«Le rôle des hommes d’affaires tunisiens est incontournable en Libye», déclare Idriss Omrane Abdel Hédi, président du patronat libyen

idriss-omrane-libye.jpgEn marge de la 26ème Session des Journées de l’Entreprise, organisée annuellement à Port Kantaoui, à Sousse, par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), nous avons rencontré M. Idriss Omrane Abdel Hédi, le patron des patrons libyens, qui a bien voulu répondre à quelques unes de nos interrogations, liées à la situation sécuritaire chez notre voisin de l’est, le devenir des relations marchandes tuniso-libyennes et les moyens à même de rassurer les hommes d’affaires des deux pays pour entamer une nouvelle ère de coopération et d’intégration économique.

Aimable et affable, notre interlocuteur, visiblement ému du sort de son pays, qui vient de sortir groggy, exsangue, après des mois de combats fratricides contre les kataiebs de Kaddafi, s’est laissé aller à une conversation à bâtons rompus pour parler des liens indéfectibles des Tripolitains avec le peuple tunisien, initiateur du Printemps arabe.

WMC: Le temps de l’économie est-il venu en Libye?

Idris Omrane: Le commerce reprend petit à petit ses droits en Libye à travers les échanges entre les autochtones tout d’abord et la reprise importante de l’activité portuaire à l’est du pays (Benghazi, Tobrouk…), qui a bénéficié, même pendant la guerre, d’une relative accalmie, lui permettant d’assurer l’approvisionnement des combattants de la liberté, la régularité des communications avec le monde extérieur et la permanence d’une activité commerciale minimum.

Actuellement, les hommes d’affaires libyens, traditionnellement dynamiques en Afrique et en Europe aussi, honorent leurs contrats avec leurs partenaires étrangers, insistent auprès du Premier ministre du gouvernement provisoire, issu du Conseil National de Transition (CNT), pour qu’il organise au plus vite l’afflux de la main-d’œuvre et de l’expertise tunisiennes et entendent entreprendre et réaliser avec le secteur privé tunisien des projets stratégiques à moyen et long termes, liés aux infrastructures, aux produits pétroliers, au logement et au tourisme sanitaire et balnéaire.

Les postes frontaliers de Ras Jdir et Dhiba doivent tout d’abord être sécurisés définitivement, non?

La Police officielle est déjà sur place. Le gouvernement a réagi promptement. Face à l’anarchie ambiante. A la détérioration de la situation sécuritaire. Aux risques encourus par le personnel douanier et policier tunisien, habitué à la rigueur, au respect de la hiérarchie et à la constance.

Devant la détermination des autorités compétentes et aux injonctions de Mr. Mustapha Abdeljalil, président du Conseil National de Transition, les groupes armés indisciplinés ont quitté les lieux. Les professionnels ont pris les choses en main. D’une manière définitive.

Finalement, les incidents à la frontière sont donc des actes isolés. Contraires à nos intérêts. A notre culture. Aux codes qui ont toujours régi les règles du bon voisinage.

Et puis, tout le monde regrette le comportement insensé d’une poignée d’irresponsables, incapables, je l’affirme, de ternir les rapports fraternels entre les deux peuples frères. D’ailleurs, nous avons une dette indélébile envers les Tunisiens, qui ont tout partagé avec nous lors de notre lutte contre la dictature.

La présence des hommes d’affaires tunisiens est-elle perceptible actuellement en Libye?

Depuis la libération, nous avons reçu plusieurs délégations de l’UTICA à Tripoli et à Benghazi, venues exprimer leur solidarité, proposer leur expertise, leurs savoir-faire, prospecter le marché libyen, prendre langue avec les nouvelles autorités du pays et établir les contacts nécessaires pour d’éventuelles transactions.

Cela dit, je trouve leurs démarches encore timorées. Attentistes. Trop prudentes. Dans un contexte national et international de plus en plus concurrentiel. Brutal. Qui exige d’être plus dynamiques. De prendre des risques. D’aller de l’avant. De rompre avec les postures traditionnelles. Car les frères tunisiens disposent des atouts à même de les positionner favorablement dans un marché prometteur.

Les Français eux-mêmes l’ont compris. Puisque leurs entreprises, nous dit-on, forment déjà, dans l’Hexagone, avec la collaboration du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle du gouvernement provisoire de Béji Caïd Essebsi, des Tunisiens afin de mieux saisir et pénétrer les opportunités en Libye.

Quel appel allez-vous alors lancer aux entreprises tunisiennes?

Je leur conseille de faire preuve de plus d’audace. De faire acte de présence dès maintenant. D’être agressifs sur le terrain. De mutualiser leurs intérêts avec leurs frères libyens. De valoriser leurs atouts. Car la croissance est en Tripolitaine actuellement. Ce qui est de nature à faciliter la reprise en Tunisie, à libérer l’emploi, à renverser la tendance à l’alourdissement et à illustrer les chantiers qui recèlent les promesses d’avenir pour les deux pays.

Quant au secteur privé libyen, sinistré par les errements idéologiques des décennies durant, qui dispose depuis longtemps d’un réseautage efficace en Tunisie, il entend bien sûr resserrer ses liens avec la communauté financière et commerciale du pays de la Révolution du Jasmin, initiateur du Printemps arabe et véritable parrain de l’intifada libyenne du 17 février 2011. A Benghazi.