Crimée : quelle viabilité économique sans l’Ukraine?

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ésentant la Crimée sous les couleurs de la Russie, à Sébastopol le 13 mars 2014 (Photo : Viktor Drachev)

[14/03/2014 09:37:10] Kiev (AFP) Au-delà du vote dimanche en Crimée sur son rattachement à la Russie, se pose une question essentielle pour l’avenir de la péninsule: quelles seront les conséquences économiques si elle décide de couper les liens avec l’Ukraine?

Une semaine avant le vote, un parlementaire russe a annoncé que Moscou était prêt à soutenir à hauteur de plus d’un milliard de dollars la péninsule au sud de l’Ukraine, point d’accès stratégique à la Mer noire, et qui est de facto aujourd’hui sous le contrôle russe.

Du côté ukrainien, Kiev promet de “couvrir toutes les dépenses budgétaires en Crimée (…) la Crimée sera financée comme d’habitude”, selon le ministre des Finances ukrainien Olexandre Chlapak.

L’Ukraine assure aux deux millions d’habitants de la Crimée, dont la superficie est légèrement inférieure à celle de la Belgique, 85% des ressources d’eau de la péninsule et 82% de son électricité, affirme l’expert en énergie Mykhaïlo Gontchar, du centre Nomos à Kiev, contacté par l’AFP.

Les besoins en gaz de la Crimée sont tout juste couverts par la compagnie d’Etat Tchornomornaftogaz qui extrait 1,6 milliard de mètres cubes de gaz naturel de la Mer noire chaque année, souligne l’expert.

Or, si la Crimée est rattachée à la Russie, cette dernière “ne sera pas capable de compenser à court terme les ressources que l’Ukraine fournit à la Crimée, parce que les infrastructures pour le faire n’existent pas entre la Russie et la Crimée”, avertit-il.

Un minuscule bras de mer sépare de la Russie l’extrême Est de la Crimée. Si le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, a signé le 3 mars un décret concernant la construction d’un pont, celui-ci ne sera pas achevé avant des années.

– Où sont les touristes? –

Pour la Crimée, une destination de premier choix à l’époque soviétique et encore maintenant pour les vacanciers russes, le tourisme est l’un des piliers majeurs de son économie.

Mais avec l’arrivée de soldats russes et de navires de guerre, les stations balnéaires, comme celles de Yalta ou Evpatoria, craignent déjà de lourdes pertes et une mauvaise saison touristique.

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ée, à Simféropol le 13 mars 2014 (Photo : Filippo Monteforte)

“Beaucoup de gens ont décidé de ne pas aller en Crimée parce que c’est dangereux, ce n’est pas un endroit sûr”, explique Sevguil Mousaïeva, célèbre journaliste ukrainienne.

“L’année dernière, il y avait plus de deux millions de touristes en Crimée, qu’est-ce que ça va être cette année? Je ne peux pas l’imaginer”, s’inquiète la journaliste.

Les entreprises, qui risquent de perdre leurs clients si la Crimée est rattachée à la Russie, “sont juste choquées par cette situation, elles n’arrivent pas à le croire. Hier, c’était un territoire ukrainien, maintenant il y a plein de soldats près des bureaux, beaucoup de drapeaux russes dans les mairies, dans les écoles”.

Si les entreprises ne cèdent pas encore à la panique, selon la journaliste, la situation économique déjà tendue de la péninsule ne pourra qu’empirer au fur et à mesure que s’aggrave la crise diplomatique, estime Olexiï Chorik, président du Fonds de développement pour la Crimée.

– Un territoire perdu –

Outre le tourisme, l’un des moteurs de l’économie de la péninsule est l’agriculture. Or celle-ci est “très dépendante des ressources en eau (qui) proviennent du reste de l’Ukraine, donc on a très peur qu’elles ne soient coupées si la situation empire”, note M. Chorik.

“Il est ridicule de dire qu’il y aura des investissements en Crimée si les troubles continuent. La Crimée est un territoire perdu pour le développement économique”, souligne-t-il.

Mercredi, les dirigeants autoproclamés de la Crimée ont prévenu qu’ils allaient commencer à saisir les entreprises d’Etat ukrainiennes, tout en assurant qu’ils ne toucheraient pas aux sociétés privées.

Chaque année, l’Ukraine consacre 2,8 milliards de hryvnia (220 millions d’euros) à la Crimée, selon Valeriï Tchali, directeur adjoint du centre Razoumkov, un think-tank basé à Kiev, et ancien vice-ministre des Affaires étrangères d’Ukraine.

Si Moscou verse 1,1 milliard de dollars comme l’a affirmé le parlementaire russe Pavel Dorokhine, membre du comité de la Douma russe sur l’industrie, “ce ne sera pas assez pour maintenir les nouvelles autorités et confirmer toutes les garanties sociales des citoyens de Crimée”, notamment leurs pensions et leur salaires, a expliqué à l’AFP M. Tchali.

Et si l’économie de la Crimée pâtit pour avoir coupé ses liens avec l’Ukraine, cette dernière ne verra aucune différence, du moins à court terme, continue M. Tchali.

“L’économie locale de la Crimée dans le Produit intérieur brut de l’Ukraine ne dépasse pas les 3%, donc ce n’est pas une si grande perte pour l’instant. Mais les conséquences sur le long terme seront plus sensibles”, avertit-il.