Tunisie : Impératif de repenser le partenariat avec l’Union européenne

Par : Tallel

Si les hommes politiques en Europe et notamment en France se cachent derrière le
devoir de réserve et la volonté de non ingérence dans les affaires de la Tunisie
pour expliquer leur silence assourdissant durant 23 ans de dictature, il reste
tout de même tout un volet compromettant qui contredit cette thèse et qui mérite
d’être évoqué.

L’Europe a financé sous forme de dons et de crédits une grande part du modèle de
développement économique de la Tunisie. La présence à Tunis d’une délégation
jouissant d’un statut diplomatique composée d’une cinquantaine de personnes et
dont le chef est accrédité directement auprès du président de la République
tunisienne, prouve l’impossibilité pour les responsables politiques en Europe de
ne pas avoir eu échos de l’utilisation réelle des fonds détournés par les clans
au pouvoir en Tunisie (le contraire serait encore plus grave!).

Sur le site Internet de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie et dans
son mot de bienvenue, le chef de la délégation, Adrianus Koetsenruijter qui,
rappelons-le, a le titre d’ambassadeur accrédité auprès de l’Etat tunisien, on
peut entre autres lire que:

«La Délégation maintient un dialogue permanent avec les autorités, les milieux
politiques, économiques et scientifiques du pays comme avec les différents
représentants de la société civile…

La Délégation joue un rôle important d’accompagnement et d’initiative dans la
mise en œuvre de ces accords, grâce en particulier au Plan d’Action entre
l’Union et la Tunisie. Ce Plan couvre des domaines d’activité nombreux comme la
démocratie et l’état de droit, les droits de l’homme, les réformes économiques
et commerciales, le transport, l’énergie, la société de l’information, la
justice et les affaires sociales et les migrations…».

Plus loin sur le même site, on peut découvrir le nombre important de contrats
d’Assistance technique pour tout et n’importe quoi, financés sous forme de dons
par l’Europe et dont les bénéficiaires sont des sociétés le plus souvent
européennes (beaucoup de sociétés belges).

Pour ceux qui désirent en savoir plus sur la nature du partenariat UE-Tunisie,
des fiches de projets détaillés sont sur le site web de la Délégation de l’UE,
précisant le montant du marché et la société adjudicataire pour chaque mission
d’Assistance technique.

On se rend ainsi facilement compte de l’ampleur de l’exclusion du tunisien,
diplômé ou pas, du processus de réflexion et de décision dans la détermination
des choix stratégiques de son économie et de sa société. Ce sont toujours des
réponses toutes faites, des idées venues d’ailleurs qui écartent le Tunisien de
la réflexion, que l’Europe a essayé d’injecter à coup de milliards d’euros. Des
directives sous forme de recettes toutes faites à l’instar des ordonnances
médicales prescrites par des «Messieurs je sais tout» pour faire ceci et faire
cela, et ce dans tous les domaines économique, politique ou social en Tunisie.

Quand on réfléchit pour eux et quand on ne leur propose que des postes non
qualifiés, il ne faut pas s’étonner alors du taux de chômage élevé chez les
diplômés ni même de la faiblesse de l’investissement privé dans une vie
économique qui exclut ses acteurs du processus de réflexion et de décision.

On parle dans les réalisations de la Délégation de l’UE en Tunisie de plus de 4
milliards d’euros d’investissements, dont plus 1,2 milliard d’euros de
financement de la Commission européenne et 2,8 milliards d’euros de la Banque
européenne d’investissement (BEI).

Il est aussi précisé sur ce même site web que les 4 milliards d’euros n’incluent
pas la part de la Tunisie dans les projets et programmes régionaux au titre de
MEDA (par exemple Euromed Heritage, Euromed Audiovisuel, Euromed Jeunesse, etc.)
ou au titre d’autres lignes budgétaires (par exemple les projets régionaux
LIFE).

Les questions qu’on est amené à se poser:

Comment une Délégation de 50 techniciens basés à Tunis n’a rien vu venir et n’a
pas alerté sa hiérarchie et la classe politique sur la véritable utilisation des
fonds?

Comment, devant un financement aussi important, aucune alerte n’a conduit à
couper les vivres, à un détournement de fonds et de vocation d’investissements
aussi odieux?

Devant le développement d’innombrables mesures dans le monde pour traquer le
blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, comment peut-on comprendre
que les régimes et les chefs d’Etat n’y soient pas soumis?

Comment peut-on comprendre que non seulement on ne les empêche pas de faire un
mauvais usage de l’argent de leurs peuples mais qu’on en arrive même à leur en
donner d’avantage sous forme de dons et de crédits sur le dos de leurs
concitoyens?!

Quelle est la responsabilité aujourd’hui de ceux qui étaient censés suivre pour
l’Europe ce processus de partenariat Euromed en Tunisie et ces investissements
dont plus de 4 milliards d’euros de dons financés par le contribuable européen?

Quelle est leur responsabilité dans la fabrication de ce tigre en papier
qu’était l’économie tunisienne présentée pendant longtemps comme le “Dragon de
l’Afrique et du Moyen-Orient“?

Quelle est leur responsabilité dans la désinformation économique qui a couvert
pendant si longtemps un régime qui s’est avéré carrément mafieux?

Et beaucoup d’autres questions encore.

Faut-il lancer, aujourd’hui, un audit de cette Délégation de l’UE en Tunisie
pour comprendre l’origine des dysfonctionnements, sanctionner les fautifs (car
au minimum il y a eu dysfonctionnements) et afin que de telles aventures ne se
renouvellent plus jamais dans le fonctionnement des instances de l’UE car il y
va de la crédibilité de l’Europe entière vis-à-vis des peuples de la
Méditerranée qui ont cru et qui se sont investis dans ce partenariat Nord/Sud?

Monsieur Sarkozy, président du G8 et du G20, ne faudrait-il pas établir une
éthique dans la gouvernance mondiale pour poursuivre la responsabilité du
bailleur de fonds, même quand il s’agit d’un organisme supra national (FMI,
Banque mondiale, BEI, BAD, etc.) quand il s’avère que l’usage de ces mêmes fonds
a été détourné de sa vocation initiale sans alertes, réactions ni sanctions de
la part de l’organisme bailleur de fonds?

Il ne faut pas oublier que, contrairement à toute règle de justice ou de
déontologie, quand un dictateur endette son pays pour au final détourner les
capitaux de leur vocation, c’est tout un peuple qui se retrouve spolié car
redevable d’un argent dont il n’a jamais bénéficié et qu’il est tout de même
tenu de rembourser!

Seule la sanction amènera les organismes bailleurs de fonds à réfléchir à deux
fois avant de débloquer les crédits aux “Etats voyous“, à commencer par
l’annulation pure et simple de la dette qu’ils ont accordée et débloquée sans
réel suivi transparent et sérieux.

L’Union européenne devrait tirer profit de la révolution tunisienne pour au
moins reconnaître et corriger ses propres dysfonctionnements afin d’éviter que
de nouveaux détournements de fonds soient faits devant l’opacité et le silence
de ses cadres.

L’Union européenne devrait s’engager à bien veiller, dans l’avenir, à laisser le
Tunisien seul maître des choix stratégiques, économiques et sociaux de son pays.
Le recours à l’Assistance technique de l’Europe ne devrait voir le jour que
quand c’est le Tunisien qui le demande. Il faut que la matière grise et les
cadres de ce pays construisent eux-mêmes leurs institutions et leur économie à
leur rythme, avec leurs propres compétences qui ne manquent pas.

D’un autre côté, aux Tunisiens de ne pas s’enfermer totalement dans le seul
partenariat avec l’Union européenne et de concevoir un modèle économique plaçant
le Tunisien et l’entreprise tunisienne au centre de gravité du système.

Le modèle ne doit pas se limiter à ne voir dans l’entreprise tunisienne qu’un
satellite ayant pour noyau l’économie européenne allant jusqu’à condamner à la
disparition de fait toute entreprise tunisienne non liée à un réseau européen
(travail de sous-traitance et dépendance à 100% du partenaire).

Le modèle économique devrait être plus équilibré, laissant une plus grande part
pour le reste du monde. Avec une liberté d’expression retrouvée, aux Tunisiens
aussi de ne pas accepter, systématiquement, tout ce que leur proposent leurs
partenaires par autocensure ou simple facilité. A bannir enfin les fausses
consultations nationales et le recours abusif aux études sectorielles confiées à
des bureaux étrangers pour couvrir des décisions et des orientations déjà prises
suite à des recommandations pour ne pas dire directives de partenaires bailleurs
de fonds! Le Tunisien n’est pas dupe et ce maquillage maladroit et grossier ne
fait qu’augmenter sa souffrance et son exaspération face à son exclusion du
processus de réflexion et de décision dans son pays.