Bosnie : quand l’économie fonctionne, les divisions ethniques sont oubliées

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édifices endommagés, après la guerre de 1992-1995, dans le centre-ville de Gorazde, en Bosnie orientale, le 25 février 2007 (Photo : Elvis Barukcic)

[11/10/2014 22:03:40] Gorazde (Bosnie-Herzégovine) (AFP) A l’écart du bruit de la campagne pour les élections générales de dimanche qui a éveillé la rhétorique nationaliste en Bosnie, les employés de la fabrique Bekto Precisa n’ont qu’une motivation: la perfection du produit livré à leurs clients, pas moins que Porsche, Ferrari et encore Lamborghini.

Car dans un pays où les divisions intercommunautaires restent profondes près de 20 ans après la guerre de 1992-95, les musulmans, majoritaires à Gorazde, en Bosnie orientale, et les Serbes, travaillent ici ensemble.

“L’économie ne connaît pas de barrières. Notre entreprise ne se préoccupe pas de la confession ou de la nationalité des salariés. Ici, un homme vaut pour ce qu’il sait faire”, assure Amir Coralic, directeur technique de Bekto Precisa.

Ouverte en 2005 par Redzo Bekto, un homme d’affaires qui passe la plupart de son temps au milieu de ses employés et qui évite la presse, cette usine construite sur la rive droite de la Drina, a constamment grandi, malgré la crise économique.

Aujourd’hui, elle emploie 540 personnes, dont 45 ingénieurs, avec l’ambition d’avoir plus de 1.000 salariés d’ici six ans. Un contraste avec l’image générale de ce pays, l’un des plus pauvre d’Europe, où le chômage touche 44% de la population active.

Bekto Precisa fabrique des moules d’injection ultra-précis destinés à faire ensuite des composantes en plastique ou en alliage pour les voitures, ou encore des fixations de ski alpin, notamment pour des marques telles que Fischer et Marker, explique à l’AFP un des responsables de la compagnie, Mensur Brdar.

“Nous exportons plus de 95% de notre production en Europe occidentale, aux États-Unis et au Mexique”, dit-il, sans dévoiler le chiffre d’affaires.

La compagnie est fière de sa clientèle. A l’intérieur de l’usine, certaines composantes fabriquées sont exposées dans des vitrines et sont accompagnées de logos célèbres. Il ne manque pas un constructeur allemand d’automobiles haut de gamme: Porche, BMW, Audi, Volkswagen, Mercedes.

– Priorité aux compétences –

“Porsche n’a jamais produit une seule composante pour ses voitures en dehors de l’Allemagne. Eh bien, aujourd’hui, des pièces pour leurs voitures sont fabriquées en Allemagne et à Gorazde”, assure M. Brdar.

Natasa Danojlic, une juriste de 37 ans, travaille dans cette entreprise depuis un an et demi. Elle est Serbe et habite à Visegrad, à 40 km de Gorazde, une ville qui se trouve dans l’entité serbe de Bosnie.

“C’est une vraie entreprise européenne qui vous juge selon vos compétences et non pas d’après votre appartenance ethnique”, dit-elle.

Depuis la fin de la guerre, qui a fait 100.000 morts en Bosnie, ce pays est divisée en deux entités, une serbe et l’autre croato-musulmane.

Cette entreprise semble être un cas isolé dans cette ex-république yougoslave. Mais, même s’il ne sont pas nombreux, il y a aussi d’autres entrepreneurs qui croient que le développement économique et l’entente intercommunautaire est possible, à condition que les élus rendent l’environnement d’affaires plus attractif pour les investisseurs étrangers.

A Derventa, une petite ville du nord située dans l’entité serbe, une trentaine d’entreprises, dont la moitié fondées par des compagnies autrichiennes, allemandes et encore italiennes, emploient quelque 7.000 personnes dans la production.

La société Mreza Network, fondée en 2005 et qui emploie aujourd’hui 350 personnes, s’est spécialisée dans la fabrication de câbles électriques pour des engins de chantier, notamment pour le groupe Liebherr, et des voitures de sport (Ferrari, Lamborghini, Formule 3), dit à l’AFP le directeur adjoint, Zoran Tosic.

Ses employés appartiennent aux trois principales communautés de Bosnie (serbe, croate, musulmane) et travaillent dans la meilleure entente, assure-t-il.

“L’économie est la base de tout développement. Si on ne donne pas la priorité à l’économie, on ne s’en sortira jamais du bourbier des disputes intercommunautaires”, dit M. Tosic.

Cet économiste quinquagénaire fait valoir que si le pouvoir issu des élections de dimanche pouvait assurer un environnement politiquement stable et favorable au développement, les entrepreneurs bosniens seraient capables de créer en cinq ans au moins 70.000 emplois dans ce pays de 3,8 millions d’habitants.