Hadj Fehry Mehrez ou l’homme d’affaires qui rêvait de devenir un petit grand


Par Amel Djait Belkaid

mehrez240.jpgLe
spot publicitaire de «Judy» a bercé la jeunesse de toute une génération. La
petite fille en robe à volant blanche jouant avec des ballons multicolores,
en souhaitant à tous les Tunisiens «Aidkom Mabrouk» est synonyme de fêtes et
de victoires importantes de nos équipes nationales en football.

 

Associer la fraîcheur de
cette adorable gamine à «Judy» et au non moins célèbre logo tamponné par une
tête de singe bien sympathique dans des couleurs chatoyantes pour vendre des
produits détergents, il fallait non seulement de l’audace et de
l’originalité, mais aussi une pointe de folie d’un certain Fehry Mehrez.

 

Natif d’un village de
tailleurs de pierre, «Dar Chaabane» à côté de Nabeul, où il me donne
rendez-vous, El Hadj descend de son 4×4 noir et me guide au sein du siège
extrêmement fleuri de sa société. La démarche légère, El Hadj est une
personne débordante de vitalité, amicale et chaleureuse. Des tableaux de
maître ornent les couloirs de son administration, et son personnel fidèle
depuis de nombreuses années le respecte et l’admire mais le craint tout
autant.

 

L’homme a l’œil vif. Son
embonpoint ne cache pas l’épicurien qu’il est. «Je suis autodidacte niveau
bac», déclare-t-il, non sans fierté. «Self-made man» par excellence, son
parcours est d’exception. L’homme est une «grosse pointure» dans le monde
des affaires et incontournable dans la région.

 

«N’anticipez rien, je
suis en train de fignoler mon livre, mon parcours». Il me lit une partie de
sa dédicace. Une dédicace émouvante, désarmante de vérités, résumant la
complexe simplicité de l’homme, la volonté de l’entrepreneur, sa haine des
injustices, et sa générosité de père de famille.

 

L’homme s’est construit
et a bâti son empire au prix de beaucoup de souffrances qui ont ponctué une
vie tumultueuse. Les coups de tête sont sa spécialité. Il bouillonne d’idées
et voue une passion dévorante pour la Tunisie. Il a une opinion sur tout, et
parle avec entrain, d’artisanat, d’emploi, de jeunes, de tourisme, d’avenir.
Une passion qu’il fait rejaillir autour de lui, à travers des suggestions
d’animations culturelles pour sa ville et au sein des multiples associations
et clubs dont il fait partie.

 

«Judy» fête cette année
ses 35 ans.

 

La transmission de
l’entreprise n’a été en aucun cas un souci pour lui. «J’ai confiance en moi
et en ma famille», dit-il avec assurance. Il a d’ailleurs commencé par
lâcher la gestion des affaires à 55 ans, puis l’entreprise «Judy» à 60 ans
et enfin tout le patrimoine à ses enfants à 62 ans.

 

Ses mémoires seront son
dernier cadeau pour les siens.

 

J’ai rencontré un homme
sensible, passionné par la musique, les voyages, la peinture, la bonne
table,…Dans ses yeux brillants et expressifs, on devine que désormais il
prendra le temps pour lui, pour l’art et pour se faire plaisir. Les projets
d’éditions et d’expositions trottent dans sa tête et cette autobiographie
qu’il prépare pour la rentrée 2009, n’en sera que le prélude.

 

Excessif, comme tous les
passionnés de la vie, sa bibliothèque recèle d’à peu prés 200 mille photos.
Il possède une magnifique collection de cartes postales anciennes. Des
milliers de livres l’entourent et une immense carte géographique du monde
trône derrière lui, dans un immense bureau truffé de photos de famille et
d’amis et remplis de souvenirs.

 

Il écrit dans une
première partie de ses mémoires qu’il m’a laissé lire, tout en me faisant
promettre de ne rien dévoiler et non sans une certaine affection, que
quelques expériences inoubliables et rencontres importantes avaient été
décisives dans sa vie.

 

Faisant partie des 13
jeunes destouriens choisis pour représenter leur gouvernorat de l’époque, il
participe au programme commémoratif de la grande marche de Bourguiba de
Tunis au Caire. Suite à ce long trajet à pied, il est reçu avec la
délégation au palais présidentiel. Le souvenir reste vif et présent. Il
écrit avec émotion: «De retour au pays, personne parmi cette délégation
exceptionnelle n’était ce qu’il fût au départ. Nous étions tous doublés d’un
sentiment de fierté, de militantisme, d’un nouveau souffle… ». On «revenait
de loin pour participer à l’édification de notre jeune nation et d’être un
leader, chacun à sa façon, pour mener à bien le grand combat pour la
prospérité…En sentant encore ma main serrée par celle de Bourguiba, je
n’étais plus ce jeune villageois de Zaouit el fehry, mais plutôt, ce jeune
homme universel qui veut être un petit grand».

 

El Hadj y parvient.

 

Il reste un des patrons
les plus charismatiques de l’entreprenariat tunisien. A la question de
savoir si on naît ou si on devient entrepreneur, il répond sans hésiter : «On
le naît». Une chose est sûre : Hadj Fehry est né pour entreprendre.

 

Pour la petite histoire,
dans un avion qui le ramène de France, il fait la connaissance de feu Ali
Zouaoui, à l’époque gouverneur de la Banque Centrale, qui voit en lui «le
profil d’un homme d’affaires». Fehry Mehrez est sans conteste celui à qui
tout peut arriver. Il est aussi celui qui peut beaucoup provoquer.

 

Au-delà d’avoir été «le
premier à introduire l’ordinateur au Cap-Bon en 1985», à avoir installé le
premier cercle de qualité dans son entreprise, à avoir diffusé parmi les
premiers spots publicitaires à la TV. C’est également celui qui a développé
la première norme tunisienne et a été le premier récipiendaire du «Prix du
progrès social».

 

A la carte de visite que
je lui tends, pour qu’il garde un souvenir de moi, Hadj Fehry m’en rend 6
d’un coup, correspondants aux multiples fonctions qu’il maintient. Elles
correspondent surtout à l’homme multiple qu’il est.

 

Un homme qui vit à cent à
l’heure, qui réalise la valeur de la vie, pour avoir été fortement menacé de
la perdre à son jeune âge, et qui cultive ses propres valeurs de combativité
et de créativité.

 

J’ai promis d’en dire le
moins possible. Hadj Fehry, je tiens parole !