Transmission d’entreprises : le modèle Poulina, et la leçon Mheni

Pour convaincre les entrepreneurs
tunisiens de l’importance d’envisager le recours au marché financier, parmi
d’autres moyens, pour assurer la pérennité de ce qu’ils ont bâti, la Bourse
des Valeurs Mobilières de Tunisie a eu recours, à l’occasion du colloque
organisé mercredi 26 mars 2008, sur «Transmission & pérennité, défis pour
l’entreprise tunisienne», à la pédagogie et proposé de tirer les leçons de
deux expériences diamétralement opposées : d’un côté celle de Poulina, dont
la démarche en matière de transmission peut servir de modèle et de l’autre
celle du groupe Mheni, un parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire dans
ce domaine.

 

Vu de l’extérieur, Poulina, créé en 1967,
peut donner l’impression de ne pas avoir changé en 41 ans. Erreur, car «tout
a changé. D’abord, la société qui réalisait à ses débuts un chiffre
d’affaires de 15 millions de dinars a donné naissance à un groupe dont «la
capitalisation est probablement supérieure à un milliard de dinars», clame
M. Abdelwaheb Ben Ayed.

 

Ensuite, «j’ai commencé par tout faire
moi-même, mais aujourd’hui je ne fais plus rien et me limite à contrôler» ce
que les employés et cadres font, insiste le président de Poulina. En fait,
au sein de ce groupe, qui fait travailler près de 12.000 personnes, le
«changement a été graduel».

 

Convaincu que «le changement est pénible
pour tout le monde», les dirigeants de Poulina ont choisi de «faire les
choses en douceur», de faire en sorte que «ce soit les structures qui
s’imposent et non les hommes». Une méthode qui présente l’avantage de
laisser peu de place aux sentiments, et qui a notamment amené Poulina à se
poser très tôt la question de la transmission. Ce dossier est sur la table
depuis vingt ans, révèle M. Abdelwaheb Ben Ayed.

 

En effet, aux commandes depuis 41 ans et
«probablement pour quelques années encore», le président de Poulina sait que
la durée de vie professionnelle du chef d’une entreprise familiale –ce que
Poulina n’est pas, insiste-t-il- est de trente ans et qu’il faut de 10 à 20
ans pour préparer un successeur. Pour ce faire, Poulina s’est dotée il y a
sept ans d’un conseil d’administration-bis où siègent de jeunes dirigeants
–désignés par les six familles détentrices du capital du groupe- qui n’ont
pas de pouvoir de décision et peuvent seulement s’informer. «Avec ce
système, on passe de manière graduelle d’une phase à une autre» du processus
de succession, souligne le président du groupe. Un processus que «la
littérature» découpe en quatre phases : initiation, intégration,
règne-conjoint et retrait du fondateur. En vingt ans, Poulina a déjà franchi
les trois premières et «il ne reste que la dernière à mettre en place», note
M. Abdelwaheb Ben Ayed. Une dernière phase en préparation puisque le «boss»
s’éloigne «de plus en plus de la gestion courante» qui passe progressivement
entre les mains de son successeur désigné depuis sept ans.

 

Si Poulina est un très bon exemple d’une
succession bien préparée, donc d’un avenir garanti, le groupe Mheni
constitue l’illustration idéale d’une succession ratée parce que nullement
préparée. C’est pourquoi M. Amara Mourad Mheni, l’aîné des enfants de feu
Ali Mheni, parle de «rupture» et «témoigne d’une expérience personnelle dans
la douleur».

 

Celui qui a été «l’un des fils le proche»
et le co-fondateur de plusieurs sociétés, et en particulier de la branche
hôtelière du groupe, affirme que du vivant de son père «on en parlait ni
d’argent ni de succession» dans un groupe où tout marchait assez bien du
vivant du fondateur. Même lorsqu’il était tombé malade en 1990, feu Ali
Mheni ne voulait pas passer le témoin «et continuait à gérer» ses affaires.
Et après le décès du fondateur en 1991, la guerre de succession a éclaté
entre ses enfants qui se voulaient tous «l’héritier privilégié», secrètement
adoubé et «qui ne voulait pas en parler» du vivant du père. «Les hostilités
ont commencé dès la fin du deuil officiel de 40 jours», se souvient M.
Mourad Mheni qui a retenu la leçon.

 

Lui-même fondateur d’un groupe à partir
de sa part d’héritage que les siens ont accepté de lui accorder deux ans
après le décès de feu Ali Mheni, Mourad Mheni a réparti de son vivant
–depuis quinze ans- son patrimoine entre ses deux filles et sa femme. 
Alors que «la guéguerre familiale continue».

 

M.M.