Tunisie : «Les mandataires judiciaires qui n’assurent pas seront dessaisis de leur mission», affirme le chef du contentieux de l’Etat


justuce-18042011-art.jpg«Je peux vous assurer que la loi sera respectée dans ses détails les plus
infimes, nous ne lèserons personne et nous ne nous attaquerons pas aux intérêts
des entreprises qui font vivre des familles, pour nous la préservation des
emplois est capitale. Tout ce que nous voulons, c’est récupérer en toute
légalité les biens de l’Etat qui ont été spoliés par des manigances déloyales et
corrompues. C’est notre rôle et nous ne ferons pas marche arrière. Il ne faut
pas non plus que les médias, dans leur recherche du sensationnel, fassent du
tort à la justice ou aux prévenus. Les médias ne doivent pas être populistes», a
indiqué Mohamed Moujahed Fridhi, chef du contentieux de l’Etat, lors d’un
entretien avec WMC.

Près de 200 entreprises sont concernées par la désignation de mandataires
judiciaires chargés de gérer en partie et de manière ponctuelle, le temps que la
justice dise son mot. Les entreprises appartenant à l’ancienne famille du
président, leurs proches ou leurs associés ne disposent plus d’elles-mêmes.

Si les administrateurs ou mandataires désignés n’assurent pas leur mission comme
il se doit, si leurs profils ne correspondent pas au secteur d’activités des
entreprises à gérer, on procède rapidement à leur remplacement. «Nous estimons
que la bonne marche de toute entreprise, sa pérennisation et même son
développement sont importants. A ce titre, s’il y a un problème dans la gestion
d’une société, et l’information peut nous parvenir à travers le mandataire
judiciaire lui-même, le juge contrôleur ou le personnel de l’entreprise. Dans le
cas échéant, nous procédons aux modifications nécessaires. Certains
administrateurs reconnaissent eux-mêmes ne pas correspondre au profil de
l’entreprise et nous demandent de les décharger de leur mission». Il y a eu déjà
l’exemple d’un mandataire qui s’est présenté au bureau du chargé du contentieux
de l’Etat disant qu’il ne peut assurer sa mission, qu’il est volontaire pour
servir l’Etat à titre gracieux mais qu’il est dans l’incapacité de gérer une
entreprises dont le secteur d’activité échappe à sa compétence.

Les administrateurs judiciaires gèrent les entreprises dont l’Etat est
actionnaire majoritaire de par le décret présidentiel qui a porté publication
des dirigeants des entreprises concernées par la mesure de séquestration ou de
mise sous mandat judiciaire. Si l’Etat est minoritaire, c’est un mandataire qui
est chargé de préserver ses intérêts dans l’entreprise en question.

Des entreprises lésées?

Un exemple est souvent cité: celui de la maison
Peugeot dont le concessionnaire
a dû subir les pressions de Ben Ali pour avoir un associé, et aujourd’hui,
celles d’un administrateur judiciaire gérant les parts acquises illégalement par
l’ancien régime.

«Pourquoi est-on si impatient? C’est une mesure ponctuelle, nous ne pouvons et
n’accepterons pas de porter atteinte aux intérêts vitaux des entreprises. Nous
n’avons pas saisi des biens, nous sommes tout juste en train de faire les
investigations nécessaires pour nous assurer que l’entreprise n’a pas été
mouillée dans des malversations ou des actes de corruption. Dès le moment où
nous nous assurons de la solvabilité de l’entreprise et de la netteté des
comptes, nous levons cette mesure.

Je voudrais ajouter que beaucoup d’entrepreneurs se sont montrés très réceptifs.
Et de l’avis de nombre d’administrateurs judiciaires, l’un des groupes les plus
valables serait celui des Mabrouk, qui s’occupent très bien de leurs
entreprises, préservent leurs intérêts et n’hésitent pas à coopérer.

C’est également le cas de
Dar Ennakl, car ceux qui la tiennent se montrent assez
coopératifs. En matière de chiffres, les 200 entreprises touchées par les
mesures de l’Etat pèsent très lourd, économiquement parlant».

Réagissant aux reproches des créanciers qui se plaignent de ne pas être réglés à
temps, M. Fridhi a reconnu que c’est effectivement le cas de certaines
entreprises. «Il s’agit en fait de reporter le règlement des dettes le temps que
les entreprises reprennent leur rythme normal, car le paiement des salaires des
employés reste prioritaire».

Les entreprises mises sous administrateurs judiciaires peuvent se présenter aux
tribunaux et demander à ce que cette mesure soit levée: «Rien n’empêche le juge
de prendre la bonne décision, dès lors que les preuves sont apportées du fait
qu’elles n’ont pas été mouillées dans des affaires louches».

L’indépendance de la justice est sacrée, mais il faut que le gouvernement soit
plus réactif et plus volontaire dans la présentation de tous les responsables
qui ont été complices des actes de malversations et de corruption et qui se
trouvent, aujourd’hui, toujours occupant les mêmes postes et payés par le peuple
qu’ils ont dépouillé et profitant toujours de leurs avantages.

Pour le détournement des fonds publics, les Trabelsi et Ben Ali
ont été
conseillés, aidés et soutenus, ceux qui ont été derrière eux dans les
administrations, les gouvernorats, les mairies et les communes doivent justifier
de leurs actes devant la justice, quitte à dire «Nous avons reçu des ordres
auxquels nous ne pouvions désobéir». Soit, mais au moins que justice soit faite.

Pour ce qui est du contentieux de l’Etat, les choses ont évolué positivement.
«Auparavant, nous subissions les pressions venant de haut, nous ne pouvions nous
attaquer aux Najet Ben Ali, Trabelsi lorsqu’ils voulaient enregistrer un bien
immobilier. Les dossiers de détournement des deniers publics étaient traités en
dehors de notre département, et compagnie. Aujourd’hui, nous veillons à ce que
chaque centime nous appartenant aille à la bonne place».