G7 ou G20, les Etats resteront impuissants face aux marchés

Par : Tallel

La préparation du sommet du G20 à Londres début avril fait
couler beaucoup d’encre et suscite des espérances parfois démesurées. Nous
montrons dans cet article qu’il faut relativiser ces attentes au regard de
l’histoire économique et financière. Dans le meilleur des cas, le sommet du G20
n’aboutira qu’à un “toilettage” du système actuel. Il détourne l’attention du
problème principal : celui des déséquilibres externes entre pays développés et
pays émergents, illustré par la balance commerciale déficitaire entre les
Etats-Unis et l’Europe d’une part, la Chine d’autre part.

La
réunion du G7 qui s’est tenue à Rome le 13 février dernier n’a débouché que
sur un communiqué lénifiant appelant les grands Etats développés à agir de
concert face à la crise économique et à se garder de tout protectionnisme,
tout en renvoyant les décisions sur le fond au prochain sommet du G20 qui
doit se tenir à Londres début avril.

A vrai dire personne n’attendait grand chose de cette réunion
“intermédiaire” entre deux sommets du G20, le G7 ayant depuis longtemps
perdu la main sur la gestion des grands problèmes économiques mondiaux. On
retiendra surtout les signaux d’apaisement envoyés à la Chine, qui devient
un partenaire incontournable, avec ses réserves de change de près de 2000
milliards de dollars et sa balance commerciale largement excédentaire.

Les enceintes consultatives de type G7, ou même G20 élargi aux grands
pays émergents, sont d’une efficacité très relative en l’absence d’accords
véritablement contraignants. Ces réunions servent surtout de forums pour
échanger des informations entre responsables politiques, ministres, et hauts
fonctionnaires. C’est une sorte de pendant public au Forum de Davos, qui
avait intégré depuis longtemps les pays émergents, au point de consacrer ses
manifestations successives aux BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), et de
créer un véritable “Davos d’été” dans la ville chinoise de Tianjin.

Historiquement, les grandes conférences internationales qui ont abouti à
la refonte du système financier international se comptent sur les doigts
d’une main : la conférence de Gênes en 1922 qui a tenté sans succès de
ressusciter l’étalon-livre, la conférence de Bretton Woods en 1944 qui crée
le système de l’étalon-dollar, et la conférence de Kingston en 1976 qui
sonne le glas du système financier international, en transférant aux marchés
financiers le pouvoir de fixer librement les parités de change entre les
grandes devises. Les Etats capitulent face aux marchés !

La marchéïsation et la privatisation financière commencent donc dans les
années 70, et s’accompagnent d’un développement exponentiel des produits
dérivés, utilisés initialement pour fournir des couvertures de taux et de
change aux entreprises commerciales déboussolées par les fluctuations
erratiques des marchés. Mais la finance de spéculation (speculative finance)
prend vite le dessus sur la finance de couverture (hedge finance), faisant
dire à Marvin Minsky dès la fin des années 70 que le système financier était
désormais entré dans une période d’instabilité chronique, génératrice de
crises à répétition.

Il est symptomatique de constater que l’une des deux seules véritables
avancées en matière de régulation internationale, dans la période post-Bretton
Woods, ne vient pas des Etats mais d’acteurs non étatiques, parapublics et
privés, qui créent l’International Accounting Standards Committee (IASC) en
1973. L’IASC, renommée IASB en 2000, se développe alors comme une véritable
organisation internationale, mais reste dominée par les grands réseaux
d’audit, les fameux Big Five – aujourd’hui Big Four après la disparition
d’Arthur Andersen en 2003. l’IASB se présente comme une alternative
“internationaliste” à l’expansion rampante des normes comptables américaines
– les US GAAP – dont elle finit néanmoins par adopter la plupart des normes,
y compris la très controversée…fair value !

L’autre grande avancée est, il est vrai, le résultat des consultations
entre les argentiers et les contrôleurs bancaires des grands Etats, réunis
au sein du Comité de Bâle, qui se sont mis d’accord (Bâle I en 1988 et Bâle
II en 2004) pour mieux réguler leurs banques, à travers l’application du
ratio de solvabilité, dit ratio “Cooke” (Bâle I) puis ratio “McDonough”
(Bâle II), et d’un ensemble de mesures supposées renforcer la culture de la
gestion des risques. Mais ces normes prudentielles ont plutôt favorisé le
développement de l’innovation financière dans le but de contourner ces
restrictions : titrisation des créances hypothécaires (les fameux “subprimes”)
et mise au point de véhicules hors bilan opaques. Les départements de
trading et de structuration des banques ont ainsi pu échapper à tout
contrôle et mettre en place des stratégies aboutissant aux fiascos que l’on
connaît (affaire Leeson en 1995, affaire Kerviel en 2008).

En réalité, dans le monde hyper- financiarisé d’aujourd’hui, les Etats
n’ont que très peu de prise sur les 10 trillions de dollars qui s’échangent
chaque jour sur les marchés financiers. Parler dans ce contexte de “Bretton
Woods II” comme le suggèrent certains responsables politiques, témoigne non
seulement d’une profonde méconnaissance de la réalité économique, mais aussi
d’une forme de schizophrénie. Le retour à un contrôle des transactions
financières impliquerait en effet, d’abord et surtout, une résolution des
déséquilibres économiques mondiaux (excès de consommation d’un côté, excès
d’épargne de l’autre). Or il ne peut y avoir de correction de ces inégalités
sans un transfert de pouvoir d’achat massif des pays développés vers les
pays émergents, au premier rang desquels figurent la Chine. Aucun
responsable politique occidental n’oserait prendre ce risque !

Gageons donc qu’en l’absence de gouvernement mondial, et n’en déplaise
aux utopistes de tous bords, les sommets du G7 ou du G20 ne déboucheront
dans le meilleur des cas que sur une correction à la marge des défaillances
du système actuel (renforcement des exigences en fonds propres des banques,
surveillance accrue des fonds d’investissement, amendements à la fair value,
etc.). Mais les marchés financiers resteront les vrais maîtres du monde, G20
ou pas.