Tunisie – Reportage : Costa Esmerelada

costa_esmeralda1.jpgOuf!
L’avons-nous échappé belle ou devrions nous le regretter toute notre vie?
Pour l’histoire, l’Agha Khan(*) au lendemain de l’indépendance tunisienne,
avait émis le souhait de réaliser le projet de la “Costa Esmeralda” en
Tunisie. Sous le refus du président Bourguiba, il alla un peu plus loin. Sur
l’île d’en face, la Sardaigne.

L’option du tourisme dans notre pays était déjà un fait. Celui de masse ne
prit le dessus que beaucoup plus tard. La phase de la construction de notre
tourisme durera plus de deux décennies. Elle contribua à la construction de
l’économie nationale et érigea la Tunisie au top des destinations balnéaires
du Bassin méditerranéen. Les années de gloire ont duré le temps qu’elles
pouvaient. Entre temps, la Sardaigne aussi s’est développée. Elle est
devenue une des destinations les plus à la mode autour de la Méditerranée.

La «Costa Esmeralda» est une destination de rêve. Longue de 55 km et
couvrant environ 30 km2 de sable fin et de criques de rêve, elle est une
destination pour les milliardaires, les chefs d’Etat en vacances et les
super stars. Tous y accourent du monde entier.

Le prix de la résidence y démarre à partir d’un million de dollars. Selon le
“rapport 2007 sur la richesse”, présenté par le groupe immobilier
britannique Knight Frank et Citi Private Bank, filiale de la banque
américaine Citigroup, il ressort que le prix du m2 sur la «Costa Esmeralda»
est de 23.625 euros, juste après Saint-Jean-Cap-Ferrat (en France) qui est
largement en tête avec un prix du m2 atteignant 30.300 euros. Aujourd’hui,
il y a pénurie de grandes villas en bord de mer. Le marché de l’immobilier
d’exception est devenu fou ces dernières années, avec notamment l’arrivée
des grosses fortunes russes. Les Chinois s’y mettent aussi semble-t-il et
bien que la crise soit là, il continue d’y avoir des ventes supérieures à 60
millions d’euros.

Pour le moment, personne ne vend ni n’achète. Crise oblige ! La seule
personnalité à vouloir quitter l’île, suite à un énième scandale, est Le
président Italien Silvio Berlusconi, un peu pour hausser les enchères de sa
propriété et beaucoup pour punir une presse “people” qui prend trop de
libertés avec sa vie privée. La presse se délecta de son coup de colère
durant tout le mois de juillet. L’anecdote a fait le tour de l’île, puis
rapidement celui de l’Italie. Vendra-t-il, ne vendra-t-il pas?

Quant à nous, près de 50 ans plus tard, nous “louchons” vers ce tourisme là.
Un tourisme haut de gamme, sélectif et à forte valeur ajoutée. Un tourisme
fait de palaces, de plaisance, de casinos, de résidences de luxe, de golfs,
de shopping… Mais le jeu en vaut-il la chandelle? La Costa Esmeralda en
tant que porte drapeau d’un tourisme élitiste parvient-elle à assurer la
rentabilité du secteur? Le reste de l’île en tire-t-il des profits?

La Sardaigne tient ses promesses à plus d’un titre. Des plages
paradisiaques, une flore sauvage et un littoral très bien conservés
justifient pleinement sa réputation. La plaisance et l’immobilier s’y sont
d’ailleurs très bien développés. Ils ont été la clef de voûte pour lancer la
destination et certains croient qu’en dehors de la dimension “spéculative et
immobilière”, la rentabilité des investissements engagés restent mineurs.

Costa Esmeralda vs Hammamet: Faut-il regretter?

Que ceux qui croient que le choix d’un tourisme estival plus “haut de gamme”
résout le problème de la saisonnalité se trompent. La saison sur l’île
prestigieuse est des plus courtes. La capitale de l’île est moins accessible
par air que ses nombreuses concurrentes parmi les capitales européennes ou
nord-africaines. Mis à part la mer et ses plaisirs, il n’y a pas grand-chose
à faire. Même dans des endroits moins élitistes, tel que “La Madelena”,
similaire à notre Tabarka, la saison est courte. Entièrement dédiée au
tourisme local italien moyen de gamme, basé sur le business de la location
saisonnière, la saison dure péniblement un mois et demi. Le 15 août, la
saison est close. Elle plie ses bagages jusqu’à l’été prochain.

En ces temps de crise, rien n’y fait. Tourisme haut de gamme ou de masse,
même combat ! La baisse est palpable partout. Les maisons restent vides et
les agences immobilières offrent des rabais pour les locations. “Nous
n’avons jamais vu cela. C’est vraiment une saison étrange. Si nous faisons
un bon 19-21 heures, nous restons vides pour le dîner”, déclare la jolie
rouquine du bar de la Marina de “Porto Rotondo”. «Les belles années sont
vraiment finies. Il fut un temps où je passais mes journées dans
d’incessants allers et retours entre Porto Cervo et l’aéroport. Les
pourboires étaient vraiment conséquents à l’époque. Les Russes ont fait des
ravages…». Désormais, il passe plus de temps à lustrer sa belle berline
qu’à faire des transferts. Moins internationale que “Porto Cervo”, sa
benjamine Porto Rontondo est composée d’une clientèle à 80% italienne. Il
semble que du côté des italiens, le moral ne soit pas vraiment au beau fixe!

Il est certain qu’en se baladant du côté de la Costa Esmeralda, on ne peut
qu’avoir un pincement au cœur. Les villages à fort potentiel touristique
sont beaux, préservés et mis en valeur. Ils ressemblent davantage à des
jardins privés qu’à de véritables villages habités d’insulaires. Leur
clientèle est majoritairement internationale, riche et propriétaire de
magnifiques résidences que l’on doit deviner tellement elles sont cachées
dans une végétation luxuriante.

Sur la célèbre côte et surtout du côté de Porto Cervo, les marinas regorgent
de yachts de luxe à plus de 50 m. Ce sont d’ailleurs plus de petits hôtels
flottants que des bateaux de croisières. Certains d’entre eux mouillent dans
des marinas privées où seuls les abonnés et leurs invités de marque ont
accès. Cependant, chez ceux, là aussi, la saison est courte. Extrêmement
courte, sauf qu’elle est facturée à prix d’or.

A titre indicatif, un bateau de luxe de plus de 80 mètres peut être loué
pour l’équivalent de 150.000 euros la journée par une compagnie de charter.
Pour ceux qui ne peuvent se permettre ce luxe, il reste toujours l’hôtel.
Malheureusement, au «Cala di Volpe», un des joyaux de la chaîne Starwood, la
suite présidentielle est facturée à 31.000 euros par jour. Dernier hic, elle
se loue plusieurs mois à l’avance… Les Beach clubs, les restaurants
huppés, et les rares discothèques ne sont même pas encore bondés. Ils le
seront sûrement, d’ici les dix jours les plus chauds de l’été entre le 5 et
le 15 août. Pour le moment, ce n’est pas encore le rush. Mais le sera-t-il
cet été?

Dans certains endroits, il s’agit plus de montrer des cartes de crédit
conséquentes plutôt que “patte blanche” pour accéder au célèbre “Millionaire”
ou “Nikki Beach”. D’un coup alors, Porto Cervo devient l’un des endroits les
plus chics et branchés sur terre. Il faut y être vu, au moins le temps d’un
week-end. Cependant, n’y afflue pas qui veut, mais qui peut.

A Porto Cervo, l’express est facturé à 25 euros dans l’un des cafés les plus
chics de la place en fin de journée. Idem pour un soda. Les marques les plus
prestigieuses se bousculent au portillon: bijouteries, boutiques de
prêt-à-porter, de décoration ou de maroquinerie… Tous les grands noms sont
présents sur la fameuse placette. Le comble du snobisme est d’ailleurs d’y
présenter la collection de l’Hiver 2010. Il va de soit qu’à Porto Cervo, on
achète plus facilement les visons que les maillots.

Cette Sardaigne-ci, la Corse et la Côte d’Azur se livrent une guerre
acharnée pour retenir ou titiller les multimilliardaires. Le temps de 4 ou 5
week-end par an, tous les moyens sont mis en place pour les pousser à la
dépense: événementiels, lancement de collection de joaillerie, soirée de
Relations Publiques de célèbres marques automobiles ou de boissons
prestigieuses… Cependant, l’heure générale est à la discrétion. Non pas
que tous les portefeuilles soient vides, mais c’est plutôt la morosité qui
règne. Le comble du nouveau chic est “de vivre heureux et cachés”. On se
fait petit dans son coin et l’on vaque sur les mers au plus loin des côtes.

Quand les temps sont moroses, on met profil bas. Ce n’est sûrement pas le
dernier rapport annuel de Merrill Lynch et Capgemini consacré aux
millionnaires dans le monde qui contrediront la tendance. La raison est
simple. Le monde a perdu 50.000 de ses “ultra riches”. La tornade financière
est bel et bien passée par-là. Le scandale Madoof laisse encore un goût de
gâchis énorme chez les victimes. Le très select club d’avant la crise s’est
disloqué momentanément, certes, mais assurément. Entre ceux qui se sont
faits “plumés” et ceux que la crise à déplumé, le malaise frappe dans le
cœur du milieu de la jet set et du gotha européen. Le comble du raffinement
ou de la dérision cet été, c’est un sac «anectoditique» pour ne pas dire
d’anthologie qui porte la mention “Madoff m’a tout prix”. Il a été lancé par
une styliste épouse d’un ancien ministre français. Il ne vous reste plus
qu’à deviner son prix, tandis que sur e-bay, on vend aux enchères le tee
shirt de «Madoff Investment» comme des petits pains.

Nous concernant, les options qui ont construit la notoriété de la Sardaigne
ne sont un secret pour personne. Des marinas de prestige, des golfs de
grands renoms et de l’immobilier de très haut standing aux abords des deux
font le reste. Il est peut-être urgent de penser doter la Tunisie davantage
de terrains de golfs pour rattraper le retard qu’elle accuse par rapport à
ces destinations concurrentes.

Il s’agit aussi de rentabiliser les ports de plaisance. Pour le moment, ils
se limitent à être des parkings d’hiver pour certains des bateaux de
Méditerranée. Arrivent-ils à générer suffisamment de trafic? Créent-ils
suffisamment de richesses et d’emplois?

Le business de la plaisance est aussi à prendre. Il suffit seulement de s’en
donner les moyens.