Made in Poulina

madeinpoulina230.jpgVoyage
à l’intérieur d’une entreprise qui a démarré en 1967 avec un poulailler dans
la banlieue sud de Tunis, qui s’est développée et diversifiée jusqu’à se
hisser en tête des groupes industriels privés en Tunisie, à devenir le plus
maghrébin des groupes privés maghrébins, qui s’internationalise. Le groupe
Poulina s’est transformée en Holding à l’occasion de son introduction en
bourse actuellement en cours.

 

L’ouvrage décrit ce cas d’école en matière de
croissance comme en matière de management. Il «décortique» cette
expérience et nous livre les secrets de son étonnant succès. A chaque
page, le livre se fait didactique, tient en haleine, glisse des anecdotes,
met en exergue des «recettes» fort bienvenues pour le lecteur et, avec le
concours fort opportun et artistique d’une abondante illustration,
transporte le lecteur dans un monde qu’il était loin d’imaginer. Le
concept éditorial et graphique est l’œuvre de l’Agence THCOM qui a réunit
autour de ce projet la plume d’Abdelaziz Barrouhi(*) et le regard
photographique de Hammadi Regaieg, Ghassen Khemakhem et Anis Mili.

Le ton est donné dans la préface de Abdelwahab Ben Ayed, fondateur et
Président de Poulina à propos de cette accélération de l’histoire. «Je
dois le reconnaître, écrit-il, autant ardente a toujours été ma volonté,
autant je n’avais cru, sans jamais désespérer, voir Poulina se convertir
en ce Holding en si peu de temps».

La première phrase de l’introduction de l’ouvrage rapporte ce qu’il disait
en 1984 : «il y a des domaines où l’on est porté par le vent, il n’y a
qu’à déployer ses ailes». C’est vrai. Il a fallu pour cela, nous explique
l’ouvrage, une vision, des valeurs, un sens de l’anticipation, de
l’opportunisme dans le sens noble du terme, de l’innovation, un esprit
pionnier dans l’adaptation eux nouvelles technologies, un management
moderne, et aussi grâce au sens de la rigueur et de ses ressources
humaines triées sur le volet. Bref, il fallait une «culture Poulina».

Et c’est à la force du poignet et de la matière grise que le groupe
Poulina a rejoint, à tire d’aile, les entreprises performantes des pays
développés. Dès le départ, Poulina avait une stratégie visionnaire doublée
d’un sens permanent du défi. «J’ai des idées simples à ras du sol et le
sens du concret, mais aussi une ambition : je veux apporter la preuve que
nous pouvons faire aussi bien que les Européens», explique Ben Ayed.

Pourquoi faire ? «J’ai fait de la résistance pour libérer la Tunisie,
maintenant, il s’agit de la développer, disait alors le premier manager de
Poulina alors que le groupe en était encore à la phase avicole. Avant, le
Tunisien mangeait la viande au mieux une fois par semaine, sinon
uniquement à l’occasion des festivités. Nous voulons qu’il puisse en
manger tous les jours, et on aura ainsi développé la Tunisie». Et en
effet, l’ouvrage nous rappelle fort opportunément que c’est à l’esprit
d’initiative des fondateurs de Poulina, alors entreprise privée dans un
système socialiste, que l’on doit l’introduction en Tunisie de l’élevage
industriel du poulet et le démarrage d’une industrie agro-alimentaire.
C’est aussi avec l’assistance de Poulina qu’une première génération de
petits éleveurs avicoles a vu le jour.

Le successeur est désigné

Bien qu’il ne porte pas à proprement parler sur l’histoire du Groupe
Poulina, l’ouvrage retrace, dans un premier chapitre, cette «épopée du
poulet», puis celle de l’intégration, puis celle de l’extension et de la
diversification. A chaque étape, les exemples abondent où les dirigeants
de Poulina font preuve d’une grande ingéniosité et s’avèrent être de vrais
«développeurs». La poule a pondu des œufs d’or et les bénéfices engendrés
ont été réinvestis en un cycle vertueux qui a donné naissance à un groupe
multisectoriel dans lequel les industries manufacturières ont fini par
supplanter l’aviculture.

L’ouvrage consacre un deuxième chapitre au management de Poulina, parce
qu’il est devenu un cas d’école, non seulement aux yeux de nombreux cadres
tunisiens, mais aussi parmi les chercheurs étrangers spécialisés en la
matière comme ceux du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
en France. L’ouvrage identifie cinq grands atouts dans le management de
Poulina. Le premier est que Poulina s’est dotée d’une organisation
apprenante (les anglo-saxons l’appellent Learning Organization) qui permet
la détection et la correction des erreurs pour modifier et améliorer
normes, procédures, politiques et objectifs. Poulina s’est dotée d’un
système de gouvernance qui évite les dérapages des entreprises familiales
où les actionnaires ne sont pas les gestionnaires et les associés et
fondateurs sont à cheval sur le principe qu’ils ne doivent pas s’ingérer
dans la gestion ni bénéficier d’avantages personnels.

L’ouvrage nous apprend, à cette occasion, que le fondateur et PDG du
groupe, en accord avec les actionnaires, a nommé, il y a sept ans déjà,
son future remplaçant choisi parmi les hauts cadres de Poulina, afin qu’il
s’habitue à la gestion du groupe et assure sa relève. Le troisième atout
est que le groupe Poulina a construit des systèmes de gestion et
d’information performants où il a été un pionnier en Tunisie. Le quatrième
atout est sa structure d’organisation fondée sur la «double hiérarchie»,
ce qui permet d’assister, d’encadrer et de superviser les filiales et de
développer les synergies entre elles.

Dans ce cadre, les directeurs bénéficient d’une autonomie, mais sont
condamnés à réussir. «Vous voulez développer un produit ?, leur dit la
direction générale, trouvez un projet, montrez moi que c’est rentable,
formez les gens, et foncez». Last but not least, Poulina fonctionne selon
des formules de management participatif, impliquant les ressources
humaines à tous les niveaux. On lira à cet égard avec intérêt le passage
consacré à l’exemple de gestion participative appelé «Comité du mercredi».
Depuis plus de 36 ans, dirigeants et cadres de Poulina s’y retrouvent
chaque semaine pour discuter de tel ou tel aspect de la gestion, et dont
l’un des principaux mérites est l’enrichissement de la «culture Poulina».

L’importance du management des ressources humaines chez Poulina a fait que
l’ouvrage y a consacré un chapitre à part intitulé «les hommes, moteur du
développement». Le groupe a la réputation de recruter et former des cadres
accomplis qui comptent parmi les plus compétents et les plus convoités
dans le pays. C’est qu’ils ont acquis un plus, qui est ce qu’on appelle
communément la «culture Poulina» dont l’ouvrage décrit quelques aspects.
On y apprend que les dirigeants de Poulina comme le personnel, quel que
soit leur rang, y compris le PDG, sont tenus de pointer, de ne pas fumer à
l’intérieur des locaux, d’éteindre la lumière lorsqu’on est le dernier à
sortit du bureau, veiller à ne pas gaspiller l’énergie, l’eau, les
consommables. Ils doivent avoir la capacité de se remettre en cause, s’auto-former,
lire, principalement en dehors des heures de travail.

Conformément à la règle d’or de Poulina qui est que «n’est gérable que ce
qui est mesurable», les performances de chacun sont mesurées par des
systèmes de la façon la plus objective possible : pour tout travail
demandé, les objectifs et résultats attendus sont fixés par écrit, et mis
en œuvre selon un cahier de procédures. La rémunération se fait selon un
système qui se veut motivant et qui permet d’éviter la subjectivité et les
préjugés.

Jusqu’en Chine

L’ouvrage nous apprend encore que Poulina est un pionnier en matière
d’essaimage, avant qu’il soit de mode. Le groupe estime à 3000 le nombre
des entreprises essaimées et créées à sa périphérie et qui font de la
sous-traitance pour lui.

Où va désormais Poulina ? Dans sa conclusion, l’ouvrage met l’accent sur
le fait que le groupe Poulina a maintenant atteint une taille et a
accumulé un capital d’expérience tels que réfléchir marché local en ces
temps de mondialisation relèverait de l’hérésie. Le groupe a certes une
grande expérience d’exportateur de produits agro-alimentaires et
industriels depuis plus de 30 ans vers des marchés du Maghreb, d’Afrique,
d’Europe et d’Asie. Il faut maintenant qu’il se positionne à un stade
suprême pour toute grande entreprise moderne : l’internationalisation.
C’est ce qu’il a entamé avec l’accélération de ses implantations d’usines
à l’étranger. Il en compte une quinzaine actuellement, principalement dans
les pays du Maghreb. Et désormais, le mot d’ordre est de passer à la
vitesse supérieure, sur le plan quantitatif, comme sur le plan qualitatif.
Il va en Chine dans des créneaux qu’il maîtrise, là où les grandes
multinationales se bousculent.

«Cette fois-ci, en Chine, on va être au milieu des géants», lance
Abdelwaheb Ben Ayed, avec le ton à la fois de défi et de sérénité qu’on
lui connait. L’ouvrage ne pouvait pas trouver une meilleure «chute».

(*) Le texte de «Made in
Poulina» a été écrit par le journaliste-écrivain Abdelaziz Barrouhi,
spécialisé en économie. Diplômé du département de Sciences politiques de
l’Université de Paris-Sorbonne, ancien chercheur en politiques de la
communication au département de Sciences Politique de la célèbre
université américaine Massachusetts Institute of Technology (MIT),
fondateur et premier directeur du Centre africain de perfectionnement des
journalistes et communicateurs (CAPJC), Barrouhi a été un «senior-correspondant»
de l’agence internationale Reuters où il a travaillé pendant une douzaine
d’années avant de prendre sa retraite. Il collabore actuellement à Jeune
Afrique en tant que Collaborateur Indépendant. Il est notamment l’auteur
d’un livre intitulé «Demain la Démocratie» tiré d’une recherche à MIT.