Tunisie : Je m’appelle Longchamp

Les marques… c’est un nom, un logo, qu’on attribue à une ligne de vêtements ou
de maroquineries, ou autres. Les marques, c’est ce qui permet de vendre cher,
très cher. Car, quand on achète une marque, on n’achète pas un objet pour son
utilité, intrinsèque, on l’achète pour ces petites initiales, ou ces petits
signes, que les autres, les initiés, peuvent comprendre, décrypter. C’est un
code, voilà.

La scène se déroule dans un mariage. II y a plein de tables, avec des hommes,
des femmes, et des sacs, autour. Les femmes ont cette habitude mystérieuse de
placer le sac à un endroit très visible, de préférence lui dédier une chaise,
carrément. Et les femmes se débrouillent toujours, mais très discrètement, pour
placer la face où il y a les initiales, de façon apparente aux autres.

Cette femme était particulièrement attirante, elle croisait les bras un coup,
les décroisait ensuite, regardait à droite, souriait par-ci, faisait une grimace
par-là, mais surtout elle tripotait son sac à main. Elle voudrait qu’on le voie.
C’était un Longchamp, une grande marque, pour ceux qui ne savent pas ce que
c’est, le prix de la pièce devrait avoir trois zéros à droite, peut-être deux en
période de soldes, par chance.

D’autres personnes sont venues, elle embrasse une femme, avec le faux sourire
des gens très mondains, la femme portait aussi un sac à main d’une autre grande
marque, une montre, etc. On ne va pas les citer tous.

Ces deux femmes discutaient tranquillement. Vues de loin, elles étaient très
simples, même pas de maquillage prononcé, pour un mariage. Rien à voir avec la
table d’à côté, avec des femmes à la couleur jaune Or, tellement les bijoux en
Or qu’elles portaient étaient voyants.

On dirait une tribu, qui porte des plumes rouges, pour dire “nous… on a beaucoup
de blé“, et une tribu qui porte des plumes jaunes, pour dire, “nous on a
beaucoup de viande“. C’est la même logique. A quelques centaines voire de
milliers d’années d’écart.

Mais au fond, toutes étaient pareilles, la même fin, seuls les moyens diffèrent.
La catégorisation sociale se fait de tous les temps, juste avec des moyens
différents. On veut appartenir à une catégorie, à un univers, on veut dire à
l’autre, implicitement, “…je suis riche“, ou “je suis cultivé“, ou “je suis fils
de grande famille“, etc.

Le sac de marque serait une espèce d’archétype moderne. Il existe en effet un
courant en marketing qui part de cette théorie jungienne des archétypes qui
structurent l’imaginaire collectif, et qui seraient à peu près les mêmes, dans
toutes les cultures, d’où les politiques de communication internationales, des
marques internationales précisément, et qui s’adressent aux structures et
représentations mentales (archétypes), aux images et aux émotions enfouies au
fin fond de l’inconscient collectif, d’un segment de consommateurs (exemple la
“Femme fatale“, “Le héros gentil“, “Le bandit méchant mais sexy“, etc.).

Les marques, archétypes modernes, c’est finalement un raccourci vers un univers
entier, qu’il soit émotionnel, cognitif, inconscient, ou plutôt conscient: «qui
suis-je, comment je me définis, quelles sont mes priorités, combien d’argent je
peux mettre dans un sac à main…?», etc.

Un sac à main qui est donc beaucoup plus qu’un sac à main… Les deux femmes que
j’observais devaient se dire… non, se chuchoter… «Salut, moi je m’appelle
Longchamp!» «Ah salut, moi c’est Lancel!».

PS: Surtout les femmes doivent comprendre de quoi il s’agit, désolée messieurs.