Tunisie – Elections : Enahdha aux commandes… Et après!

ghannouchi-ennahdha-1.jpgC’est à la faveur d’une anecdote qu’a vécue une amie journaliste devant le siège d’Ennahdha mardi 25 octobre que l’on pourrait faire un éclairage sur ce que vit la Tunisie actuellement. Discutant avec un sympathisant, elle lui demande s’il ne se sentait pas en quelque sorte pris en otage par Ennahdha. La réponse fut sans équivoque: «C’est nous qui la tenons!»

Ce témoignage résume les paradoxes des votes des Tunisiens. Vote conviction, sanction ou utile? Cette Tunisie, qui se réveille de ces élections de l’Assemblée Constituante et qu’elle en ait compris ou pas les enjeux, a des attentes énormes auxquelles il faut répondre vite et au mieux. Le risque de désenchantement des Tunisiens a mis son compte à rebours en marche. Il risque de tout bouleverser y compris la classe politique balbutiante qu’il a élue. Même si l’on dit que les promesses n’engagent que ceux qui les croient, allez expliquer cela à un peuple qui attend depuis des mois un changement concret dans son portemonnaie et des solutions miracles pour ses problèmes de chômage, de santé, de pauvreté…

Ennahdha était la mieux disposée pour rafler les élections. Nul n’en doute et c’est ce qu’elle a fait. Face à l’amateurisme politique qui règne en Tunisie, rater ce rendez-vous pour le parti le plus structuré était quasiment impossible. A quoi reconnaît-on un parti politique si ce n’est à sa forte capacité de conquête, de mobilisation et d’interactivité avec sa base? Ennahdha est un parti qui a su intégrer la modernité. Il a appris dans la clandestinité et à l’exil à se gérer et à s’organiser et affiche plusieurs longueurs d’avance sur le reste des partis politiques tunisiens. Sur le terrain, il est déjà en campagne pour les législatives et les municipales alors qu’à son sommet il affiche une diplomatie de circonstance qui impose autant de respect que de vigilance.

Si les enjeux majeurs pour la Tunisie se joueront dans les choix fondamentaux pour la Constitution, aujourd’hui c’est de l’urgence de créer un consensus autour d’un gouvernement pour commencer à travailler qu’il s’agit. Ennahdha sait que pour gouverner, il ne peut être seul. Gérer un pays est un métier. Un métier que, quand même ce parti serait fort de ses milliers de compétences et de ses propres militants au sein de l’Administration centrale de ce pays, il ne pourrait affronter seul.

D’ailleurs, le parti multiplie les tractations et envoie messages sur messages aux principales formations politiques en tête du scrutin, sans toutefois nommer les autres. Face à cette échéance, Enahdha n’a aucun intérêt à être le principal acteur au Gouvernement à former. Ne voulant pas assumer seul l’échec ou la déception, il essaye d’impliquer les autres forces politiques dans la gestion de l’état et préfère rester influent au niveau de la constitution.

Pendant ce temps, la classe politique tunisienne s’interroge sur l’“Outsider“ d’El Aridha. Qui est-il? Quelle est sa position sur l’échiquier politique tunisien? Quelle est sa relation avec les anciens du RCD décapité, de la mafia du système déchu et d’Ennahdha dont le leader a été proche dans le passé?

Pour le moment et selon certains observateurs, ce parti, qui n’en serait pas un, «est un mélange de populisme, d’une frange des anciens de la branche mafieuse du système déchu qu’il faut observer de près». Reste que près 800.000 Tunisiens ont voté pour lui et qu’il faut les respecter en attendant de comprendre. Ennahdha a, quant a elle, exprimé sa position et ses distances clairement vis-à-vis d’El Aridha.

Pour l’instant et selon certaines récentes déclarations, El Aridha pas plus que le CPR ou Ettakatol ne sont pou pour une coalition avec Ennahdha. C’est la question du gouvernement d’union nationale qui est en négociation. Ennahdha aurait-elle recours au maintien du gouvernement en place ou d’une grande partie pour éviter le grand test? Pour le moment, rien ne porte à le croire mais la question mérite d’être reposée surtout si le parti venait à être boycotté par les autres forces politiques. Faut-il pousser Ennahdha vers la modernité et l’ouverture ou au contraire l’en exclure?

Reste que si Ennahdha venait à composer son gouvernement, elle serait tentée d’éviter la soumission de la Constitution au référendum.

Aujourd’hui, l’intérêt de la Tunisie est de rassurer les Tunisiens et Tunisiennes mais aussi le monde qui observe avec des investisseurs étrangers qui dévisagent un nouveau pays qui se dessine. La déferlante d’Ennahdha sur la Tunisie, flanqué d’un basculement de plus en plus probable dans la «Charia» de la Libye voisine, n’est pas pour faciliter l’équilibre dans la région. L’Algérie puissante voisine scrute de son côté avec circonspection.

Jean Daniel, dans un récent éditorial écrivait: «Que faire avec les islamistes? Rien d’autre que s’unir pour que M. Ghannouchi tienne ses promesses». C’est précisément cette vérité que les politiques tunisiens doivent digérer, car Ennahdha ne perd pas de temps. Elle est déjà au travail.

Le parti multiplie les efforts pour créer le consensus et composer un gouvernement qu’elle dirigera. Les opérations de séduction à l’égard du capital se multiplient et les signaux de pondération qu’elle envoie aux organisations, à la société civile, aux entreprises économiques, à l’étranger et à ses propres électeurs se multiplient quand ils ne sont pas transpercés par les déclarations fracassantes du leader Rached Ghannouchi, Penser qu’Ennahdha est uniforme, s’est se tromper. Selon ceux qui le connaissent, le parti est divisé par plusieurs courants du plus modéré au plus radicale.

Après l’effervescence de ces derniers mois, les politiques tunisiens doivent faire face à une évidence. Ennahdha mène la danse. Qu’il s’agisse d’impatience ou de désenchantement politique ou démocratique, c’est maintenant et tout de suite qu’il ne faut pas rater le tournant. Les forces influentes en cette période cruciale ont laissé, par leur inadaptabilité et leurs divisions, un boulevard pour Ennahdha afin d’arriver au pouvoir.

Il est capital pour l’intérêt de la Tunisie qu’ils pèsent leurs choix quant à la nécessité de gérer un pays soulagé de la dictature mais en attente d’un nouveau modèle qu’il n’a peut-être pas choisi définitivement.

—————–