Enquête : l’atout négligé de Douz

Enquête: l’atout négligé de Douz

Par Mohamed BOUAMOUD


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a pris l’habitude de séjourner quelques fois à Douz finit par se rendre
compte d’un caractère assez particulier à ses habitants dits M’razigues
depuis la nuit des temps. C’est cette suffisance qui frise parfois
l’indifférence. Les M’razigues ne demandent jamais rien. Ils se contentent
de ce qu’ils ont. Leurs jours s’écoulent exactement comme coule l’eau dans
leurs oasis, calme et tranquille. Nés au contact du silence et de
l’infinitude sablonneuse du Sahara, ils ont le sens de l’observation
beaucoup plus prononcé que celui de la parole. C’est très bizarre : les M’razigues
parlent très peu et ne courent pas derrière les biens de la vie. Le silence
saharien les a tellement déteints que même dans le commerce ils ne font rien
pour vous convaincre d’acheter ceci ou cela. Que vous achetiez ou non, ils
vous sourient quand même. Ce n’est pas que cela leur soit égal, mais ils ne
se rabaissent pas, ils ne se plient pas devant le client pour lui faire
écouler leur marchandise.

 

Cette espèce de stoïcisme
traduit certainement la noblesse des nomades bédouins. Sauf qu’à notre
époque, l’économie exige parfois de recourir à la sauvagerie. Qui n’attaque
pas écope des coups. Mais si Douz ne reçoit pas de coups et s’en sort
petitement malgré tout, c’est grâce à son grand atout pour lequel elle ne
fait rien pour le mettre davantage en valeur.

 

Il ne faut pas maquiller
les choses : il n’y a rien à Douz qui puisse rappeler une ville au sens
actuel du terme. Douz, c’est une grande avenue qui part du Souk artisanal
(et le marché des légumes et fruits) pour échouer sur la porte du Sahara, à
quelques centaines de mètres de l’Hôtel El Mouradi. Ajoutez quelques
magasins assez sommaires et quelques cafés populaires et vous aurez tout vu.
De part et d’autre, c’est Douz la profonde avec ses quelque 40 mille
habitants. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la vie même de
Douz commence précisément sur la porte du Sahara, non ailleurs.

 

La principale activité de
la ville c’est l’agriculture. Laquelle est concentrée sur les dattes. A lui
seul, le gouvernorat de Kébili produit environ 60% de la production
nationale dont plus de… 60 % reviennent à Douz. Il est rare qu’un citoyen de
Douz n’ait pas de palmiers propres à lui ; le plus pauvre de Douz possède au
moins une tête de palmier. Pour la majorité écrasante des M’razigues, la vie
est au pied du palmier, à dos du chameau et dans le Sahara. Pour rien au
monde les M’razigues n’acceptent de vivre loin du Sahara (même si
l’émigration à l’étranger a commencé à bouger depuis quelque temps).

 


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L’appartenance des M’razigues
à leur Sahara est à ce point forte qu’au printemps de chaque année, la ville
se vide de ses habitants qui vont investir le désert, avec moult attirail,
pour y séjourner pendant au moins une bonne vingtaine de jours. Chez eux,
l’appel du Sahara est aussi fort que l’appel à la prière ou au pèlerinage.
Justement, c’est leur pèlerinage annuel lors duquel enfants, jeunes, adultes
et vieux étreignent le Sahara à bras-le-corps.

 

Après les dattes, la
deuxième activité à Douz est l’artisanat. Primaire et plutôt primitif,
l’artisanat s’est peu à peu développé grâce à l’Etat qui, par diverses
associations interposées, a octroyé bien des crédits pour la promotion de
l’artisanat, et notamment à l’intention de la femme rurale. En deux ans
(2005-2006), 761 crédits ont été consentis. Cela a fait que –juste pour
l’exemple– le burnous à duvet de chameau, naguère à près de 400 dinars
l’unité, est parti à…1.200 dinars.

 

Puis est née il y a
quelques petites années de là une autre activité : l’élevage. Autrefois, il
se limitait au chameau. Depuis quelque temps, il s’est attaqué aux ovins et
bovins. C’est un plus considérable qui anime autrement l’économie à Douz.
D’ailleurs, l’on va dire, sans risque de nous tromper, que l’agriculture,
l’artisanat et l’élevage ont laissé très peu de place au chômage. Mais là où
le chômage sévit, c’est au niveau du supérieur. La ville de Douz est
pratiquement la seule, en Tunisie, à pouvoir s’enorgueillir d’avoir le taux
de scolarité le plus élevé : 100 %. Il n’y a pas un seul enfant à Douz
(fille ou garçon) qui ne soit scolarisé. De surcroît, l’austérité de la vie
a fait que ces enfants n’aient rien d’autre à faire qu’étudier. Par
conséquent, le taux de réussite est très fort. Pour les 40 mille habitants
de Douz, il existe 19 écoles primaires, 9 lycées, 3 écoles privées et 1
école de métiers. C’est tout dire…

 

Or, il y a un atout
majeur à Douz mais que ses habitants ne semblent pas lui accorder un vrai
intérêt : le Sahara ! Dites-vous bien ceci : sans le Sahara et son chameau,
il n’y a rien à voir à Douz. Et c’est ce Sahara qui a conféré à Douz une
activité par trop importante : le tourisme. Pour l’étranger, le dépaysement
et le tourisme saharien, c’est curieusement Tozeur qui vient en tête en
premier lieu. Mais une fois à Tozeur, l’étranger demande vite où est le
Sahara. Cela veut dire que plus de 70% des touristes qui viennent à Tozeur
finissent à Douz.

 

Certes, le séjour à Douz
est dit tourisme de passage. Il n’empêche. A la cadence d’une seule nuit par
tête de touriste, la ville de Douz enregistre la bagatelle de plus de 400
mille nuitées par an (460 mille nuitées en 2006). Cette dynamique a entraîné
au fil des ans la construction de six hôtels classés de deux à quatre
Etoiles, mais beaucoup de campements non classés. Mieux : nombre de citoyens
se sont mis à louer leurs foyers aux touristes. C’est simple : à Douz, la
saison basse se limite aux mois de janvier-février ; puis, c’est l’envol.

 

Grâce à son Musée, Tozeur
fait beaucoup parler d’elle. Et c’est tout à l’honneur du secteur privé qui
en a pris conscience. Le problème à Douz, c’est que personne ni rien n’en
fait parler. La ville ne semble pas avoir conscience de l’importance de son
Sahara qu’elle n’essaye pas de vendre mieux et davantage. Mais c’est là
qu’il y a du travail à faire et qui n’incombe pas nécessairement à l’Etat-Providence.
Quand le secteur privé s’éveillera, Douz émergera…