“Voici venu le temps des Hmammas, des Fréchichs, des Majers”, clame Rached Ghannouchi à Sidi Bouzid

ghanouchi_bouzid.jpgRached Ghannouchi a mangé du lion, affirment ses partisans. C’est clair, dimanche 2 octobre 2011, à Sidi Bouzid, au premier meeting d’Ennahdha, le leader islamiste était aux anges. Il jubilait. Rayonnait. Savourait sa revanche. Eh oui!, l’outsider était de retour. Il n’a pas mâché ses mots. Taclant les élites citadines, arrogantes et dominatrices, qui ont régné sur le pays depuis l’époque husseinite. Personne ne trouve grâce à ses yeux. Sauf les Yousséfistes. Pionniers de l’arabisme en Afrique du Nord. Les militants de gauche, qui ont payé cher leur engagement dans les années soixante et soixante-dix. Et les islamistes, de tout temps vent debout, insiste-t-il, devant les forces de l’oppression et de l’aliénation.

Pour lui, après la révolution de la dignité et de la liberté, voici venu le temps de la Tunisie profonde. Des héritiers d’Ali Ben Gdhahem. Des éternels frondeurs. Des Hmammas, des Fréchichs, des Majers et des farouches Werghemmas. Eternels laissés-pour-compte de la croissance, des déshérités, périphérisés depuis l’enfance du régime, dit-il, méprisés et dédaignés dans l’Etat tunisien naissant, manipulés, opprimés et marginalisés pendant le règne de Ben Ali. Ce qui explique, ajoute le cheik, le choix des nahdhaouis de lancer la campagne électorale sur ces terres rebelles. Afin de féconder le projet islamiste dans sa base naturelle. De recoller les lambeaux de l’identité nationale à partir des zones vierges du pays. De remobiliser les Tunisiens, autour d’une nouvelle vision de leur société, sur le terreau de l’insurrection. De bâtir la société des valeurs morales, de la fraternité et de l’équité tout en gardant à l’esprit la mémoire des insurgés et des martyrs.

Pour la première fois dans l’histoire du pays, les ruraux sont maintenant politiquement actifs. Eveillés. Sur le qui-vive. Prêts pour la reconquista. Les plaques tectoniques de la géopolitique, de la géoéconomie et de la géoécologie se sont remises en mouvement en Tunisie, me dit un confrère étranger éberlué. Pour qui ces réajustements ne se feront pas sans mal. Car ce n’est pas seulement un basculement du pouvoir, dit-il, vers les régions intérieures, mais une relativisation de l’Etat central, en général, qui va s’accélérer.

«Louanges à Dieu d’avoir assez vécu pour voir la Tunisie, longtemps pointée du doigt et clouée au pilori, dans les rapports des ONG et les manifestations onusiennes de la communauté internationale, en raison de son régime oppressif, de la suprématie de la loi du plus fort, de ses atteintes aux droits de l’homme, aux libertés publiques et individuelles, redevenue enfin libre, fière, pionnière du printemps arabe, réconciliée avec elle-même et avec des élites politiques, assimilées, dès l’indépendance, aux brebis galeuses», clame haut et fort le président du mouvement Ennahdha, pour qui la Tunisie est redevenue le symbole du renouveau arabe, la Mecque des révolutionnaires de la région, la météo politique de l’Afrique du Nord, l’incarnation de la volonté des peuples, épris de liberté et le laboratoire dans lequel les nouvelles élites montantes, porteuses de progrès et de changement, s’essaient à la coexistence, à l’alternance et à la gestion pacifique des différents politiques.

Avant de conclure son intervention, Rached Ghannouchi a tenu à rassurer la famille des artistes et les franges occidentalisées du pays sur les intentions de son mouvement, qui rejette l’ostracisme et l’esprit inquisiteur, appelé à la vigilance vis-à-vis des relents de l’ancien régime, encore présents dans certains postes de commande, poussé à l’assainissement total de l’appareil judiciaire, exhorté les Tunisiens à garder intact leur élan révolutionnaire, incité à la sauvegarde du multipartisme, vitrine de la dynamique sociale, espéré la formation, après les élections du 23 octobre 2011, d’un gouvernement d’Union nationale, regroupant toutes les forces vives du pays, souhaité l’établissement, après la Constituante, d’un régime parlementaire. Afin, dit-il, de rompre définitivement avec le culte de la personnalité, drapé sous une étiquette laïque, marxiste ou même islamiste.