Intelligence économique et PME : Le Conseil économique et social s’y met

Par : Tallel

Dans un
récent document (26 et 27 septembre), «Intelligence économique, risques
financiers et stratégies des entreprises», le Conseil Économique et Social
se propose d’élargir la définition de Bernard Carayon le député auteur de
deux rapports sur la question.

Du coup, ce dernier réagit sur son

blog
en reprochant au CES sa vision
passéiste et “dépolitisée” de l’IE comme technique surtout défensive.
 

Pour,
les politiques d’IE «doivent en effet se concentrer autour de secteurs
clés identifiés comme stratégiques (aéronautique, défense, énergie,
industrie pharmaceutique etc.)».

Le CES se donne plutôt comme priorité d’en étendre la pratique aux PME :
non seulement pour les aider contre les risques de vol d’information, de
désinformation de copie, de prise de participation hostiles ou
prédatrices, mais aussi de les inciter à pratiquer l’IE de façon
offensive.

Le CES préconise en effet d’explorer «des domaines d’action plus offensifs
tels que l’attention portée aux marchés et aux consommateurs à l’échelle
mondiale, l’anticipation de nouvelles règles internationales, les
comportements socialement responsables qui renforcent les capacités
d’innovation et assurent une avance essentielle de compétitivité pour les
entreprises» et ajoute «les efforts doivent être déployés par les acteurs
de la vie politique, économique et sociale très en amont, notamment pour
ce qui concerne la France lors de l’élaboration et des transpositions des
directives européennes».

Certes, l’intelligence économique n’est pas un luxe réservé aux seules
grandes entreprises, aux multinationales détentrices de secrets
planétaires qui mèneraient de pharamineuses stratégies internationales. Au
contraire, les PME sont celles qui ont le plus à gagner à une utilisation
intelligente de l’intelligence économique. «Utilisation intelligente» veut
dire souple innovante, souvent en réseaux. Dans tous les cas, cette
pratique doit respecter le principe que l’information pertinente sert
avant tout à gagner du temps, des efforts, et donc à s’épargner des
rigidités et des séries d’essais et erreurs inutiles, La «bonne»
information n’est pas celle qui s’accumule en procédures, bases de données
et rapports que personne ne maîtrise. C’est celle qui est utile et
utilisée. Si les moyens, la compétence, ou le domaine d’excellence de la
PME sont plus restreints que ceux des très grandes entreprises, c’est une
raison de plus pour conserver un avantage relatif. Mais ce peut être aussi
un atout.

Ceci vaut pour la protection du patrimoine informationnel : plus une
entreprise dépend d’une innovation qui lui est propre, plus elle a
développé une spécialisation en termes de savoir-faire et de pratiques,
plus sa «niche écologique» est déterminée, plus les données et
connaissances qu’elle détient comptent pour elle. Il est donc important de
conserver le monopole de ce trésor immatériel. Ce qui est souvent plus
facile quand ladite information circule à une échelle qui la rend encore
gérable.

Bien sûr, l’intelligence économique n’est qu’en partie défensive. Elle va
bien au-delà de l’art de conserve ses secrets. Une PME ne peut pas
forcément se permettre de confier à des consultants extérieurs, à des
machineries complexes voire à un personnel nombreux qui serait mieux
employé ailleurs, la vaste tâche de scruter le monde. Un vrai travail de
veille suppose se tenir au courant du marché, de la concurrence, de l’état
des technologies et des législations, de facteurs géopolitiques ou
sociétaux….

En revanche, une PME est un lieu plus adapté à la coordination interne
entre les diverses fonctions, mobilisées par l’I.E Celles-ci sont tout à
la fois stratégiques, sécuritaires, prospectives ; elles touchent à la
gestion de la ressource (donc de l’initiative) humaine. Elles sont liées à
la circulation interne d’un savoir utile, tournées vers la détection des
signaux faibles et des tendances du marché.

Bref l’Intelligence Économique requiert des pratiques de transversalité,
de partage et de sélection de l’information au quotidien. Cela demande
polyvalence et souplesse, adaptabilité et vitesse de réaction. Plutôt que
de posséder de gros logiciels ou de mobiliser des spécialistes des
journées entières devant leur écran, il s’agit de savoir ce que l’on doit
savoir, de le trouver, de le formuler et le faire savoir à qui il faut
dans l’entreprise. Pour cela, il n’y a nul besoin d’être un mammouth
bureaucratique.

Mieux vaut être au plus près des besoins réels. Mieux vaut être sensible
de l’adaptation aux niches porteuses que suppose toute stratégie de
développement ou de conquête des marchés. Mieux vaut aussi savoir
mutualiser les tâches, échanger et s’entraider. Cela demande aussi de
savoir utiliser les réseaux institutionnels de veille, de s’inscrire dans
le cadre de l’intelligence économique territoriale, de jouer «gagnant-gagnant»
en coopérant dans le cadre régional ou sectoriel. Voire souvent de
profiter de toutes les opportunités qu’offre la coopération public/privé.
Enfin s’il est un domaine où il y a intérêt à jouer en équipe, soit par
secteur d’activité, soit suivant des critères de proximité (régions,
bassins d’emploi), c’est bien celui de l’influence. Pour être présent là
où se formulent les normes et les critères dont dépend l’avenir
économique, comme pour faire valoir son point de vue en amont, notamment à
Bruxelles, l’improvisation et le travail en solitaire ne sont certainement
pas de mise.


L’intelligence économique est plus affaire de pratiques bien adaptées que de
moyens ou de structures lourdes. À ce jeu, il vaut mieux parier sur David
que sur Goliath.

D’autres notions à retenir dans ce rapport (même si toutes ne sont pas
vraiment neuves) comme celle d’une charte professionnelle ou d’un label pour
les cabinets d’intelligence économique, la généralisation des plans de
sauvegarde en cas de crise, la nécessité d’anticiper les évolutions
sociétales («Ces nouveaux éléments (développement durable, respect des
droits sociaux, transparence financière et lutte contre la corruption)
constituent des atouts à inclure dans la stratégie de l’entreprise et
représentent pour l’avenir un des principaux ressorts de développement à
moyen et long termes».

D’autres propositions touchent aux rapports de l’État et de l’entreprise :


• Associer davantage les acteurs économiques à la préparation des
négociations internationales
• Redécouvrir les bienfaits de la prospective au niveau national ou
international
• Poursuivre le développement de l’intelligence territoriale
• Une meilleure défense des secteurs stratégiques et des intérêts nationaux
vitaux
• Une aide de l’État pour mieux faire connaître la recherche et l’innovation
françaises.
• Identifier des domaines d’excellence sur lesquels les efforts publics
devraient être concentrés.


Enfin le Conseil Économique et Social suggère action à l’échelon européen
avec une forte présence française (on prononce même le mot de lobbying) dans
les négociations en amont, l’élaboration des normes, une action juridique
(d’un procureur européen indépendant chargé de la protection des intérêts
financiers de l’Union et la mise en place d’un Parquet européen.) et une
structure européenne au service des PME, capable de coordonner leur action
comme le fait la Small Business Administration européenne.

Où fixer
les limites de l’intelligence économique ? Nous avions souligné ici même la
différence entre les «sécuritaires» défensifs (ceux pour qui l’IE consiste
essentiellement à garder des données sensibles ou à se protéger contre des
attaques et crises informationnelles), des «veilleurs» (toujours en quête de
données si possible sur le Web invisible et à l’aide de robots sémantiques
compliqués) et des «stratégistes» (soucieux d’influence internationale).

On pourrait opposer pareillement une vision de l’IE comme méthode de gestion
de certaines informations, donc comme un ensemble techniques neutres par
définition – et une autre insistant sur la dimension de la relation entre le
politique et l’économique. Du reste, du point de vue universitaire,
l’intelligence économique fait le grand écart entre les sciences de
l’information et de la communication et les sciences de gestion économique.
Peut-être aurait-il fallu la classer dans les sciences politiques ?

Voir le débat sur le patriotisme économique. Avoué ou hypocrite, c’est la
mobilisation des moyens régaliens pour favoriser les entreprises, les
emplois, les capitaux nationaux.

 

(Source
: http://www.huyghe.fr/actu_279.htm)