Mehdi Jomaâ à l’Assemblée nationale : «Il n’y a plus de place pour le chaos en Tunisie»

La sécurité, la stabilité et la cohésion sociales, la neutralité de l’Administration, la valeur travail et l’importance de la libre initiative et du secteur privé dans la création des richesses et l’emploi des jeunes ont été les messages forts du discours prononcé par Mehdi Jomaâ, chef du gouvernement provisoire, à l’Assemblée nationale constituante, dans la matinée du mardi 28 janvier.

Le chef du gouvernement, qui a également présenté les membres de son gouvernement, dont certains sont d’ores et déjà contestés par les constituants, s’est voulu aussi explicite que possible sur son programme pour cette année.

mehdijomaa-anc-680.jpg«Que ce gouvernement ait été la résultante d’un processus consensuel ne doit pas nous faire oublier les entraves sécuritaires, économiques, sociales et politiques dont souffre la Tunisie. La priorité de ce gouvernement sera de mener le pays vers des élections libres et transparentes. Mais pour ce, il va falloir garantir la sécurité et la stabilité socio-économique».

Il a insisté sur sa volonté de créer un climat propice à la libre expression et une compétition saine entre les rivaux politique, indiquant que cela ne peut se faire «lorsque nous sommes menacés par le terrorisme et la violence».

Il a aussi salué les efforts déployés par l’armée nationale, les forces de sécurité et les douanes tunisiennes pour la préservation de la souveraineté nationale et son intégrité territoriale. «Nous fournirons les moyens adéquats aux protecteurs de la patrie pour qu’ils puissent assurer au mieux leur mission et surtout celle consistant à protéger la Tunisie du terrorisme».

Adressant, sans le dire clairement, un message aux LPR (Ligues de protection de la révolution), Mehdi Jomaâ a déclaré que «la révolution a un Etat pour la protéger. Il n’y aura pas de place pour le terrorisme. Notre bataille est décisive pour sauver le pays, nous assumerons nos responsabilités pour défendre le projet d’une société civilisée, d’un régime républicain et d’une jeune démocratie».

Le nouveau chef du gouvernement n’a pas manqué de revenir sur les décisions prises par ses prédécesseurs pour «répondre aux revendications légitimes de tous, tels l’emploi, la lutte contre la corruption, le refus de l’exclusion, la marginalisation et la reconsidération des besoins des régions défavorisées».

Les réponses n’ont peut-être pas été les meilleures puisqu’en cherchant des solutions, l’ancien gouvernement aurait davantage compliqué les choses. Ainsi, les mesures exceptionnelles qu’il avait prises n’auraient servi qu’à réduire la productivité et à affaiblir le niveau de vie des citoyens. L’augmentation des salaires suite à l’intégration de milliers de personnes dans la fonction publique n’a jamais été autant nocive pour le pays tout comme les dépenses de compensation qui ont atteint les 300%.

Pour remédie à cette situation critique pour le pays, Mehdi Jomaâ préconise ce qui suit :

– stopper net la détérioration de la situation financière du pays;

– redynamiser l’économie;

-créer l’emploi;

– redémarrer les projets d’infrastructures ainsi que ceux des autres commodités et aménagements;

– développer les régions et assurer l’équilibre entre elles;

– rationaliser le régime de compensation et réformer les régimes de retraites et d’assurance maladie;

– sauver les établissements publics et stimuler les finances de l’Etat.

Pour ce, estime M. Jomaâ, il va falloir compter sur la cohésion et l’unité nationales mais encore sur le soutien des amis de la Tunisie et celui des institutions financières internationales. Mais plus que tout, nous avons besoins: «d’une trêve sociale. Je suis sûr que grâce à l’esprit de solidarité et d’entraide qui a régné entre les organisations nationales participant au dialogue national, nous pourrons tous réaliser cette noble mission… ce qui permettra de préserver notre économie. J’appelle tous les Tunisiens à adopter une démarche qui accorderait à la valeur travail une place primordiale et à couper avec tous les comportements nocifs pour notre économie. Il n’y a plus de place pour le chaos, la perturbation de la bonne marche du travail ou encore l’atteinte à la production, tout en garantissant le droit des citoyens à manifester ou exprimer leurs revendications dans la légalité et le pacifisme».

Le nouveau chef du gouvernement n’a pas omis de citer les jeunes comme un facteur important dans la société: «Toutefois, les mutations socioéconomiques, culturelles et démographiques les ont fragilisés… Le travail est un droit et je voudrais être franc avec les jeunes: le chemin pour gagner la bataille de l’emploi sera long et difficile. L’Etat doit assumer ses responsabilités mais les jeunes devraient également assurer en prenant l’initiative, en se formant et en comptant sur eux-mêmes»…

Il n’y a pas de dignité dans la pauvreté…

«Nous ne cesserons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour intégrer les jeunes dans la vie active en renforçant aussi bien les systèmes d’accompagnement que ceux d’encadrement des chercheurs d’emplois, car il n’y a pas de dignité dans la pauvreté. D’où l’importance de consolider les programmes de développement régional ainsi que ceux de protection social tout comme l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens».

Pour redynamiser l’économie, nous aurons, indique le nouveau chef du gouvernement, à compter sur toutes nos compétences, aussi bien domestiques que celles de la diaspora partout dans le monde. «Nous renforcerons notre tissu économique pour créer des richesses et limiter le chômage. Je suis sûr que le secteur privé assurera son rôle de leader en matière de formation et d’emploi, principalement en direction des chômeurs de l’enseignement supérieur».

Ce gouvernement n’épargnera pas d’efforts pour raffermir la coopération avec les pays maghrébins et ceux arabes et élargir l’espace économique des opérateurs tunisiens à celui africain, européen, américain et asiatique, a indiqué Mehdi Jomaâ, tout comme il a réaffirmé d’appliquer les clauses stipulées par la feuille de route; clauses qui exigent de revoir les nominations aux postes clés de l’administration publique et en premier celles en rapport direct avec les élections, ainsi que la neutralité de l’administration, la suprématie de la loi et le renforcement des institutions.

«La responsabilité incessante d’un leader, c’est de supprimer tous les détours, toutes les barrières pour s’assurer que la vision est claire, puis réelle», a déclaré un jour Jack Welch, président du groupe General Electric de 1981 à 2001.

Mehdi Jomaâ pourra-t-il réussir ce challenge, face à une classe politique plus versée dans le militantisme primaire, les critiques destructrices et surtout incapable à ce jour d’assimiler réellement ce que c’est qu’un Etat.

Ennahdha, qui s’est retirée du gouvernement pour mieux rebondir, a compris le deal, elle a essayé le pouvoir, elle a perdu, et ce faisant, elle a voulu faire passer son retrait stratégique pour une concession faite au peuple et à la Tunisie.

Les partis «démocratiques» n’ont pas compris que faire de la politique et détenir le destin d’un pays, ce n’est pas fumer une cigarette en cercle fermé et dans le coin d’un café, faire, refaire et défaire le monde sans en peser les conséquences.

Et encore une fois, même s’ils estiment que ce gouvernement n’est pas parfait, ils oublient trop souvent qu’ils ne le sont pas non plus eux aussi, et que le futur chef du gouvernement, s’il passe le cap du vote de confiance, n’aura pas de chèque en blanc, le peuple tunisien, la société civile et eux-mêmes devraient être plus vigilants que jamais pour éviter au pays de nouveaux déboires.