Allocations familiales : les économistes sceptiques sur la modulation

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à Lille le 8 octobre 2014
(Photo : Philippe Huguen)

[18/10/2014 18:16:37] Paris (AFP) La modulation des allocations familiales en fonction des revenus laisse sceptiques les économistes, certains y voyant un risque pour la cohésion sociale et dénonçant un “bricolage” du gouvernement.

Cette modulation sera proposée dans un amendement au projet de budget 2015 de la Sécurité sociale, examiné à partir de mardi à l’Assemblée. Selon le gouvernement, “12% des familles” qui perçoivent des allocations seront concernées.

Pour les économistes interrogés samedi par l’AFP, cette mesure arrachée par les députés socialistes au gouvernement manque de cohérence et d’une vision globale de la politique familiale.

“On est juste dans une logique comptable” et “on déstabilise le système”, dit Hélène Périvier, économiste à l’OFCE et spécialiste des politiques familiales.

Elle déplore un “manque de vision du gouvernement qui serait de regarder le système dans sa globalité au lieu de chercher de manière techno-comptable” où “récupérer des millions par ci par là sans que ça aille trop dans la rue”.

La modulation “ne va pas profondément changer le niveau de vie” des familles, dit-elle, mais “va atteindre la cohésion sociale autour de l’Etat social. Les gens vont dire: +Moi, j’en ai marre, on m’a baissé mon plafond de quotient familial, on me plafonne mes allocations, je paye plus d’impôts+…”, prévient-elle.

Alors que le gouvernement invoque une “mesure de justice”, elle rappelle aussi que “ce n’est pas parce que les riches reçoivent le même montant d’allocations familiales qu’ils ne sont pas plus mis à contribution parce que c’est l’impôt progressif qui les met à contribution”, les riches sans enfants participant également à la politique familiale.

“L’avantage de ce système plus universaliste, c’est que ça crée plus de cohésion autour d’un Etat social”, dit-elle.

– Moduler serait une erreur –

Olivier Thévenon, responsable de l’unité d’économie démographique à l’Institut national des études démographiques (Ined) regrette lui aussi “le périmètre extrêmement restreint par lequel on aborde le problème”, estimant qu'”on est dans le stade du bricolage”.

“On pourrait avoir une réforme plus ambitieuse qui passerait par une réforme fiscale”, dit-il.

Quant à Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, il estime tout simplement dans un entretien publié dans le Figaro que mettre en place cette modulation “serait une erreur”.

“Cette réforme porterait atteinte au principe d’universalité sur lequel repose le modèle social français et détruirait la cohésion sociale”, dit-il.

M. Sterdyniak y voit en outre un risque pour la natalité qui “dépend en grande partie d’un état d’esprit national”, alors que la France est un des pays les plus féconds d’Europe avec un taux de fécondité de 1,99 enfant par femme.

Ses confrères ne partagent pas cette crainte, M. Thévenon estimant que la natalité aurait été davantage mise à mal avec le projet initial du gouvernement qui prévoyait notamment une baisse des aides à la garde d’enfants.

“On évite le pire” en modulant, car “au moins on n’hypothèque pas les problèmes de conciliation entre vie familiale et travail”, dit-il.

Un point de vue partagé par Mme Périvier qui souligne que généralement “c’est dans les pays où on permet aux mères de travailler, que la natalité est la plus dynamique”.

Philippe Waechter, économiste chez Natixis, se veut quant à lui pragmatique, se demandant si l’universalité des allocations “ne fait pas partie des choses sur lesquelles il faut revenir probablement parce que les conditions ont changé”.

“Il y aura probablement des gens qui seront pénalisés”, mais “dans un système où il n’y a pas de croissance, où le pouvoir d’achat est mal en point”, il “faut faire quelque chose”, estime l’économiste.

La réforme pose aussi question en ce qui concerne sa faisabilité.

Vendredi, le président de la Caisse nationale d’Allocations familiales (Cnaf), Jean-Louis Deroussen, a souligné qu’elle allait “complexifier, en gros, la seule mesure qui était simple”, car “il faudra connaître la situation financière précise des ménages pour savoir si leurs droits restent ouverts ou sont en partie supprimés”.

En 2013, 4,8 millions de foyers bénéficiaient des allocations familiales pour un coût de 12,9 milliards d’euros. La réforme doit permettre de réaliser 800 millions d’euros d’économies à partir de 2016, et 400 millions d’euros dès 2015, selon les députés.