Tunisie-Election de la Constituante : Vivons-nous une campagne électorale décevante?

affichage-electorale.jpgLes Kasbah 1, 2 et 3, les mouvements de protestation et les débats houleux à la radio et télévision qui ont suivi la révolution du 14 janvier ainsi que la présence de pas moins de 110 partis nous ont fait espérer une campagne tonitruante. Les échos que nous renvoie la campagne pour l’élection des membres de la Constituante nous prouvent souvent bien le contraire.

L’anecdote a été rapportée dans les colonnes de la presse espagnole du temps où l’Espagne, sortant de la dictature de Franco, s’ouvrait, au milieu des années soixante-dix, à la démocratie. Trois militants d’un parti politique, qui discutaient au comptoir d’un café de Madrid, s’étaient étonnés du comportement d’un ami qui les a carrément ignorés «oubliant» de les saluer. Interrogé sur le pourquoi de son geste, cet ami leur avait tout bonnement répondu: «Excusez-moi, mais je croyais que vous teniez le Comité central de votre mouvement».

Un Comité central constitué de trois personnes? L’anecdote, on le devine, visait à monter que l’abondance des partis qui se sont constitués après la mort du Général Franco, qui a gouverné l’Espagne d’une main de fer entre 1939 et 1975, avait du plomb dans l’aile. En clair: il suffisait de quelques personnes pour pouvoir créer un mouvement.

Un non-sens, si l’on se réfère aux «standards» connus: un parti politique est l’expression d’une réelle tendance de l’opinion avec des crédos, un programme, mais aussi une large audience, des cadres, des militants et sympathisants et des moyens: des locaux et de l’argent.

Dans un même bus!

Tout le monde savait, dès le début, que cela était loin d’être le cas pour tous les 110 partis politiques dont la quasi-majorité est née après la révolution du 14 Janvier 2011. Ironisant sur la réalité politique tunisienne dans le pays, un haut responsable avait indiqué, à ce propos, que tout le personnel de certains partis et leurs sympathisants ne tiendraient pas dans un même bus!

Les échos que nous renvoie la campagne de l’élection des membres de la Constituante du 23 octobre 2011 lui donnent malheureusement raison. Et l’opinion s’interroge sur la crédibilité de certaines listes qui nous plongent dans un paysage politique virtuel.

L’opinion s’interroge d’une manière générale sur cette campagne un peu trop calme. Si des affiches sont placardées ici et là, si des militants bâtent le pavé dans certains quartiers, si des meetings se tiennent dans des villes du pays, nous ne voyons pas ce tohu-bohu qui marque les campagnes électorales.

«La campagne se fait, en fait, dans les médias: à la radio, à la télévision et dans les journaux», commente un citoyen lambda rencontré dans une grande artère de la ville Sousse. Qui ajoute que «la plupart des têtes de listes que l’on voit défiler pendant trois heures à la radio et télévision ne sont que rarement sur le terrain».

Comme le diesel

Constat amer, même si on dit du côté de certaines listes que la campagne va s’accélérer au cours des «prochains jours»: «les partis sont de la même nature que le Tunisien: il est comme le diesel: il faut du temps pour qu’il se mette à carburer».

Une formule à l’emporte pièce qui cache une réalité: la campagne ne se fait pas au rythme voulu. Du moins au rythme des enjeux: doter le pays d’une Constitution qui va en finir avec une dictature qui sévit depuis une cinquantaine d’année et instaurer un Etat de droit dans lequel tous les Tunisiens se reconnaissent.

Les Kasbah 1, 2 et 3, les mouvements de protestations et les débats houleux à la radio et télévision qui ont suivi la révolution du 14 janvier et la présence de pas moins de 110 partis nous ont fait espérer une campagne plus tonitruante.

«Les premières déceptions sont venues, soutient un journaliste travaillant dans un grand quotidien, de l’absence de près de 10% des têtes de listes aux enregistrements des émissions radiotélévisées pour l’élection du 23 octobre».

Deuxième déception: le retard pris dans l’affichage des listes dans les emplacements dédiés. Un retard qui n’est pas là pour vérifier sur le terrain –loin s’en faut- l’«abondance» des listes en compétition.

S’en est suivi l’écho relatif à la faible participation des citoyens à des réunions électorales et au «désistement» de certaines listes qui ont, donc, décidé de se retirer de la course.

Il n’est pas étonnant, à ce propos, d’entendre les réactions de citoyens qui affirment ne pas connaître assez les acteurs politiques tunisiens ou qui soutiennent que les programmes c’est bonnet blanc et blanc bonnet, ou encore que les promesses faites par certaines listes ne tiennent pas la route et tordent le coup aux règles élémentaires de l’économie.

Comme celles relatives au versement de dons ou de la baisse des prix de certains produits de première nécessité objets déjà d’une intervention de la Caisse de compensation ou encore d’une baisse de l’impôt.

«On nous prend pour des ignorants», note, à ce sujet, un universitaire, membre d’un laboratoire de recherche spécialisé en économétrie à l’Université de Tunis. Pour lui, ces promesses montrent bel et bien que les listes qui les ont présentées n’ont pas les moyens de bâtir un programme cohérent. Suffit-il que quelqu’un lance une idée pour que le parti l’accepte? Point de promesses «réfléchies» qui sont bien analysées avant d’être lancées. «A moins qu’il s’agisse de verser dans le populisme et de la démagogie pour gagner des sièges».

Une réflexion qui nous renvoie à la case départ. Toutes les listes en présence ont-elles les moyens de mener une campagne digne de ce nom: des programmes, des structures et des moyens humains et matériels pour aller à la rencontre de leurs électeurs?

«Car une campagne électorale ce n’est pas facile. Entre le collage des affiches, l’organisation des meetings, des porte-à-porte et des nécessaires réunions de coordination, sans oublier le passage sur les plateaux radio et télé, et ce pour une élection nationale, qui touche 27 circonscriptions et des centaines de villes et villages, avec, de plus est, une mobilisation de tous les instants pendant une vingtaine de jours afin de porter, donc, ici et là, la bonne parole, la campagne électorale, nécessite, comme dit bien l’adage populaire, que l’on se lève tôt», lance un membre d’une association caritative tunisienne.