Tunisie-Mohamed Abbou : “S’il n’y a pas remaniement ministériel, le gouvernement perd sa crédibilité”

mohamed-abbou-131212.jpgOn ne peut pas reprocher à Mohamed Abbou, secrétaire général du Congrès pour la République(CPR) son manque d’assurance. Son ton tranchant et décidé reflète une vision claire et une ambition sans équivoque pour occuper les devants de la scène politique tunisienne. Il sait ce qu’il veut et le dit sans détours. Même si des fois certaines de ses déclarations suscitent le courroux de nombre de ses adversaires politiques et même celui de ses sympathisants.

Entretien

WMC : Vous avez récemment déclaré votre intention de quitter la coalition dans le cas où des propositions que vous avez formulées pour améliorer la situation dans le pays ne seraient pas satisfaites. Où en êtes-vous par rapport à cela?

Mohamed Abbou : Nous avons soumis à nos alliés au sein de la Troïka et au chef du gouvernement un ensemble de requêtes, et ce avant même la tenue de notre congrès au mois de novembre dernier. Nous estimons que nous ne pouvons continuer à faire partie de cette coalition si nos demandes ne sont pas satisfaites. Car nous prétendons qu’elles sont nécessaires pour le pays en cette phase délicate, nécessaires pour la réalisation des objectifs de la révolution et bénéfiques pour nous tous en tant que majorité au pouvoir.

Quelles sont précisément ces requêtes?

Il s’agit en premier lieu du remaniement ministériel qui doit être fait au plus tôt. Car il n’est pas normal que depuis près de 3 mois que l’on parle dans les médias de ce remaniement, rien de concret ne se passe. Ces hésitations font perdre au gouvernement et à l’Etat leur crédibilité, perturbent et mettent les ministres et les hauts responsables dans une situation inconfortable car ils ne savent pas s’ils vont rester ou partir, ce qui ne les encourage pas à prendre les décisions qui s’imposent dans leurs départements, et ceci se répercute négativement sur la bonne marche des affaires du pays.

Certains ministres n’ont pas assuré, ils doivent par conséquent partir, c’est dans la logique des choses.

Il y a également des ministres qui n’ont pas de véritables prérogatives et des conseillers qui n’en ont pas non plus. Ou bien on les charge de véritables missions ou on les décharge de leurs fonctions.

Le deuxième point concerne l’éloignement de certaines personnes qui nuisent à l’image du gouvernement et qui sont dans des postes de décision.

Troisièmement, nous exigeons que l’on traite plus sérieusement les dossiers sur la corruption, sans aucune exception, et je tiens à préciser qu’il s’agit là des symboles qui ont fait du tort au pays et à d’autres personnes et non toutes les personnes qui ont travaillé sous l’ancien régime ou qui ont fauté. Nous ne voulons en aucun cas déséquilibrer l’ordre de la société.

Parallèlement à cela, nous tenons à mettre les mécanismes nécessaires pour la lutte contre la corruption non seulement par rapport à ce qui s’est passé avant le 14 janvier mais par rapport à ce qui se passe aujourd’hui et ce qui pourrait avoir lieu dans l’avenir.

Il n’y a pas suffisamment de mécanismes anticorruption, je le dis et je l’assume. Je pensais personnellement lorsque j’avais intégré le gouvernement que 2012 allait être l’année de la créativité et de la mise en place de nouvelles mesures. Je pensais à l’époque que nous pouvions changer les choses, nous avions les moyens, nos fonctionnaires étaient composés de grandes compétences. Nous bénéficions d’un grand soutien international et nombre de pays se sont montrés prédisposés à nous aider financièrement et pas l’expertise et le savoir-faire.

Quatrième point et c’est le plus important, partant du principe que nous sommes associés dans le pouvoir et nonobstant le nombre de chaises occupées par chacun de nous, nous devons également être associés à la prise de décisions. Car nous ne pouvons pas systématiquement assumer les conséquences de décisions que nous n’avons pas nous-mêmes prises.

Il est anormal que l’on procède à des nominations sans revenir vers nous. Nous respectons les choix d’autrui, mais s’ils s’avèrent désastreux, nous en récoltons les fruits empoisonnés et nous sommes attaqués politiquement et même éthiquement.

Nous avons nos limites et nous sommes sensibles aux critiques de ceux qui nous ont élus et qui nous accusent de ne pas avoir respecté nos engagements. Et ceci n’est pas valable uniquement pour les nominations mais également pour les décisions politiques et économiques. Nous devons y être associés.

Nous avons également appelé à réactiver les missions des hautes instances, comme celle des élections, de la justice, de l’audiovisuel et autres. Je pense que ceci est sur la bonne voie.

La visibilité politique et ses conséquences sur l’économie, quelles sont vos propositions dans ce sens à part celles en rapport avec la lutte contre la corruption?

Tous les acteurs politiques et économiques doivent œuvrer à rendre la situation du pays plus claire et plus rassurante. En premier lieu, la décision de la tenue des prochaines élections, le mois de juin a été proposé par la Troïka, les autres composantes politiques n’ont pas approuvé. Je pense que des élections seront possibles au mois de septembre ou celui d’octobre, l’essentiel est d’arriver à un consensus.

L’autre problématique est l’Administration et la manière dont nous devons nous comporter avec elle comme la conduite à tenir avec les fonctionnaires en matière de justice transitionnelle et avec la communauté d’affaires également.

Comment voyez-vous les choses en tant que CPR?

En ce qui nous concerne, nous estimons qu’il y a un seuil de tolérance à ne pas franchir dès qu’il s’agit de crimes contre l’humanité ou d’actes de tortures ou de sévices à l’encontre d’autrui. Il y a aussi le droit des personnes à déposer plainte contre ceux qui les ont lésés.

Le gouvernement doit faire l’effort d’enquêter dès qu’il s’agit de crimes contre l’humanité pour que ce soit une leçon pour tous ceux qui pensent à refaire le même scénario d’une dictature barbare en Tunisie ou ailleurs.

Concernant le volet Hommes d’affaires, j’estime que des solutions peuvent être trouvées entre le gouvernement et les personnes ou les groupes incriminés. Nous pouvons introduire des clauses de solutions à l’amiable pour tout ce qui concerne les infractions financières, ce qui reviendra pour les personnes concernées à s’acquitter de sommes financières fixées par des experts après enquêtes ou par des investissements réalisés dans le pays et dont les montants correspondent à ceux qu’ils auraient spoliés ou qu’ils auraient gagnés de manière illicite. Et sur cette base, les dossiers seraient clos et les poursuites seront arrêtées. Nous souhaitons que cette proposition soit concrétisée dans le cadre de la justice transitionnelle, ce qui permettra à la communauté d’affaires d’être rassurée et de pouvoir se consacrer à sa mission essentielle, à savoir son rôle dans la relance économique du pays.

Pour le moment, on n’envisage pas de grands changements dans la fiscalité ou dans les choix économiques du pays.

Dans les prochaines années, il y aura probablement des changements dans le modèle de développement du pays mais l’initiative privée et le droit de propriété ne seront pas touchés. Ceci n’est pas théorique, j’ai moi-même siégé dans des réunions avec des étrangers et nous les avons assurés de l’orientation économique libérale de la Tunisie. Nous tenons à rassurer les opérateurs privés sur leur avenir dans notre pays.

Vous comptez œuvrer pour une meilleure gouvernance?

Je n’allais pas encore en parler mais en fait, c’est l’objectif. Lorsque nous procédons à des réformes administratives visant plus d’efficience dans les procédures, plus de transparence et plus de souplesse dans les réglementations. Plus ces réglementations seront claires, plus les investisseurs seront réconfortés.

A lire la suite de l’interview dans notre prochaine édition