, ce qui était suffisamment dissuasif pour un modèle de développement basé sur l’agriculture.

N’ayant pas de richesses minières importantes, ni de puits de pétrole pour subvenir aux besoins du pays en devises étrangères, afin de financiers toutes les importations nécessaires au pays, le choix s’est donc porté sur le tourisme, et l’Etat s’est chargé de réaliser les premiers investissements dans ce secteur, en créant la chaîne d’hôtels, à savoir la SHTT.

La demande était tellement forte sur le produit tunisien que, bien qu’il soit géré par l’Etat, les hôtels de la SHTT ont réalisé d’excellentes performances, ce qui a encouragé les investisseurs privés à se lancer dans l’investissement touristique.

Ces pionniers du tourisme ont vécu l’âge d’or de ce secteur qui, pendant trois décennies d’affilées, réalisait un taux de croissance moyen annuel de 17% avec un investissement en continu, et avec beaucoup d’encouragements de la part de l’Etat, pour atteindre la capacité de 508 unités hôtelières à fin 1990.

Tous ces hôteliers ont remboursé intégralement leurs dettes et ont réalisé aussi des bénéfices qu’ils ont réinvestis dans le même secteur ou dans d’autres secteurs pour diversifier leurs activités.

Les deux autres décennies qui ont suivi cette période d’âge d’or du tourisme, à savoir, de 1990 jusqu’à 2010, a vu l’arrivée de nouveaux investisseurs venus des autres secteurs attirés par les bonnes performances du tourisme.

Malheureusement, cette période a été marquée par le déclin de ce secteur d’une manière surprenante et imprévisible que même les professionnels les plus avertis ne l’ont pas vu venir.

Cette baisse d’activité est due essentiellement à certains facteurs endogènes mais essentiellement à des facteurs exogènes qui ne dépendent en rien de la bonne volonté des professionnels de ce secteur, qui ont continué à investir dans ce secteur, emportés par les bonnes performances enregistrées lors des trois décennies précédentes. Ils ont réalisé 350 unités hôtelières nouvelles, pour atteindre une capacité totale de 856 hôtels.

Pendant ces deux dernières décennies, le taux de croissance moyen annuel a chuté de 17% à 4,7%.

Les principaux facteurs exogènes de ce déclin sont principalement les suivants, et ce à titre indicatif et non exhaustif:

–          Baisse importante de la demande sur le produit tunisien, qui était presque seul sur le bassin méditerranéen, alors que l’offre s’est  accrue d’une manière exponentielle avec l’arrivée sur notre marché de nouveaux produits de pays concurrents, comme la Turquie, l’Egypte, le Maroc, la Croatie, la Bulgarie, etc.;
–          Les crises géopolitiques, à commencer par la guerre du Golfe, les actes terroristes qui se succèdent, les crises financières internationales, etc.

Quant aux facteurs endogènes qui continuent à biaiser notre tourisme et auxquels il faut absolument remédier, pour retrouver notre compétitivité et notre attractivité, ils sont de notre ressort à savoir:

–          La diversification de notre produit pour pouvoir offrir aux clients la même panoplie d’activités et de loisirs qu’ils retrouvent chez nos concurrents;
–          L’amélioration de la qualité du produit pour monter en standing et se positionner au même niveau de la concurrence;
–          Revoir toute la politique de marketing en l’adaptant aux nouvelles techniques et aux nouveaux moyens de commercialisation, essentiellement le WEB;
–         Résoudre le problème du transport aérien pour se mettre au diapason de tous les pays concurrents, en adoptant dans les meilleurs délais l’OPEN SKY, qui est une nécessité absolue, pour que les compagnies LOW-COAST programment la Tunisie;
–          Améliorer si ce n’est pas changer toutes les méthodes de la formation professionnelle, pour les adapter aux nouveaux besoins de la clientèle (Show cooking, All inclusif, etc.);
–          Revoir la gouvernance des unités hôtelières en séparant la propriété des hôtels de leur gestion, et ce en faisant appel à des sociétés de gestion de renommée internationale;
–          Baisser la pression fiscale sur le secteur, qui est aux alentours de 28% alors qu’elle n’est que de 20% sur les autres secteurs d’activité du pays;
–          Trouver une solution urgent au problème de l’endettement du secteur qui le plombe et l’empêche même de subvenir à ses besoins les plus élémentaires, et ce en ayant le courage de procéder à la correction de cette dette surévaluée par les pratiques bancaires non conformes à la réglementation, ni de la Banque centrale ni aux lois du pays, afin de ramener cet endettement à des taux de remboursement viables et non comme c’est le cas à des remboursements de 500%, dépassant ainsi tous les taux d’usure.

Tous ces points évoqués sont d’une importance capitale pour la survie de notre tourisme, qui est l’un des fondements de l’économie de notre pays, compte tenu du fait qu’il continue à réaliser 7% du PIB direct et 19% de PIB indirect, donc presque le cinquième de l’économie tunisienne. Il emploie 100.000 personne de manière directe et 300.000 autres de manière indirecte et donc fait vivre pas moins de 2.000.000 de Tunisiens.

Les recettes en devises sont de l’ordre de 15% du total des recettes de notre pays et couvrent 54% du déficit de la balance commerciale.

D’un autre côté, les crédits qui lui sont alloués s’élèvent à 3,5 milliards de dinars, ce qui représente 7,9% de tous les crédits accordés à l’économie du pays; qui s’élève à 45 milliards de dinars, sachant que les crédits du tourisme sont assis sur des garanties réelles se composant essentiellement de foncier et de l’immobilier, qui ne se déprécient pas mais bien au contraire ne font que prendre de la valeur, contrairement aux autres activités économiques dont leurs garanties ne font que se déprécier au fil des années.

Ceci étant exposé, et quand on voit les mesures exceptionnelles prises par le chef du gouvernement pour sauver la saison touristique, on ne peut qu’applaudir, parce que ce sont les premières mesures prises en faveur de ce secteur, malgré tout ce qu’il a enduré comme crises successives.

Malheureusement, cette saison est foutue depuis l’attaque terroriste sur le musée du Bardo, et l’attaque de Sousse ne fait qu’achever non seulement cette saison mais aussi les deux ou trois prochaines saisons.

Cependant, ces mesures sont nécessaires pour le climat social, pour que les hôteliers, n’ayant plus de clients, ne se trouvent pas obligés de licencier en masse leurs employés, chose qu’ils n’ont jamais faite lors des crises antérieures.

Les autres mesures concernant les reports des crédits et l’octroi de nouveaux crédits ne feront qu’enfoncer encore plus l’hôtelier et l’obliger à continuer à perdre en lui finançant ses nouvelles pertes avec de nouveaux crédits, ne sachant même pas à quel taux d’intérêts.

Quand on compare ces mesures soi-disant exceptionnelles avec celles prises par le Roi du Maroc suite à la crise de la guerre du Golfe, qui n’est rien en ampleur et en impact par rapport à celle que notre pays endure, il n’y a aucun lieu de comparaison.

D’ores et déjà, les mesures qu’il faut prendre et qui sont d’une importance capitale doivent s’orienter sur comment redonner confiance à nos touristes étrangers, que notre Etat n’a pas pu protéger, surtout après la catastrophe du Bardo, pour qu’ils nous fassent encore une fois confiance et reviennent dans notre pays pour passer leurs vacances. Il faut d’autres mesures surtout pour les sécuriser et c’est très difficile, compte tenu du contexte politique et géopolitique dans lequel nous nous sommes engouffrés.

Notre pays aurait dû mieux exploiter sa révolution du jasmin que tout le monde a applaudie, allant même jusqu’à lui faire une standing ovation au congrès américain.

On aurait pu aussi exploiter médiatiquement notre passage pacifique d’une dictature à une démocratie qui a réussi à faire une Constitution, des élections et des passassions de pouvoir d’une manière civilisée.

* ancien vice-président de la FTH