Effets de la crise sur les pays du Golfe : machination ou mauvais calculs ?

D’après les projections du FMI, la baisse des prix du pétrole
et les coupes dans la production de l’OPEP devraient diminuer de presque 50% le
produit des exportations pétrolières en 2009, ce qui impliquerait une perte de
recettes publiques de l’ordre de 300 milliards de dollars par rapport à 2008.

L’excédent extérieur courant des pays exportateurs de pétrole, évalué autour de
400 milliards de dollars en 2008, devrait se transformer en déficit de 30
milliards de dollars en 2009. Les bienfaits de cette crise sont illimités…

bourse_dubai_1.jpgDans
les pays du Golfe, on s’attend à un recul du taux de croissance de plus de
deux points pour 2009. Dur, dur pour des pays dont la croissance en moyenne
serait de 5,6% en 2008. Une croissance qui pourrait être réduite à 3%, en
2009 d’après le Fonds monétaire international.

L’agence de notation financière Standard and Poor’s prévoit, pour sa
part, rien que pour Dubaï, une contraction de la croissance de « de 2 à 4%
en termes réels ». Durant les six premiers mois de l’année 2008, les
bourses arabes ont connu des baisses généralisées qui vacillaient de -10,
-15, jusqu’à -25 %. Leurs indicateurs étaient au rouge, ils continuent à ce
jour sur la même lancée, et on ose à peine à la fin de ce troisième mois de
2009, parler de reprise.

Chronique d’une crise annoncée

La crise ne date pas d’aujourd’hui dans ces pays. Les Koweitiens, et les
Emiratis, les premiers, en 2007, en ont pris conscience. Leurs banques
centrales avaient décidé de garantir les dépôts dans leurs pays. Ce qui
impliquait que tous ceux qui possèdent des comptes ou détiennent des fonds
dans les banques en question, sont assurés contre tout risque touchant à
leurs dépôts. Donc plus de doute sur l’insolvabilité de certaines banques ou
le manque de liquidités au sein de certaines institutions financières.

Pour juguler les effets directs et indirects de la crise sur l’économie
des EAU, 120 milliards de dollar ont été injectés par les Emirats sous la
forme de fonds d’urgence. Abou Dhabi, à lui seul, aurait irrigué son système
bancaire de plus de 4 milliards de dollars.

Dubaï, pour sa part, risque la banqueroute et on s’attend à plus de
pertes au Koweït et aux Emirats arabes unis. Les six membres du Conseil de
coopération du Golfe auraient, suite à la débâcle financière mondiale,
reporté ou annulé 60% des projets de développements. Depuis le début
octobre, les Bourses sur place accumulent les pertes dans de nombreux
secteurs d’activités.

En Arabie saoudite, le volume d’échange avait régressé de manière très
significative pour la place financière la plus capitalisée du monde arabe. A
ce jour, on ne peut pas prétendre qu’il existe des rapports fiables sur les
pertes des fonds souverains du Golfe dans cette crise financière, sans
parler des investissements privées. Un rapport officiel publié par la Saudi
British Bank (Sabb) montre que le volume des investissements privés
saoudiens aux Etats-Unis dépasserait les $ 420 milliards de dollars, la
totalité des investissements privés saoudiens dans le monde s’élèveraient à
$ 1.25 trillion. A combien s’élèveraient les pertes ? Motus et bouche
cousue.

Des pertes à en perdre la tête

Au mois de janvier 2009, cheikh Mohammad Sabah al-Salem al-Sabah, chef de
la diplomatie koweïtienne avait annoncé que la crise financière mondiale a
coûté, depuis octobre 2008, une perte de 2.500 milliards de dollars aux pays
arabes. Un semblant de réponse à ceux qui se posaient des questions sur
l’ampleur des dégâts causées par la crise financière internationale dans les
pays du Golfe et le sort des centaines de milliards de dollars investis aux
Etats-Unis et en Europe…Les pertes principales proviennent d’une chute
estimée à 40% de la valeur des 2.500 milliards de dollars des
investissements arabes à l’étranger, de la perte de plus de 600 milliards de
dollars due à l’effondrement des marchés boursiers et une chute importante
des revenus pétroliers. En Arabie Saoudite, à la fin de l’année précédente,
alors que des voix s’élevaient contre le mutisme affiché par le gouvernement
par rapport aux pertes engendrées par la crise financière sur les
investissements saoudiens aux USA, les rares déclarations officielles sont
restées très apaisantes. Comme si cette crise dévastatrice allait tout juste
effleurer l’économie saoudienne. «La crise financière n’a pas eu de
répercussions directes sur les banques saoudiennes et nous avons pris des
précautions pour protéger notre système financier
», prétendait le gouverneur
de l’Agence monétaire saoudienne, Hamad ben Saoud Al-Sayari. Ce qui fût
démenti tout de suite par le banquier Salahedine Khashoggi qui déclarait sur
un journal de la place : «Les banques saoudiennes connaissent une véritable
crise de liquidités, n’en déplaise à l’Agence monétaire. Cette crise est
susceptible d’influer négativement sur la capacité des banques locales de
financer leurs prêts à long et à court termes
»

Au cours du mois d’octobre, 30% des fonds placés par des particuliers
saoudiens aux Etats-Unis auraient été rapatriés et réinvestis dans le marché
financier du Golfe.

Khaled al-Atiq, un homme d’affaires saoudien a déclaré au journal Al
Watan, que la crise lui a fait perdre «plus de 15% » de son capital, de même
source, un autre appelé Ali Al-Mahmadi qui opère également en Europe, avait
affirmé que nombre d’investisseurs du Golfe avaient subi les revers de la
crise, qu’ils avaient perdu confiance dans les marchés financiers étrangers
et qu’ils pensaient rapatrier une grande partie de leurs avoirs.

D’après Boursier.com, Arabie Saoudien Kingdom Holding -le groupe
d’investissements du milliardaire saoudien Al-Walid bin Talal, principal
actionnaire privé de Citibank- aurait perdu 8,26 Milliards de dollars au 4e
trimestre de 2008. Le « gold finger » saoudien aurait perdu sa baraka. Lui
qui possède 4,9 % de la City et dont le groupe avait déclaré 323 millions de
$ en 2007 imputerait son revers de fortune à ses mauvais investissements
dans la première banque américaine dont l’action avait chuté à 1$. La manne
s’était métamorphosée en vanne…

Il n’est pas le seul à avoir fait le mauvais choix de vouloir sauver la
banque américaine de ses mauvais choix. Le gouvernement local d’Abou Dhabi,
qui contrôle un fonds de 875 milliards USD, a injecté 7,5 milliards USD dans
l’établissement affaibli par la crise des crédits hypothécaires à risque. L’Abu
Dhabi Investment Authority (ADIA) est devenu en 2007 l’un des plus grands
actionnaires de la banque. Le Kuwait Investment Authority a également
investi 5 milliards USD au total dans Citigroup et dans la banque d’affaires
Merrill Lynch.

Plusieurs compagnies, de renommée internationale comme le groupe Emiratie
Emmar, lâchés par les investisseurs internationaux, ont beaucoup perdu. La
banque saoudienne Samba, citée par le site « lefinancier-dz » avait rendu
public un rapport dans lequel elle met en garde ses clients quant à la
volatilité du marché immobilier à Dubaï. Elle avance que le marché serait
instable et orienté à une baisse, dès 2009- 2010, de l’ordre de 10%.

Aux Emirats arabes unis, en raison de la crise financière mondiale, des
projets de construction totalisant 582 milliards de $ ont été gelés.
D’autres, par contre, sont en cours de réalisation, ils s’élèveraient à 698
milliards de $. Un responsable de la Chambre de commerce d’Abou Dhabi,
capitale des Emirats arabes unis, avait averti en décembre que jusqu’à 45%
des employés du secteur du bâtiment risqueraient d’être licenciés en 2009.

La crise : un complot ?

Le souverain saoudien, le roi Abdullah Ben Abdelaziz a, lui même, évoqué
le fait que la crise financière que subissent les marchés financiers
internationaux ait pu être planifiée afin de faire saigner les pays du
Golfe. Le roi saoudien avait déclaré devant un parterre de hauts
responsables du Royaume et des représentants des médias le 25 octobre 2008 :
« Je crois que le monde subit maintenant une guerre secrète, une guerre
économique. Vous devez prendre cela en considération, ainsi que l’intérêt de
la religion et de la patrie et non pas l’intérêt de quelques individus, car
l’économie est la base de toute chose ».

Pour certains experts, cette crise générale des marchés arabes trouve son
explication dans les multiples baisses de taux du dollar, pratiquées par la
réserve fédérale américaine (Fed) et qui ont abouti à une diminution
générale du cours des actions dans le monde. L’indexation des monnaies des
pays du Golfe au $ aidant, ces pays ont subi de manière presque automatique
les soubresauts de la crise financière américaine. Conseillés en matière
d’investissements par des consultants et des golden boys pour la plupart
américains et britanniques, ils n’ont pas pu échapper aux revers de médaille
des subprimes et autres produits financiers trop sophistiqués pour être
vrais. « La hausse des prix du pétrole aurait été si fulgurante que les pays
du Golfe peu préparés à une situation de surliquidité tout au long des
années 2007/2008, ne savaient plus quels investissements pouvaient les
résorber » explique Mahfouh Barouni, DGA de Best bank en Tunisie. Pour lui,
dans ces pays là, il existe un problème de fond et il s’appelle clivage
culturel « Certains investisseurs arabes considèrent que tous les produits
en provenance des USA ou de la Grande Bretagne sont valables, cette crise a
le mérite de prouver que tout ce qui se base sur l’avidité et la cupidité,
et sans aucune espèce de discernement, finit par s’effondrer rapidement ».

Washington, a déclaré Mostafa Belkhayate, gestionnaire de fonds et
analyste financier à Capital.fr au début de la crise, « aurait, résolu en
moins d’une semaine le grave problème des créances américaines en faisant
croire que Freddie Mac et Fannie Mae, deux organismes américains de
financement, risquaient la faillite » Pour lui, l’explication était simple,
les financiers américains, auraient court-circuité les Chinois, qui
possédaient près de 400 milliards de dollars d’obligations émises par ces
institutions, obligations dont la valeur a tellement baissé qu’elles ne
pouvaient plus être revendues. Finalement, l’agneau du sacrifice a été la
Lehman Brothers. « Et peut être qu’au bout de quelques temps, on assisterait
à la renaissance d’une nouvelle affaire, dans le secteur financier ou dans
d’autres secteurs, dont les principaux actionnaires seraient ceux qui
dirigeaient la Lehman Brothers » renchérit Mahfoudh Barouni.

Précisons à ce propos, qu’en vertu du chapitre onze de la loi sur les
faillites aux Etats-Unis. Les institutions en faillite sont protégées contre
leurs investisseurs, qui n’ont aucun droit sur ceux qui les achètent.

Pour Mostapha Belkhayate, Washington avait « manipulé le prix du pétrole
à la hausse à partir d’avril 2008 pour « offrir » sur un plateau venimeux un
maximum d’obligations aux arabes, qui leur ont toujours fait une confiance
aveugle. Une fois le plein fait, on lâche le pétrole et les obligations. Le
mécanisme a parfaitement marché puisque aujourd’hui les créanciers amis de
l’Amérique n’ont que du papier sans valeur entre les mains ». «Le procédé
était Ingénieux » affirmait-il.

D’autres observateurs dans les pays arabes approuvent cette hypothèse en
affirmant que la crise aurait été orchestrée pour porter atteinte aux
fortunes arabes pétrolières et mettre la main sur les profits qu’ils
auraient gagnés aux dépens de l’Occident sous forme des recettes pétrolières
et suite à la hausse importante des cours du pétrole. L’investissement de
fonds souverains arabes dans les banques, les institutions et autres
entreprises industrielles US auraient fini par effrayer certains milieux
avertis qui se sont, paraît-il, empressés de réagir. Cette explication du
bug financier aurait été justifiée par la publication de deux rapports aux
Etats-Unis. Le premier publié par Richard Haass l’ex directeur de la
planification au département d’état US publié dans le numéro de mai/juin du
magazine Foreign Affairs et qui évoquait le fait que les fonds souverains
acquis par les monarchies du Golfe permettait de contrôler le système
financier US et pouvait devenir un moyen de pression politique.

Le deuxième, aussi alarmant ,a été édité par Daniel Drezner, professeur
assistant des politiques internationales à l’école Fletcher, université de
Tufts aux Etats-Unis et qui parlait de la valeur démesurée des fonds
souverains acquis par les pays du Golfe.

Rien que les l’Emirats Arabes Unis en auraient pour 1425 milliards de
dollars suivis par l’Arabie Saoudite et le Koweït.

Des Arabes possédant autant aux Etats-Unis, Ouille ça fait mal !

En tout cas, si la théorie du complot se confirme, les premiers à en
avoir souffert auraient été les économies des pays développés. Le pétrole
des pays du Golfe pansera très rapidement leurs plaies financières. La
mauvaise nouvelle, par contre, est que les investisseurs provenant de ces
pays réfléchissent aujourd’hui sérieusement à changer de cap. Au dernières
nouvelles, le conseiller de l’Emir du Qatar pressait son souverain de
libérer la monnaie qatarie de sa dépendance au $ et ce n’est que le début.

Vents d’Ouest vents d’Est ?

Pour les experts économistes des pays du Golfe, il n’était plus question
de rester dépendants d’une économie en pleine récession et de garder leurs
monnaies indexées au $ qu’ils estiment responsable de l’inflation. Un appel
auquel restent sourdes les monarchies trop longtemps dépendantes
économiquement et même culturellement des USA pour pouvoir s’en libérer
aisément.

Rappelons à ce propos que le seul pays qui a rompu avec la monnaie
américaine est le Koweït qui a décidé d’indexer son dinar sur un panier de
devises dont l’euro et le yen japonais. Les investisseurs arabes, auxquels
les USA au plus fort de la crise, demandaient un prêt de l’ordre de 290
milliards de$, n’ont pas tout à fait oublié l’affaire du DP World qui a vu
le congress américain bloquer l’acquisition par Dubaï de six ports
américains dans le cadre du rachat en 2006 de l’opérateur britannique P&O,
pour 6,9 milliards de dollars.

Pour l’histoire, en visite en Tunisie, il y a quelques années, Cheikh
Salah Kamel Président du groupe saoudien Al Baraka affirmait trouver les
investissements en Tunisie beaucoup plus sécurisants qu’en Grande Bretagne.
La crise aidant, on s’attend à ce que cette mouvance se renforce. Même si,
ce n’est pas demain la veille que les pays du Golfe se libéreraient du joug
économico-civilisationnel anglo-américain.

Lors du Premier sommet économique arabe au Koweït, le vice-président du
patronat marocain avait déclaré que les pertes, à cause de la crise
financière, auraient été moins sévères si les pays du Golfe avaient investi
dans les économies arabes, ajoutant que les investisseurs arabes ont choisi
la facilité en se dirigeant vers la bourse au lieu d’investir dans des
secteurs productifs.

La Chine pour sa part, déploie des efforts substantiels pour que les
vents de l’ouest tournent vers l’Est. Ce grand pays, qui a besoin de plus de
ressources énergétiques pour soutenir sa croissance, compte peser de tout
son poids sur le paysage économique du Golfe arabe. L’Arabie saoudite lui a
envoyé plusieurs signaux positifs. Elle vient de signer des accords avec les
chemins de fer de la Chine pour un projet de monorail reliant ses différents
lieux saints. Le ministre assistant des Affaires étrangères de Chine, Zhai
Jun expliquait ainsi, à l’occasion de la signature du projet en question,
que “le commerce avec l’Arabie saoudite a plus que doublé depuis 2005, avec
une augmentation de 65% rien que pour l’année dernière”. Il n’a pas manqué
de parler de l’importance de la consolidation des relations économiques avec
le Royaume « Nous souhaitons consolider nos relations amicales et
stratégiques avec l’Arabie saoudite, accroître la coopération avec le
Conseil de Coopération du Golfe, promouvoir la concrétisation des acquis du
sommet de Beijing pour la coopération sino-africaine dans le cadre de
l’étape finale, approfondir le nouveau partenariat stratégique Chine-Afrique
… »

Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères qui n’a pas
beaucoup d’occasions de faire montre de sa sympathie envers les pays arabes
et qui s’est toujours prévalu de ses convictions profondes en matière de
droits de l’Homme vient de se rendre en Arabie Saoudite. Objectif de la
mission, consolider les relations bilatérales. Le ministre français se
serait félicité de la solidité des relations fondées selon lui sur un
partenariat stratégique. L’argent n’a pas d’odeur, n’est ce pas M.Kouchner….?
Précisons à ce propos, que les exportations de la France vers le Royaume ont
atteint en 2008 les 2,2 milliards d’euros et ont progressé de 15%.

Pour l’instant, la récession économique est devenue une certitude dans
les pays du Golfe. Mais que ceux qui ne portent pas ces pays dans leurs
coeurs soient rassurés.

Cela ne durera pas trop longtemps. Grâce à Dieu, les monarchies du Golfe
sont toujours les premiers pays producteurs de l’or noir et d’après une
étude récente du cabinet Ernest&Young, elles parviendraient rapidement non
seulement à recouvrir leurs pertes mais elles remonteront rapidement la
pente. Car à supposer que le baril du pétrole reste au prix de 50$, elles
devraient gagner près de 4,7 trillions de $ d’ici 2013 et si ça continue à
2020, elles devraient pouvoir doubler cette somme X 2,5. Béni soit le
pétrole !