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    Peut-on 
    imaginer notre univers sans monnaie? Nous nous tuons à l’œuvre pour la 
    gagner, nous adorons la dépenser et certains d’entre nous ont du plaisir à 
    l’amasser et même à la collectionner. Ces actes banals que nous pratiquons 
    au quotidien ne nous poussent guère à nous interroger sur la nature de la 
    monnaie, ses composants, et même la signification des illustrations qui y 
    figurent. Nous nous en servons mais nous ne nous posons jamais des questions 
    à son sujet. Comment fabrique-t-on une monnaie ? Pourquoi un tel chiffre 
    plutôt qu’un autre ? Répond-elle aux standards internationaux ? Même les 
    plus avertis ne sauraient y répondre. La Tunisie figure parmi peu de pays 
    qui fonctionnent à trois décimales dans un monde où on use de monnaies à 
    deux décimales. Pourrait-on parler d’une exception tunisienne? Ce choix 
    risquerait-il de nuire à nos transactions financières ? 
     
    Des experts en parlent. 
    « Il n’existe pas de règles applicables dans tous les pays en ce qui 
    concerne le nombre de décimales dans une monnaie. Il n’existe pas non plus 
    un standard international à ce propos. Chaque pays est souverain et applique 
    son propre système monétaire » affirme Habib Maalej, directeur général de la 
    Caisse générale des Comptoirs et des systèmes de Paiement à la banque 
    centrale.  
    «La première interrogation qui s’impose d’elle-même est : à quoi correspond 
    une troisième décimale dans un monde qui fonctionne uniquement à deux? Nous 
    communiquons dans un langage qui n’est pas conforme aux standards 
    internationaux, ce qui a pour conséquence des risques de dérive sur les gros 
    montants ou des effets multiplicateurs pervers sur les petites sommes 
    soumises à un grand nombre d’opérations. Il existe également un risque 
    d’affecter la fiabilité des échanges financiers alors que pour ce genre de 
    transactions, lisibilité et maniabilité sont de rigueur ». Riposte Ezzeddine 
    Saïdane, PDG de Directway Consulting et expert financier. Selon lui, la 
    Tunisie a dû mettre en place des systèmes d’informations adaptés à notre 
    monnaie puisque ceux utilisés par les banques locales sont importés de pays 
    fonctionnant à deux décimales.  
    Pour Kamel Saffar, directeur commercial de la BFI, La pratique collective en 
    Tunisie, est basée sur le système des trois décimales. Elle est bien ancrée 
    dans notre pays et depuis toujours. Pour la BFI spécialisée dans la mise en 
    place des systèmes d’information des banques tunisiennes, les systèmes à 
    trois décimales n’ont jamais posé de problèmes au niveau de leur 
    installation « Nos institutions financières sont familiarisées avec le 
    système monétaire à trois décimales. Changer de système reviendrait à 
    bouleverser tout le paysage monétique du pays. Les magasins, hôtels, 
    restaurants, tous les lieux où le citoyen dépense de l’argent doivent se 
    munir de nouveaux équipements adaptés au nouveau système. A commencer par 
    les caisses enregistreuses ». La dimension sociale est aussi importante. 
    Dans le quotidien, l’usage de la monnaie relève de la mémoire collective 
    liée à un référentiel culturel. Des facteurs tels que l’habitude, l’identité 
    nationale, la relation de l’usager avec sa monnaie sont à prendre en compte. 
     
    D’autre part et sur le plan purement pratique, selon M.Saffar, « Il n’y a 
    pas de difficultés d’adaptation des système d’information, Il s’agit tout 
    simplement d’une question de paramétrage, la BFI installe en Tunisie des 
    systèmes d’information à trois décimales, et dans d’autres pays où on use de 
    monnaies à deux décimales, met en place des systèmes d’information adaptés 
    ». Il est rejoint en cela par M. Maalej qui estime que les trois décimales 
    ne compliquent absolument pas les transactions financières et qu’elles ne 
    rendent pas non plus difficile l’adaptation du système d’information dans 
    les banques. « En tant qu’institut d’émission, nous n’avons jamais reçu de 
    réclamations ou de critiques de la part des banques à propos de difficultés 
    rencontrées à cause de notre système monétaire, il n’y a 
    aucun mal à garder sa propre monnaie » ajoute t-il. 
    Question de coûts. 
      
      
    « Les coûts de fabrication des petites monnaies comme le millime, les deux 
    millimes ou les cinq millimes exigent des moyens substantiels. Si nous 
    éliminions la troisième décimale, nos systèmes d’information seraient gérés 
    beaucoup plus simplement et bien entendu nous économiserions sur la 
    fabrication de la monnaie ».  
     
    Eh non ça n’est pas aussi simple que cela M.Saïdane. Car quand on aurait 
    légiféré, Il faudrait s’attendre à un grand chamboulement affirme M.Maalej : 
    « Il ne s’agit pas tout simplement de retirer les petites monnaie du marché, 
    il faudrait les remplacer par une nouvelle monnaie. Les 100 millimes 
    deviendront 10 centimes, les 50 millimes 5 centimes et ainsi de suite. Pour 
    rapatrier tout cet argent, il y a toute une logistique à mettre en place ce 
    qui coûte énormément cher et exige des moyens humains conséquents »explique 
    t-il. Si on devait compter le nombre de nouvelles monnaies dont nous aurons 
    besoins dans le cas où nous déciderions de changer notre monnaie, cela nous 
    coûterait des dizaines de millions de dinars et prendrait un temps de 
    réalisation d’un minimum de trois ans. Sans oublier le fait que les prix des 
    matières premières pour la fabriquer sont extrêmement élevés et vont 
    crescendo ajoute le directeur général de la Caisse générale des Comptoirs et 
    des systèmes de Paiement. « Aujourd’hui, il serait beaucoup plus économique 
    pour nous de garder notre monnaie que d’en changer » approuve M.Saffar. Une 
    évolution vers un système à deux décimales demande du temps et une bonne 
    préparation sur le plan logistique même si pour certains notre monnaie n’est 
    pas très pratique. « Ce qui n’est absolument pas pratique serait plutôt le 
    fait de nager à contre courant » soutient Ezzeddine Saïdane : « Car s’il 
    existe une véritable volonté d’éliminer la troisième décimale et de nous 
    adapter aux normes internationales, nous ne sommes pas obligés de fabriquer 
    instantanément de nouvelles pièces de monnaies, il suffirait que la banque 
    centrale publie un texte légal qui consiste à informer les consommateurs que 
    désormais les pièces de 10, 20, 50 ou 100 millimes seraient considérées 
    comme des centimes, le temps que le nouveau système se mette en place et que 
    les gens commencent à s’y familiariser». Il ajoute : « Ce n’est pas la 
    première fois que nous faisons cela en Tunisie, à la veille de 
    l’indépendance, les francs français circulaient avec la monnaie tunisienne, 
    cela a pris un certain temps avant que la monnaie française ne disparaisse 
    définitivement du paysage monétaire tunisien ».Usage compliqué ? 
    L’exemple du secteur touristique le montre explique le PDG de Directway 
    Consulting : les Tours opérateurs (TO) trouvent des difficultés dans les 
    opérations de conversion de la monnaie tout comme les touristes ne 
    parviennent pas aisément à manipuler notre monnaie nationale car il est plus 
    facile de conserver un référentiel si le facteur de conversion est 2. Mais 
    d’un autre côté, un touriste n’est-il pas censé apprendre à se familiariser 
    avec la monnaie locale ? L’une des premières curiosités dans un pays que 
    nous visitons ne serait-elle pas sa monnaie ? En réalité, il n’existe pas un 
    référentiel culturel unique en matière de monnaie, chaque pays dispose d’une 
    totale liberté dans le choix de sa monnaie et de ses unités de mesure. Si ce 
    n’est l’avènement de l’union monétaire européenne, l’Italie aurait peut être 
    gardé sa fameuse lire divisible sur mille. Evidemment le problème ne s’est 
    pas posé pour le franc français qui est à deux décimales depuis toujours.  
     
    S’il n’existe pas de références sur le plan culturel en matière de monnaie, 
    il en existe peut être sur le plan économique. Après tout rien ne nuirait à 
    ce que nous parlions au monde dans son langage à condition d’y mettre les 
    moyens. « La pertinence et la précision de la communication sont 
    importantes. Il faudrait faire l’effort de parler aux autres dans un langage 
    qu’ils comprennent et dans le cas présent, nous parlons d’une monnaie à deux 
    décimales. Nous ne pouvons plus nous permettre de nous soumettre aux 
    standards internationaux dans tous les domaines et ne pas les appliquer 
    s’agissant de la monnaie, car dans toute activité financière, il faut 
    simplifier les procédures au maximum et éviter les interprétations. Eliminer 
    la troisième décimale ne porterait aucune atteinte à la valeur de notre 
    monnaie, nous ferait gagner des millions de dinars sans oublier que cela 
    permettrait au pays de répondre aux normes internationales sur le plan 
    monétaire », affirme Ezzeddine Saïdane. 
     
    ‘‘Wait and see’’ (Attendons voir), peut être qu’un jour, nous déciderons de 
    migrer vers le système monétaire à deux décimales. En attendant, nous ne 
    sommes pas encore sortis de l’auberge. 
      
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