Terrorisme et contrebande : Phénomène et lutte… C’est tout?

C’est un attelage maudit et diabolique que le terrorisme et l’argent sale. L’erreur serait de régler la question par les seuls experts. L’affaire est éminemment politique. Il ne faut pas y voir un épiphénomène sans conséquence. Ce serait une faute grave de penser qu’on peut le traiter avec le temps. Si on ne prend soin de l’éradiquer, cette machination maléfique finira par nous submerger, par surprise. Gare! C’est un plan satanique pour installer un alter Etat, pas moins. Lutter ne suffit pas, il faut éradiquer. Pas de quartier!

terrorisme-contrebande-2014.jpgL’Association des anciens militaires s’active avec beaucoup d’énergie. C’est la deuxième fois qu’elle organise, à quelques semaines d’intervalle, un séminaire de réflexion autour de l’alliance entre le terrorisme et la contrebande. Elle a régulièrement associé, à cette initiative, l’Association des économistes tunisiens (ASECTU) dont le président, Mohamed Haddar, a réalisé deux études sur terrain relatives à la contrebande et ses ressorts économiques et financiers.

L’ennui est qu’à leur deuxième séminaire, les organisateurs n’ont pas convié, comme ils l’ont fait la fois d’avant, les experts de politique et de sociologie qui ont traité de la question. Ce dossier appelle, d’abord et avant tout, une prise en main politique. L’aborder autrement, c’est se tromper de guerre et d’ennemi. Quand les organisateurs proposent deux approches, l’une militaire et l’autre économique, sans une solution politique globale, ne font-ils pas fausse route?

L’approche militaire, insuffisante

Les anciens officiers savent tout du terrorisme sur terrain. Les accointances entre les capos du djihadisme et les caïds contrebandiers, les tristement célèbres Knatriya n’ont pas de secrets pour eux. Les porosités frontalières sur les deux flancs, algérien et libyen, et les trafics qu’elles génèrent leur sont familières. Ils possèdent tous les aspects du dossier.

Nous considérons que, pour des experts au fait du moindre détail de la question, ils n’apportent pas le traitement adéquat. Opposer une simple attitude de défense sur le terrain pour contrer le phénomène ne suffirait pas, de notre point de vue.

Si, du côté algérien la réélection d’Abdelaziz Bouteflika donne l’espoir d’une certaine stabilité sur le flanc sud-ouest, il en est autrement du côté libyen. Les choses ne s’y tasseront pas, avant longtemps.

Creuser un fossé pour entraver le passage des véhicules des contrebandiers entre la Tunisie et la Libye est certes une mesure à prendre. Elle ne portera pas, pour autant, un coup fatal à l’alliance entre djihadisme et grand banditisme.

Pour des militaires les anciens officiers ne prennent pas des résolutions martiales. Leur attitude, pour être trop tacticienne, nous emble timorée. Comment ne pas envisager une alliance internationale et réclamer un mandat à l’ONU et porter le fer dans la plaie, c’est-à-dire dans les quartiers généraux des groupes djihadistes disséminés sur le territoire libyen? Un front militaire international est tout à fait concevable.

Le terrorisme ne menace pas que la Tunisie mais également l’Europe. Qu’il y ait un régime djihadiste sur le pourtour sud de la Méditerranée et l’Europe basculera dans l’extrême droite. Ce sera, naturellement, le motif inespéré pour qu’Israël s’auto proclame état juif.

Aussitôt la région se transformera en poudrière parce qu’elle aura la configuration idéale pour servir de théâtre à une guerre de religions.

L’approche économique, trop timide

Le président de l’ASECTU a une excellente perception de l’ampleur du phénomène. Son chiffrage de cette économie underground paraît réaliste parce que ses hypothèses d’évaluation, tel qu’il les a exposées, semblent crédibles.

Près de 120 millions de TND pour le trafic du carburant et près de 1 milliard de TND pour la contrebande de produits et marchandises hors les armes. Naturellement l’écart de prix né du cumul des subventions étatiques et de l’évasion fiscale crée un avantage marchand.

Mais ce n’est pas le principal ressort de la contrebande surtout depuis qu’elle fait corps avec le terrorisme. La migration du commerce du simple trafic de produits et marchandises vers les voitures puis les armes, indique que le phénomène a muté, dangereusement. On quitte les petites niches de débrouille, pour aller vers un système économique alternatif. Le goût du risque chez ces aventuriers ne rend pas compte de cette dangereuse métamorphose. La conquête de la puissance est une thèse plus proche de la réalité, nous semble-t-il.

Alors proposer de relancer la croissance dans ces régions par des investissements mixtes est certes une mesure inévitable. Suggérer de booster l’IDE tunisien en Algérie est, également, une bonne idée. L’une et l’autre pourraient contribuer à dynamiser le développement dans ces zones. Elles ne vont pas régler le problème pour autant, c’est-à-dire voir les trabendistes se ranger et les Qaidistes capituler.

La part d’utopie

La connexion entre djihadisme et grand banditisme n’est pas qu’un simple épisode de circonstance. C’est une machination criminelle destinée à désarticuler l’Etat. Elle est porteuse d’un alter ordre social de nature féodale. Les trabendistes et les djihadistes sont des féodaux. A Ben Guerdane n’a-t-on pas incendié les postes de police et … le local de l’UGTT, quand le poste frontalier n’a pas été rouvert? N’est-ce pas la preuve que l’on veut abattre l’Etat, en s’attaquant aux symboles de sa souveraineté et fossoyer l’Etat providence et avec lui le droit du travail et celui prud’homal pour mettre en place un ordre social d’un autre type, au goût amer de même qu’étrange car étranger puisque venu d’ailleurs?

Les caïds et les chefs guérilleros ne recherchent pas l’inclusion, voyons. Ils veulent le pouvoir en marchant sur les cendres de l’Etat national. Et, pour eux, le pouvoir est au bout du fusil. Cela semble tomber sous le sens, comme ne cessent de le rappeler les experts de politique et de sociologie que les organisateurs ont omis d’inviter.

Si on exclut les idées fortes, qui dérangent, on risque de s’installer dans le conformisme intellectuel, c’est trivial. Quand on va au feu, on ne doit pas se laisser inhiber par l’odeur de la poudre. Elémentaire!