L’humour, catharsis salutaire pour les chômeurs blogueurs

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és de Fagor-Brandt manifestent contre la fermeture de leur usine, le 14 novembre 2013 à La Roche-sur-Yon (Photo : Jean-Sebastien Evrard)

[18/11/2013 11:08:23] Paris (France) (AFP) Derrière “L’Agenda d’Agathe”, savoureux blog illustré qui narre les “aventures d’une chômeuse des temps modernes”, se cache Albane Devouge. A 35 ans, cette “chercheuse d’emploi” a pris le parti de rire sur internet de cette “sale période”, comme certains de ses compagnons d’infortune.

Depuis la rentrée, la jeune femme, diplômée de Sciences-Po en journalisme, s’astreint à un rythme de deux dessins hebdomadaires, entre parodies d’affiches de films, scènes cocasses d’entretiens d’embauche et clins d’oeil à l’actualité.

“Il fallait en faire quelque chose de cette douloureuse expérience, qu’elle ne soit pas mise à la poubelle”, dit la dessinatrice néophyte, qui a expérimenté pendant plusieurs années le chômage et son cortège de galères.

“Je me sentais vraiment seule et cataloguée dans quelque chose de déprimant, j’ai voulu mettre du sourire là-dedans, apporter de l’énergie”, raconte-t-elle.

Un de ses derniers croquis met ainsi en scène un groupe de nageurs arborant des bonnets siglés Pôle emploi. La légende: “Carte de chômeur = piscine gratuite, la France a trouvé sa nouvelle équipe pour les JO!”.

Bénéfices de cette démarche? “Une discipline, des mini-buts. Et puis il y a les commentaires: ça fait plaisir de voir qu’on peut toucher les gens”, confie l’auteure du blog, qui vient de prendre le statut d’auto-entrepreneur et fait des “petites missions”.

Autoproclamé “super chômeur”, Alexandre, 28 ans, tient lui depuis 2011 la chronique sarcastique de sa quête d’emploi dans le blog “Vive le chômage”.

D’une plume incisive, mais sans cynisme, il raconte les journées où il se lève tôt dans l’attente d’un hypothétique appel. Ses recherches sur internet où il trouve chaque jour “très peu d’offres intéressantes: approximativement entre zéro et une, surtout zéro en fait”. Les candidatures spontanées, qu’il assimile à la définition que le psychanalyste Jacques Lacan fait de l’amour: donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.

‘Briser un tabou’

“Cela me permet d’exorciser mes démons, c’est un moyen de souffler et de prendre du plaisir au lieu de déprimer sur un nouvel échec”, raconte le jeune homme, qui vient de retrouver un emploi dans la sécurité au terme de quatre ans de recherches.

Diplômé d’une école de commerce en marketing et licencié en 2009, il est resté “chez papa-maman” près de Nantes et vit grâce au RSA: “de cette expérience très dure, j’ai choisi de ne pas faire quelque chose de dépressif”, explique-t-il.

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usine de La Roche-sur-Yon, ler 6 novembre 2013 (Photo : Frank Perry)

Même motivation chez Nathanaël Rouas, inventeur du concept du “Bomeur”, le “bobo-chômeur”. A 29 ans, ce directeur de création, qui s’est retrouvé sur le carreau en 2009 après la fermeture de l’agence de communication qui l’employait, décline sur Facebook et sur la plate-forme Tumblr une démarche qu’il qualifie de “stand up virtuel”.

Titulaire d’un bac+5 , il n’était “absolument pas préparé” au chômage. “Au début, ça passe très vite, on profite de son temps libre. Puis on fait des projets qui n’aboutissent pas et on finit par se dire: +je suis une merde+. Le travail c’est la santé, je l’ai expérimenté”, témoigne celui qui a fini par créer sa propre agence de communication.

Pour Didier Demazière, directeur de recherche au CNRS, la démarche de ces blogueurs “ne peut être que minoritaire”, car “il reste très difficile de parler du chômage” et d’adopter “une position distanciée” face à “d’énormes difficultés”.

“Mais en brisant un tabou -rire et faire rire d’une situation dramatique- et en osant montrer les mécanismes parfois aberrants des procédures de recrutement, elle est salutaire pour le plus grand nombre”, estime le sociologue.

“Le fait que le chômage se diffuse n’a pas changé sa caractéristique saillante: il reste avant tout lié à un sentiment de dévalorisation. Etre chômeur, c’est d’abord ne pas être comme tout le monde”, relève-t-il. Fin septembre, Pôle emploi recensait 3,29 millions de demandeurs d’emploi sans aucune activité, un record.