Tunisie – Emploi : «Enseigner l’entrepreneuriat dans les lycées», recommande Doris Hribernigg de l’ONUDI

Doris Hribernigg de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Business, Investment and Technology Service Branch). Envoyée par le siège de l’Organisme onusien, dans le contexte d’un programme portant sur l’emploi jeunes et migration financé par le gouvernement espagnol, elle a proposé au gouvernement de transition la poursuite de ce projet basé sur les recommandations et les expériences acquises.

Entretien.

doris-onudi-1.jpgWMC: Sur quoi portent les recommandations que vous venez de citer?

Doris Hribernigg : Depuis 2009, nous travaillons sur un programme emploi jeunes, et le volet de l’ONUDI concerne l’entrepreneuriat. Nous avons déjà accompli une panoplie d’actions pour l’accompagnement des jeunes porteurs de projets depuis la formulation du business plan jusqu’à la mise en place du projet lui-même. Nous avons lancé des études sur les potentiels d’investissement dans les régions de Gafsa et du Kef. Nous démarrons aujourd’hui une étude sur l’artisanat et les possibilités d’investir dans le secteur et de le soutenir.

71 projets ont déjà été formulés par de jeunes entrepreneurs dans différentes zones du pays: le Grand Tunis, Le Kef et Gafsa. Nous avons pris contact avec les institutions financières pour nous assurer que ces projets pourront être financés. Dès le début, nous nous sommes rendu compte des contraintes rencontrées par les jeunes face aux financements d’autant plus qu’ils n’ont pas de fonds propres. Aucune garantie aussi, les banques n’ont pas confiance en eux, même si leurs projets sont solides et bancables.

Après accord de principes de la part des institutions financières, le problème des apports personnels, même si le capital est petit, remonte à la surface et devient un obstacle sérieux à l’accomplissement des projets.

Comment avez-vous réagi à cette situation?

De manière assez simple, nous avons eu une série de rencontres avec des représentants d’institutions financières privées pour étudier avec elles le moyen de créer un fonds de financement à risques pour financer les apports personnels apportés par les jeunes promoteurs dans les projets bancables. J’ai travaillé sur cette question tout au long de la semaine que j’ai passée à Tunis.

A quels résultats avez-vous abouti et quelles sont les institutions financières privées qui se sont montrées réceptives ?

Nous avons contacté nombre d’institutions, des fonds à risques, des sicars, des banques, et nous cherchons aujourd’hui à avoir l’appui d’entreprises privées qui pourraient aider au financement de ce fonds. L’objectif est d’en faire un fonds pérenne, ce qui veut dire que nous accorderons des prêts à un taux d’intérêt acceptables et qui doivent, bien entendu, être remboursés.

C’est un petit fonds capital à risques mais pour de petits projets où les fonds propres ne doivent pas dépasser les 5 à 10 mille dinars pour des projets de 50 à 150 mille dinars. Le capital du fonds devrait atteindre les 3 à 5 MDT. C’est un projet pilote qui sera lancé à Gafsa et nous pourrons le généraliser à d’autres régions et d’autres pays ensuite.

Est-ce le moment de lancer pareille initiative?

C’est le bon moment pour lancer cette initiative. Le secteur privé et les institutions financières ont été réceptifs et se montrent prêts à être des parties prenantes dans ce fonds tout comme nous avons eu le soutien des pouvoirs publics.

Vous avez tout à l’heure parlé des études sur les potentiels d’investissement dans les régions, quels sont les projets qui pourraient le plus marcher au Kef, à Gafsa ou dans le Grand Tunis, selon vous?

Plusieurs idées de projets sont en cours dans plusieurs domaines: l’agro-industrie, l’agriculture, le tourisme au Kef, les énergies renouvelables à Gafsa, les composantes automobiles et l’artisanat, particulièrement le tapis. Nous voulons encourager les secteurs porteurs dont les marchés existent et où nous pouvons écouler sans peine les produits.

Les jeunes porteurs de projets sont très peu informés sur les capacités et les demandes des marchés à l’échelle nationale, régionale ou internationale. Ils n’arrivent pas à «marketer» leurs produits.

Lors d’une réunion au Kef, nous avons été interpellés par des jeunes qui ont clairement appelé à être accompagnés depuis la formulation de l’idée du projet et du business plan et jusqu’à la commercialisation de leurs produits. Ils souffrent de méconnaissance au niveau de la gestion ou de la pénétration des marchés. Ces jeunes ont suggéré qu’il y ait un point focal pour le consulting lorsqu’ils rencontrent des difficultés.

Comment l’ONUDI pourrait-elle les aider à ce niveau?

L’ONUDI s’est déjà engagé depuis le début dans ce genre d’accompagnement, soit par la formation de formateurs dans les institutions d’appui ou celle des entrepreneurs. Nous comptons travailler dans cette optique; nous comptons également lancer des actions à travers la société civile qui est plus proche du terrain et des bénéficiaires.

Ne pensez-vous pas qu’il y a un autre problème qui se rapporte à la culture entrepreneuriale également, des régions marginalisées historiquement et dans lesquelles on a perdu l’esprit l’initiative privée et d’autres dont la culture entrepreneuriale est plus développée?

C’est vrai. Nous comptons d’ailleurs appuyer la culture entrepreneuriale à travers une proposition pour l’introduction d’une option entrepreneuriat au baccalauréat et dans les écoles professionnelles pour éclairer les jeunes sur les avantages de l’entrepreneuriat, susciter les vocations et montrer qu’il existe d’autres alternatives aux postes d’emplois fixes. Cela pourrait être un programme intégré au cursus scolaire.

Nombre de jeunes déscolarisés se lancent dans des projets très souvent par force sans aimer vraiment être entrepreneurs; ils y réussissent parfois. D’autres, qui sont des avocats ou des médecins, ne veulent pas le devenir.

Vous avez parlé de 71 projets bancables, y en a-t-il qui sont déjà sur les rails?

Deux projets ont déjà été financés par les banques, d’autres sont en cours de négociation, sans oublier ceux qui ont besoin de soutien et d’accompagnement et d’accès aux financements. Nous sommes toutefois convaincus que ces projets, sous peu qu’ils trouvent les financements adéquats, seront concrétisés.

Avez-vous trouvé du répondant de la part des pouvoirs publics?

Nos réunions avec les hauts responsables aux ministères de l’Emploi, de l’Industrie, du Développement régional et de l’Agriculture ont été très encourageantes. Elles dénotent d’une grande volonté d’encourager et de soutenir l’entrepreneuriat jeune.

Nous avons discuté du climat des affaires dans les 5 régions prioritaires qui n’est peut-être pas des plus favorables. Il faudrait revoir la manière d’attirer les investisseurs. Dans les réglementations sur l’investissement en Tunisie, tout se faisait à l’échelle nationale, sans qu’il y ait prise en compte des spécificités régionales. Les diversités au niveau des régions devraient être prises en comptes, il y en a de très riches, comme Le Kef qui possède de grandes ressources, et d’autres qui ne sont même pas au niveau.

D’autre part, l’information ne passe pas, les jeunes ignorent les facilités et les moyens d’accompagnement dont ils disposent. Le gouvernement de transition est décidé à mettre tout en œuvre pour soutenir les jeunes initiatives.

Pensez-vous que les jeunes sont assez entreprenants ?

Ceux avec lesquels nous avons discuté au Kef étaient très intéressés, ils avaient leurs projets et avaient l’air décidés. Ils ont émis des critiques à propos des formalités administratives (la paperasse).

Ceci étant, il ne faut pas forcer ceux qui n’ont pas la vocation à devenir entrepreneurs.

Pourquoi avoir choisi la Tunisie pour lancer le fonds à risques pour les apports personnels des jeunes porteurs de projets?

La Tunisie est un pays particulier. Quand nous avions lancé le programme emploi jeunes, on se demandait pourquoi apporter un appui au gouvernement tunisien qui disait tout avoir et qu’il n’avait pas besoin grand-chose.

Les bonnes structures existent sur place et depuis la révolution, nous estimons que nous pouvons faire plus parce qu’il y a plus d’ouverture et de souplesse vis-à-vis des besoins des jeunes, de la société civile, des financements et des initiatives venues de part et d’autres.