Craintes pour le service public de l’audiovisuel tunisien

 

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La fermeture, le 11 juin 2013, des chaînes de radio et de télévision grecques, peut-elle constituer un précédent qui a valeur d’exemple sinon de «jurisprudence»? Science fiction? Pans tant que ça. La question mérite d’être posée. Y compris pour le cas tunisien.

Est-ce faire un procès aux gouvernements du monde entier que de dire qu’ils pourraient être tentés d’emboîter le pas au gouvernement grec qui a commis, le 11 juin 2013, l’irréparable en décidant tout bonnement de cesser les programmes de la radio télévision publique grecque, l’ERT? Il est en effet à craindre que des gouvernements usent de cet événement comme d’un précédent qui a valeur d’exemple sinon de «jurisprudence». Ca sera du genre «puisque les Grecs l’ont fait…».

Science fiction? Peut-être au vu des nombreuses condamnations unanimes. Mais la tentation –il faut le dire- est grande. Voilà un média (la radio et la télévision publiques grecques) qui coûte cher au pays, puisque mobilisant des milliards, jugé par certains non productif et qui est surtout situé dans un secteur largement investi par la concurrence des capitaux privés: l’ERT fait 10% d’audience. D’autant plus que l’Etat compte aujourd’hui ses sous, harcelé qu’il est de toutes parts par des défis: chômage des jeunes, développement économique, déficits cumulés…

Donc: pourquoi ne pas faire valoir les bonnes recettes libérales du «laisser-faire»?

Pour «moderniser» l’économie grecque

L’exemple de la Grèce est de ce côté largement d’ailleurs bien révélateur. Le pays est depuis près de deux ans en grande difficulté économique. La Grèce est de ce fait suivie de près par une «Troïka» (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) qui entend guider ses pas pour sortir de la banqueroute dans laquelle il est installé. Lorsqu’on dit guider ses pas, cela veut dire qu’elle le fait plier à des exigences en matière de rigueur budgétaire: augmentation d’impôts, coupes sombres dans les salaires et les retraites, annulation de dépenses publiques, non renouvellement et renvoi de fonctionnaires. Et ce pour satisfaire aux exigences des créanciers de la Grèce qui ne sont pas évidement prêts à investir si ce dernier pays n’accepte pas de faire ce qu’ils croient être le meilleur pour lui.

De ce côté des choses, le gouvernement grec, qui a donc le couteau sous la gorge, a prévu de renvoyer 15.000 fonctionnaires d’ici fin 2014; dont 400 d’ici à la fin de l’année en cours. Et la solution est toute trouvée pour l’ERT qui compte un peu plus de 2.000 employés et qui, comme nombre de services publics de radiodiffusion en Europe –et ailleurs-, pose un problème de gestion à l’Etat. Beaucoup plus en raison de la nature de ses missions (couvrir tout le territoire national, répondre à tous les goûts et à toutes les attentes et être un héraut de la qualité) que par des erreurs de gestion. De toute manière, tout l’audiovisuel européen –et pas seulement- est en crise.

Le gouvernement grec a-t-il voulu prendre une mesure qui montrerait jusqu’où les exigences de la «Troïka» peuvent mener? Certains le croient. En clair, le gouvernement grec a voulu dire à la «Troïka» que ses exigences peuvent mener le pays bien loin. Jusqu’aux limites du ridicule!

Comment en effet faire taire une radiotélévision publique, garant du pluralisme des idées? Il s’agit en effet d’un fondement démocratique. Que même la Commission européenne a rappelé dans sa réaction à la décision du gouvernement grec d’arrêter la diffusion de l’ERT. Reste que le détachement et la réserve exprimés par cette même Commission affirme que le ridicule peut tuer. Le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, qui a nié que la décision de fermer l’ERT ait été effectuée à la demande de la «Troïka», a rappelé qu’elle a été prise «dans le contexte des efforts importants pour “moderniser“ l’économie grecque» (sic).

Rétention de l’information

Outre le souci des Etats de se désengager d’un secteur –les médias- que certains estiment pouvoir être pris en charge par les privés, les médias publics –on ne le dira jamais assez- par le fait qu’il échappe à la mainmise des gouvernants. Ces derniers confondent –ou veulent confondre- médias publics et médias d’Etat ou gouvernementaux. Et de ce fait s’opposent aux journalistes et autres producteurs qui disent être à la recherche de la vérité et jaloux de leur indépendance.

La Tunisie n’échappe pas à ce schéma. Même si la poussière semble être, à ce sujet, comme on dit, bien tombée. Les médias publics –et notamment la télévision en raison de sa prédominance dans le champ médiatique- ont fait l’objet de critiques de la part des gouvernants. Et pas seulement.

Rappelez-vous le communiqué publié par la présidence de la République, le 2 mars 2012, au sujet de «la rétention de l’information» pratiquée par le Comité de rédaction du journal télévisé d’Al Watanya 1 (la première chaîne de la TT (la Télévision Tunisienne) au sujet de la visite du président de la République provisoire, Mohamed Moncef Marzouki, dans le gouvernorat de Siliana et dans la délégation de Makthar.

Rappelez-vous également l’annonce du député du mouvement Ennahdah, Ameur Laârayedh, qui a évoqué, lundi 16 avril 2012, dans une émission diffusée sur Al Watanya 1: une privatisation des médias publics en Tunisie motivée par «un sondage», les revendications d’«une bonne partie de l’opinion publique» et des «pétitions».

Rappelez-vous encore la réaction du président d’Al Aridha Achâabya (La pétition populaire), Hechmi Al Hamdi, dont le mouvement a obtenu, aux élections du 23 octobre 2011, 26 représentants à la Constituante, et qui constituait, de ce fait, la troisième force politique en Tunisie, qui a, le 3 novembre 2011, attaqué l’Agence Tunis Afrique Presse (TAP) pour sa «partialité», exigeant qu’elle lui offre un droit de réponse au sujet d’une affaire qui l’opposait à l’ancien (premier) président de la République par intérim, Foued M’bazâa, qui a, selon ses dires «exclu son mouvement» d’une réunion tenue au Palais présidentiel avec les représentants des partis élus à la Constituante.